Le mouvement des Scop a monté des outils de financement performants à destination des coopératives. Ils permettent de minimiser l’investissement initial des salariés au point que dans certains cas, cet investissement devienne marginal. Ceci ouvre la voie à l’abandon de la notion même de propriété. Il devient ainsi possible, sous condition de la présence d’un secteur bancaire et financier socialisé, d’entrevoir la perspective d’unités de production dirigées par les travailleurs et intégralement financées de façon externe.
L’une des difficultés classiques du lancement d’un projet de Scop (Société coopérative et participative) est la question du financement. Comment des salariés qui n’ont généralement pas de capital à investir peuvent-ils assurer les premiers financements de la coopérative et son développement ultérieur si besoin est ?
La première piste est bien sûr le prêt bancaire. Mais l’adage « on ne prête qu’aux riches » s’applique ici à fond. La première chose que regardera le banquier est l’apport des propriétaires de l’entreprise afin de mesurer leur engagement. Par définition, les fonds propres sont constitués des apports des propriétaires desquels on ajoutera – ou au contraire déduira – les bénéfices non distribués – ou les pertes. À l’inverse, un prêt ne sera pas affecté par le comportement économique de l’entreprise : il devra être remboursé coûte que coûte, que l’entreprise fasse des pertes ou des bénéfices… à moins que l’entreprise ne fasse faillite. C’est cette hypothèse que le banquier veut à tout prix éviter et pour cela les fonds propres constituent pour lui un matelas de sécurité. Pas de fonds propres, pas de prêts ! Comment faire lorsqu’on n’a pas de capital initial ?
Les trois étages du financement des Scop
Très tôt, la Confédération générale des Scop a été confrontée à ce problème. Le Crédit coopératif, interlocuteur privilégié des Scop, réagit et raisonne comme une banque, à ceci près qu’elle étudie sérieusement les demandes émanant des Scop alors que les autres les ignoraient généralement. Dès 1965, la Confédération générale des Scop initie le Fonds d’expansion coopérative qui deviendra ensuite la Socoden. Cette structure avait vocation à prendre des participations minoritaires dans les Scop en accordant un prêt participatif. Le principe de ce prêt est que son taux d’intérêt est composé d’une partie fixe et d’une partie variable fonction des résultats de la Scop. Comme il s’agit d’un prêt d’associé et non d’un tiers extérieur à l’entreprise, les prêts des banques seront remboursés prioritairement en cas de défaut de l’entreprise. C’est ainsi qu’on qualifie ces prêts de quasi-fonds propres, des fonds propres qui n’en sont pas tout à fait, notamment parce qu’ils devront être remboursés 1.
Il fallait aller plus loin et c’est ainsi que la confédération a ensuite créé Spot, devenue plus tard Scopinvest. Cette structure intervient en titres participatifs allant de 25 000 à 200 000 euros. Comme pour le prêt participatif, un titre participatif permet à son détenteur de toucher un taux fixe accompagné d’un taux variable en fonction du comportement économique de l’entreprise. Mais l’originalité du titre par rapport au prêt est que son remboursement ne peut se faire qu’au bout de sept ans et seulement à l’initiative de la coopérative. Si la coopérative ne souhaite pas rembourser ce titre, elle peut conserver le financement indéfiniment à condition, bien sûr, d’honorer annuellement le paiement des taux d’intérêts. Ce ne sont pas à proprement parler des fonds propres puisqu’ils appartiennent à des personnes extérieures à l’entreprise, mais ils sont aussi solides que des fonds propres traditionnels. Comme les taux d’intérêt sont généralement plus élevés que ceux d’un prêt bancaire classique, la coopérative est cependant fortement incitée à rembourser. À noter que des structures régionales telles que Transméa (Rhône-Alpes), Pargest (PACA) montées en collaboration avec les Union régionales des Scop interviennent en titres participatifs. Enfin, le nouveau fonds Impact coopératif lancé par l’Ides pour un montant de 100 millions d’euros 2 émettra des titres participatifs allant de 1 à 7 millions d’euros.
Enfin, lorsqu’elles accordent un prêt à une entreprise, les banques demandent souvent la caution solidaire du dirigeant d’entreprise : si cette dernière fait faillite, alors l’ancien dirigeant devra rembourser ce qu’il reste à payer accompagné des intérêts. De quoi être facilement endetté à vie ! Difficile à mettre en œuvre dans les Scop où le dirigeant est un salarié comme un autre qui ne tirera aucun bénéfice particulier de la réussite de la Scop autre que celui des autres coopérateurs. Sofiscop a été conçu dans les années 1980 pour répondre à ce besoin en se portant, moyennant commission, caution solidaire à l’égard du Crédit coopératif jusqu’à 50 % du prêt accordé. À noter que cette garantie peut compléter celle que Bpifrance peut aussi accorder.
Vers la disparition du capital social ?
Cette combinaison d’outils permet de réaliser des opérations de financement dans lesquelles la part des salariés est infime. On cite souvent en exemple la reprise en 2004 de l’entreprise Ceralep dans la Drôme pour laquelle il fallait réunir 900 000 euros de fonds de roulement et dans laquelle les salariés n’ont au final apporté que 51 000 euros, soit 5,7 % de ceux-ci. Plus récemment, en 2012, l’entreprise de haute-technologie SET a été reprise par ses salariés avec le concours des mêmes organismes. Sur 2 millions d’euros environ, les salariés ont mis 160 000 euros. On peut aussi citer la reprise de l’imprimerie Reprotechnique où les 70 000 euros des salariés ont été abondés par un prêt d’honneur de 200 000 euros du Conseil régional et un apport de Socoden de 100 000 euros qui ont permis d’obtenir un financement total de 7 millions d’euros 3.
Bien sûr, toutes les Scop ne sont pas financées de la sorte et il faut que les organismes du mouvement des Scop soient largement convaincus de la solidité du dossier pour s’engager ainsi. De nombreux autres contre-exemples nous montrent au contraire un engagement que l’on pourrait juger timoré mais qui se comprend aisément dans la mesure où ces organismes émanent des Scop et ont des comptes à rendre à celles-ci. Néanmoins, ces exemples nous montrent clairement que, contrairement à ce que la finance classique nous apprend, il est possible de financer à des niveaux proches de 100 % des projets et que ceux-ci marchent en dépit d’un engagement proportionnellement faible des salariés. Ceci s’explique aisément : à l’inverse d’un actionnaire extérieur à l’entreprise, un salarié a plus à perdre que son capital, il peut perdre son travail. De ce point de vue, l’engagement des coopérateurs est infiniment plus solide. On peut même se demander si leur souscription de parts sociales était indispensable.
Cette dernière remarque laisse entrevoir une nouvelle possibilité : celle d’une entreprise sans capital social, donc sans propriétaire. L’intérêt politique de cette approche est fondamental : il deviendrait possible qu’une entreprise soit gérée par ses travailleurs sans que ceux-ci soient sociétaires et aient investi. La coopérative constitue une rupture par rapport aux règles du capital dans la mesure où les décisions se prennent sur la base d’une voix par personne – au lieu d’une voix par action – et que le capital n’y est que faiblement rémunéré. Mais la forme coopérative reste de nature privée en ce sens qu’il faut être sociétaire pour participer aux décisions. L’absence de capital social permet ainsi d’envisager l’émergence de nouvelles unités de production sans propriétaire, dans laquelle l’usage et l’activité seraient porteuses du droit de co-décider.
Bien sûr, nous n’en sommes pas là. D’une part parce que seules quelques coopératives sont financées à un si haut niveau, mais aussi parce que compte tenu des taux élevés pratiqués dans les titres participatifs, les coopératives sont motivées à rembourser au plus vite et donc se constituer des fonds. Mais remplaçons les organismes de financement du mouvement coopératif par un secteur bancaire et financier socialisé dans lequel des enveloppes d’investissements auraient été définies au préalable. Ceci permettrait ainsi la mise en œuvre d’une planification incitative définie démocratiquement par la population. Cela signifie que, pour que les investissements se réalisent, les taux d’intérêts proposés peuvent éventuellement être négatifs. Nous avons alors tous les ingrédients pour que des titres participatifs jamais remboursés puissent être émis. Ceux-ci par exemple pourraient même être émis pour des montants variables correspondant à l’évaluation régulière du besoin en fonds de roulement de l’entreprise. Ainsi, il devient possible de financer intégralement l’actif de l’entreprise par endettement : les travailleurs de l’entreprise n’auront ainsi plus besoin de réaliser un quelconque auto-financement et pourront pleinement bénéficier des fruits de leur travail. En tant que partie prenante essentielle à l’entreprise, il la dirigeront avec la contrainte bien sûr des possibilités de financement qu’ils obtiendront d’un système socialisé de financement exprimant les besoins et les décisions d’une population.
Notes:
- L’intérêt de cette formule est que le montant du prêt peut être supérieur à la mise de départ des coopérateurs, ce qui permet de maintenir une majorité de salariés dans le capital social, une obligation statutaire dans les Scop. ↩
- Auquel ont souscrit Bpifrance, le Crédit coopératif et le mouvement des Scop. ↩
- Source : Participer, Magazine des Sociétés coopératives et participatives, numéro 655, juin, juillet, août 2015, page 18. ↩
Bonjour,
je suis très sceptique sur cet article. Effectivement je pense que la « démocratie dans l’entreprise » mise en avant par les SCOP n’est pas garantie par le principe une personne une voix, mais bien par la possession par les salariés de leur outil de travail. C’est bien le rapport à l’outil de production qui définit l’autonomie des travailleurs. En ce sens je trouve d’ailleurs inquiétante la loi 2014 sur l’ESS qui déroge à ce principe (scop d’amorçage et filiales).