Après des mois de tergiversations, la nouvelle est enfin tombée : c’est Eurotunnel qui achètera les trois bateaux de SeaFrance pour un montant de 65 millions d’euros. Le Tribunal de commerce de Paris a ainsi écarté les deux offres concurrentes, celle d’une alliance DFDS-Louis Dreyfus Armateurs et celle du groupe suédois Stena Lines, qui se montraient insuffisantes tant en terme de montant que du nombre de navires repris. C’est une excellente nouvelle pour les anciens salariés de SeaFrance qui s’étaient préalablement constitués en SCOP avec plus de 500 sociétaires.
En effet, la SCOP et Eurotunnel avaient passé un accord selon lequel Eurotunnel achetait les navires via une filiale, Eurotransmanche dans lesquelles des collectivités territoriales (conseil régional, ville de Calais) seront partie prenantes, qui les louera ensuite à la SCOP qui les exploitera. On comprend l’intérêt d’Eurotunnel de trouver une complémentarité entre son offre de ferroutage sous la Manche et des traversées maritimes. En effet, les gros camions ainsi que les produits dangereux ne peuvent passer sous la Manche et il arrive que les capacités de traversées d’Eurotunnel soient pleines. Par ailleurs, Eurotunnel, tout comme les salariés de SeaFrance ont tout intérêt à ce que cesse le dumping tarifaire sur le détroit calaisien. Mais cela sera-t-il encore possible après que des permis de traversée aient été accordés à deux navires de LDA ?
Côté salariés, c’est incontestablement une bonne nouvelle. D’ores et déjà, Jean-Michel Giguet, président du directoire de la SCOP indique espérer remettre en exploitation deux bateaux dans le courant de l’été, et embaucher à cette fin 240 à 250 personnels navigants, plus des personnels sédentaires. À terme, la SCOP devrait avoir de 520 à 550 personnes.
Par contre, on peut être inquiet de la façon dont la clientèle sera gérée. En effet, Jean-Michel Giguet indique « qu’une société d’exploitation, dépendant d’Eurotunnel, sera chargée de la commercialisation ». Jacques Gounot, PDG d’Eurotunnel précise ce que cette société « fonctionnera comme un tour-opérateur, en achetant des traversées ». En clair, il semblerait que le contrôle de la clientèle SeaFrance échappera à la SCOP, ce qui positionne cette dernière comme un sous-traitant exclusif d’Eurotunnel. L’indépendance de la SCOP risque donc d’être toute relative, le véritable patron de la SCOP pouvant devenir Eurotunnel qui par son volume et les montants de commande contrôlera de facto la rémunération des salariés : ceci n’était pas tout à fait le projet initial de la SCOP au dernier trimestre de 2011.
Rappelons à cet effet que la CFDT SeaFrance se battait contre la liquidation de la société, pour que la SCOP nouvellement constituée reprenne l’activité de SeaFrance et de ses navires pour un euro symbolique. Ceci aurait permis la continuité de l’intégralité des contrats de travail et une relance de l’activité immédiate avec préservation de la clientèle existante. En suspendant les traversées dès le 16 novembre, la direction de SeaFrance obérait les chances de reprise. En choisissant la liquidation le 9 janvier 2012, le Tribunal de commerce interdisait ce mode de reprise en SCOP. Pourtant, il n’est vraiment pas sûr que ces 65 millions d’euros couvrent la totalité des frais de liquidation (dont le montant des licenciement), les indemnités chômage à payer, ainsi que la perte de clientèle d’une absence sur le détroit de plus de huit mois. Quand fera-t-on enfin confiance aux salariés pour diriger leur entreprise ?