Les réserves impartageables sont une des caractéristiques fortes des coopératives. Obtenues par accumulation de surplus au fil des années, elles ont la particularité de n’appartenir à personne en particulier, mais au collectif rassemblé dans la coopérative. Une preuve vivante de la possibilité d’une appropriation collective des moyens de production qui se distingue de la nationalisation.

A l’inverse de la société de capitaux fonctionnant sur le régime censitaire d’une voix par euro investi dans le capital, les assemblées générales de coopératives délibèrent sur la base d’une voix par personne et ce, quel que soit son apport dans l’entreprise. Une autre caractéristique forte de l’identité coopérative est le caractère accessoire, voire l’inexistence, de la rémunération du capital qui ouvre la voie à la formation de réserves impartageables telles que définies dans le troisième des sept principes de la coopération. De quoi s’agit-il ?

Définition des réserves impartageables

Un bilan de société est organisé en deux parties : l’actif et le passif. L’actif répertorie ce que la société possède : des machines, de l’immobilier, des stocks, des créances sur autrui, des liquidités… Le passif décrit comment cet actif est financé (le passif est donc toujours égal à l’actif). Le passif se compose de deux parties : les dettes et les fonds propres. Les fonds propres sont donc égaux à l’actif (ce que possède l’entreprise) moins ses dettes (ce qu’elle doit) : c’est la valeur comptable de l’entreprise. Cette valeur comptable correspond au capital levé (les actions ou parts sociales émises) plus les réserves accumulées. Ces réserves sont constituées, année après année, par les bénéfices non distribués en dividendes.

Dans une société de capitaux, ces fonds propres appartiennent intégralement aux actionnaires de l’entreprise : si l’entreprise fait des bénéfices, la partie non distribuée en dividendes revalorisera les actions d’autant 1. Dans une société coopérative, du fait de la non-rémunération ou rémunération limitée du capital, une grande partie des réserves (bénéfices non distribuées en dividendes) sont déclarées « impartageables ». Ceci signifie qu’ils n’appartiennent à personne en particulier mais à la coopérative et à ses membres, actuels comme futurs, pris comme un tout. Cette formation de réserves impartageables est loin d’être anecdotique concernant des coopératives ayant plusieurs années d’existence. Si nous prenons l’exemple du groupe coopératif Mondragón, groupe où pourtant les parts sociales sont réévaluées 2 (ce qui ne favorise pas les réserves impartageables), le total de leurs fonds propres à fin 2010 était de 4 287 millions d’euros et les réserves impartageables représentaient 1 988 millions, soit 46% de ceux-ci.

Une forme originale de socialisation des moyens de production

La collectivisation des moyens de production se conçoit souvent par la nationalisation des entreprises. Dans un tel schéma, l’Etat devient l’unique propriétaire des fonds propres, les dettes étant aussi principalement détenues par des établissements bancaires publics.

Avec les réserves impartageables des coopératives, nous voyons apparaître de facto une forme originale de socialisation des moyens de production. Le passif (contrepartie des moyens de production) est constitué de dettes (qui peuvent être détenues par des établissements bancaires publics ou coopératifs) et de fonds propres composés de parts sociales coopératives et de réserves impartageables. On peut certes considérer que les parts sociales restent de nature privée. Cependant,
la non ou faible rémunération de celles-ci ainsi que l’application du principe « une personne, une voix » dans les prises de décision nous écartent largement du capital expression d’un rapport social.

La grande originalité des réserves impartageables est qu’elles n’appartiennent à personne en particulier, pas même à une institution étatique. Le fait qu’elles aient pu se constituer par l’épargne volontaire de personnes associées est la preuve vivante de la possibilité de penser l’appropriation collective des moyens de production en dehors d’un cadre étatique.

Notes:

  1. Elles ne les revalorisent que comptablement. A ne pas confondre avec les variations de cours de bourse déterminées par la logique spéculative.
  2. A la différence de nos SCOP.