coopanameEntretien avec Noémie de Grenier, qui assure la co-direction générale de la Coopérative d’Activité et d’Emploi Coopaname, autour du projet de cette SCOP-SA. Un point de vue politique sur l’économie.

L’Association Aautogestion a consacré plusieurs articles aux Coopératives d’Activité et d’Emploi (CAE), ces entreprises partagées qui existent en France depuis une vingtaine d’années. Il en existe aujourd’hui plus de 70, regroupées au sein du réseau « Coopérer pour entreprendre », avec plus de 5000 entrepreneurs-salariés. Depuis la loi ESS de juillet 2014, elles ont désormais acquis une reconnaissance légale.

Coopaname est l’une d’entre elles, dotée d’un projet politique et économique exigeant, avec aujourd’hui près de 750 travailleurs et 180 associés répartis sur plusieurs sites en Ile-de-France.

Quelle trajectoires des coopanamien.nes ?
De nombreux coopanamien.nes viennent du salariat, et souhaitent travailler autrement. Critique des méthodes de management actuelles, de la hiérarchie ou des réorganisations incéssantes, elles/ils recherchent la maîtrise de leur temps et de leur outil de travail, sans pour autant souhaiter s’occuper seule.s des aspects administratifs, ni travailler seule.s.

Elles/ils arrivent par bouche à oreille, ou après une orientation de Pôle emploi, avec qui la coopérative travaille. Coopaname est en contact avec des conseiller.es des missions locales pour l’emploi, et les incite à ne pas orienter les candidats vers le statut d’auto-entrepreneurs.

Concilier croissance de la coopérative et démocratie
Depuis le passage du statut de SARL à celui de SA en 2008, Coopaname s’est dotée d’un conseil d’administration (12 personnes renouvelées par tiers chaque année), en plus de la co-direction générale, ce qui donne plus de poids aux associés.

Selon Noémie, les aspirations démocratiques viennent de la base, mais parvenir à une vraie co-construction des décisions n’est pas simple:

  •  les travailleurs sont autonomes et ne sont pas tous les jours dans les locaux. Certains sont accaparés par leur activité, d’autres au contraire souhaitent ne pas travailler trop.
  • un turnover important nécessite un effort particulier de formation. Il y a 150 nouveaux coopanamien.nes chaque année, 30 nouveaux associés, et 60 départs. Parmi eux, tout le monde n’est pas familier des principes coopératifs, il y a donc un enjeu d' »industrialisation » de la formation coopérative, pour que la participation de chacun.e soit la plus éclairée possible. Ce souci de la formation et d’une ouverture la plus large possible (notamment celles et ceux qui ne connaissent pas la coopération) fait partie du projet politique.
  • comment financer les temps démocratiques et la formation ? Le défi est de parvenir à gagner sa vie tout en s’impliquant dans la vie de la coopérative, et en finançant les services communs (comptabilité, administration,accompagnement, direction). Pour l’instant, ces derniers sont pris en charge à 40% par des subventions. D’autres CAE s’appuient moins sur les subventions, mais forment moins.
  • le rythme et les contraintes de temps sont ceux d’une entreprise classique.
  • Comment choisir des représentants, sans mise en concurrence ? Plusieurs scénarios sont en cours de discussion, dont l’élection sans candidat ou le tirage au sort.

Toutes les activités sont-elles bienvenues ?
Les activités de « prestations de services aux particuliers ou aux entreprises, petit commerce ambulant, intermédiation commerciale, artisanat et artisanat d’art » peuvent être hébergées (voir sur le site de Coopaname).
Mais les professions réglementées sont exclues (médecins, avocats,…), de même que celles nécessitant un investissement important, ou des assurances spécifiques (e.g. pratique de sports à risques).
Il existe des CAE spécialisées dans le bâtiment, les services à la personne, ou les professions artistiques.

Le lien avec la recherche
Un lien étroit avec les chercheurs a été impulsé par la première co-gérance, et se poursuit aujourd’hui grâce à la commission recherche, mais aussi des interventions lors des Universités d’Automne ou de colloques.

Il s’agit de s’interroger sur le fond (quelle futur pour le travail, quelles nouvelles manières de concilier sécurisation et autonomie), de porter un discours autonome dans les instances de légitimation scientifiques (colloques, etc…) ou de réaliser une étude précise sur les revenus à Coopaname et Oxalis.

Ce lien demande beaucoup de temps aux coopanamien.nes, mais selon Noémie, leur permet de bénéficier du savoir-faire des chercheurs (e.g. enquêtes statistiques), de leur expérience sur des problèmes apparentés (e.g. les intermittents et l’assurance chômage).

Cette coopération illustre plus largement l’ouverture de Coopaname: une thèse sera bientôt soutenue, une autre va démarrer. Des stagiaires sont accueillis, à qui seront transmis les savoir-faires et les valeurs de coopératives, et qui pourront ensuite faire jouer le bouche à oreille.

Nouvelles instances, nouveaux projets
Pour finir, nous évoquons trois projets en cours de développement:

  • La manufacture coopérative: comment fabriquer de la coopération ? Ce projet mené avec Oxalis et le Ladyss, vise à partager leur expérience avec d’autres structures qui ont le même projet politique, afin de les aider dans leur apprentissage de la coopération. Il peut s’agir d’une épicerie rurale, d’une association d’éducation populaire, ou d’une PME: ce qui importe est moins le statut juridique que le projet politique.
  • Le Poincaré: Coopaname participe à ce projet qui réunit un magasin, un espace de co-working, et un fablab, et qui ouvrira à Saint-Denis (93) en octobre 2015. Le magasin permettra notamment à des producteurs et artistes de toucher un public plus important; le fablab pourra être utilisé par des professionnels pour le prototypage, mais aussi pour l’éducation populaire aux techniques numériques de fabrication.
  • le CHSCT: pour Noémie, les SCOPS peuvent avoir la tentation de ne pas avoir d’instances de représentants du personnel (IRP), tel qu’un CE ou un CHSCT. Par exemple, l’enquête de Charmettant et al. sur les SCOPS dont nous avons déjà rendu compte (LIEN) montre que seules 5 entreprises de cet échantillon de 40 SCOPS rhône-alpines diposent d’une IRP. De plus pour les entrepreneurs salariés ayant des revenus faibles, les respect des normes de sécurité peut s’avérer coûteux. Coopaname s’est doté d’un CHSCT pour contribuer à la qualité des conditions de travail, et a récemment effectué une enquête.

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