Approsociale3La sixième audition tenue dans le cadre du séminaire « Appropriation sociale, autogestion et coopératives »  a eu lieu le jeudi 28 novembre 2013. Paul Ariès, directeur du mensuel Les Z’indigné(e)s (ex Le Sarkophage), expert auprès du réseau national des villes participatives, venait débattre autour des thèmes de la démocratie participative, de la démocratie réelle et de leur articulation avec l’égalité sociale et politique. Nous publions ici l’enregistrement vidéo de son introduction ainsi qu’un bref résumé de son intervention.

Paul Ariès introduit son exposé sur le mode « mauvaise et bonne nouvelle ». La mauvaise nouvelle serait que nous sous-estimons l’effondrement démocratique en cours, doublé d’un effondrement écologique et social. Il semblerait qu’à l’avenir le capitalisme pourrait fonctionner avec seulement 20 % des êtres humains de la planète. Si le XXe siècle a été marqué par le développement de la notion de classe moyenne, il y a donc tout lieu de se demander si le XXIe siècle ne serait pas celui de la démoyennisation de la société.

La bonne nouvelle serait que nous sous-estimons la richesse des expérimentations, de ce qu’il se fait au nom de la démocratie réelle. La démocratie doit être participative mais aussi économique, elle est une extension de l’égalité politique à laquelle nous aspirons. Mais comment y arriver ? Paul Ariès se propose d’en finir avec trois idées fausses :

  • La possibilité de se passer de représentation au nom d’une démocratie 100 % directe ;
  • L’illusion que le pouvoir serait une mauvaise chose en soi au lieu de le généraliser à tous ;
  • L’illusion d’en finir avec la politique en passant du « gouvernement des hommes à l’administration des choses ».

Sur le premier point, Paul Ariès pointe notre incapacité à sortir de la théorie du mandat qui nous empêche de nous poser les bonnes questions. Il propose de s’interroger sur l’écart entre les représentants et les représentés, sur la sacralisation de la politique, de l’Etat et du chef, sacralisation qui empêche la mise en scène du peuple. Opposé au mandat impératif qui court-circuite le temps de la délibération, il se montre plutôt favorable aux observatoires de politiques municipales, régionales ou nationales.

Le pouvoir, c’est la possibilité de dire et de faire. Ce qui est gênant n’est nullement le pouvoir mais sa concentration. Il faut donc refuser la diabolisation du pouvoir qui aurait une matrice religieuse, mal nécessaire qui devrait être limité par des lois naturelles. Au contraire, il s’affirme « partageux également en politique » et c’est la raison pour laquelle il prône la démocratie participative, qui consiste « à prendre sa part, apporter sa part et recevoir sa part ».

Il est très difficile de vouloir représenter le peuple. Il ne suffit pas d’interpeller le peuple, mais de prendre part. En clair, il s’agit de faire naître le peuple. Citant Georges Gurvitch, il oppose deux démocraties, la quantitative et la qualitative. La démocratie quantitative est représentative. Elle interpelle le peuple, on peut l’améliorer mais elle reste inadaptée aux « gens ordinaires ». La démocratie qualitative est celle des gens en situation, des groupes qui émergent : comités de quartier,  conseils de résidents… Cette démocratie ne se confond pas avec le communautarisme qui enferme. Au contraire celle-ci favorise la multiplication des cercles, des groupes, des communs. Elle institue le peuple de façon plurielle. Ces collectifs ne doivent pas avoir peur de désobéir à la loi. La décision de la Région Martinique de promouvoir une France pluri-nationale est l’expression de cette démocratie participative.

La démocratie participative doit chercher à hybrider la fête et la politique, c’est permettre que chacun puisse apporter sa part. Avec le refus de toute hiérarchisation, faire un gâteau a ainsi autant d’importance qu’un discours. A l’image de la communauté Emmaüs, on peut remettre en cause le pouvoir de l’écrit. Il n’y aura pas de démocratie participative sans éducation populaire mais une éducation populaire débarrassée du « couple avant-garde et masse ». La vrai démocratie serait de « postuler la compétence des incompétents », rendre aux spécialistes leur capacité de montrer des alternatives tout en laissant les gens ordinaires choisir.

Il se déclare favorable au tirage au sort d’une partie des représentants, des jurys citoyens, des conférences de consensus… Une telle dévolution des pouvoirs est la plus démocratique possible car il y a absence de « titres à gouverner ».

Il indique qu’il ne croit plus aux « lendemains qui chantent » car il veut « chanter au présent ». La démocratie participative comme l’autogestion se mariant mal avec le sacrifice, tout sacrifice nécessitant un appareil spécifique.

La démocratie participative se base sur une bonne nouvelle : la planète est assez riche pour accueillir 9 milliards d’habitants. Selon l’ONU, il suffirait de 40 milliards de dollars pendant 25 ans pour régler le problème de la faim dans le monde, de 80 milliards pendant la même période pour solutionner celui de la grande pauvreté. En comparaison, le budget militaire de la planète est 1500 milliards de dollars, celui de la publicité est de 800 milliards et celui de l’argent sale de 1000 milliards.

La démocratie participative, c’est recevoir sa part de pouvoir. A titre d’exemple, 60 % des budgets d’investissements sont directement gérés par la population dans la ville de Grigny. C’est aussi recevoir sa part de plaisir, ce qui impose de revoir les formes politiques et de repenser la forme parti. C’est revendiquer le droit au beau et au bien-être comme le fait le Plan d’action et de développement de la Martinique. Un pauvre n’est pas un riche qui n’aurait pas d’argent. Il existe une extraordinaire richesse des modes de vie populaire, richesse qui s’inscrit dans les services publics et les biens communs. Chacun doit donc recevoir sa part de gratuité et de services publics. Il pointe à cet égard, deux conceptions opposées de la gratuité, l’une d’accompagnement qui serait réservée à ceux qui ne peuvent payer et une autre d’émancipation.

Il conclut en indiquant que la première condition de l’appropriation sociale est d’en finir avec tout discours totalisant et à penser la pluralité des chemins.