Le président Macron juge leur colère illégitime, mais aura bien du mal à la faire taire. Malgré l’important dispositif policier et les tentatives d’intimidation, une foule joyeuse et bigarrée de plusieurs milliers de personnes a convergé au centre de la zone humide ce 15 avril. Déterminés à défendre ce qui se construit et s’expérimente dans le bocage nantais, des gens de tous âges et toutes professions sont venus montrer aux occupants qu’ils pouvaient compter sur eux. Loin de se vider depuis le début de l’opération policière, la zad s’est repeuplée. Reportage.
Il est 23h30 ce dimanche 15 avril à Notre-dame-des-Landes quand la grange nouvelle du Gourbis vient d’être montée. Acheminée à travers champs et chemins, à bout de bras et à la lueur des lampes frontales, l’édifice en bois est posée sur les ruines d’un lieu collectif rasé en début de semaine par les forces de l’ordre. Pour fêter l’événement, des feux d’artifice sont tirés dans la nuit. La joie est d’autant plus grande que le grand rassemblement de soutien et de reconstruction de la zad avait plutôt mal commencé.
Tôt le matin, les forces de police se sont déployées massivement dans la zone pour empêcher les manifestants de rejoindre le point de ralliement collectif, situé le long du chemin de Suez qui traverse la zad d’est en ouest. Les forces de l’ordre bloquent de nombreux accès, fouillent les véhicules à la recherche de vis et de planches, procèdent à des contrôles d’identité, somment les gens de laisser là leur véhicule pour poursuivre à pieds, voire leur conseillent de rebrousser chemin. A Vigneux, au sud de la zad, des piétons confient qu’ils tournent depuis plus deux heures pour essayer de rejoindre la manifestation. « Nous avons essayé divers routes et chemins, même à travers champs, on ne pouvait pas passer », rapporte Paul, la cinquantaine.
La bonne humeur est générale, la détermination intacte
Peu avant le carrefour de la Saulce, au coeur de la Zad, les gardes mobiles sont massés, nombreux, pour empêcher les manifestants de rejoindre la partie orientale où se situent tous les lieux détruits. Une centaine de personnes sont retenues à la Grée, un lieu de vie encore debout. Vers 14h, il est toujours impossible de traverser le carrefour. Une partie de la foule attend, un peu en retrait. Face aux policiers, suréquipés, des gens pique-niquent, jouent de la musique, jonglent avec des grenades usagées – 4000 auraient été tirées par les gendarmes depuis une semaine – et discutent. « @Macron #Menteur » dit une pancarte. « Vive les mômes et les voyous », lance une autre. D’autres se tiennent debout, à un petit mètre d’un cordon de gardes mobiles.
Derrière eux, des barricades sont surmontées de fleurs. Des sonos ont été installées. Des accordéonistes poussent la chansonnette. Des tables reçoivent des victuailles amenées de partout pour alimenter la lutte : chocolat, café, pain, légumes… Il y a aussi des clous, des vis, des marteaux, qui sont passés à travers les mailles des filets policiers ; ainsi que des bougies et des lampes, l’électricité ayant été coupée en plusieurs endroits depuis que les expulsions ont débuté, ce 9 avril, au petit matin. « Nous avons réussi à acheminer des matelas », sourient Rose et Michel, retraités et fidèles soutiens de la Zad.
A Bellevue, ferme « en dur » sauvée de la destruction en 2012, se pressent des familles, des retraités, des groupes d’amis, des gens venus en solitaire… Un ensemble bigarré semblable à ceux des manifestations de lutte contre l’aéroport. La bonne humeur est générale, la détermination intacte. Un regain d’énergie pour celles et ceux qui bataillent depuis une semaine pour tâcher de sauver ce qui se vit ici. « Pourquoi vouloir à tout prix empêcher ces gens de vivre sur les terres qu’ils ont défendues ? se demande Pierre, paysan. Ces gens interrogent nos modes de vie et notre société de consommation. Ils sont sans doute une partie de la solution pour sauver la planète du désastre. »
Loin de se vider en une semaine, la zad s’est repeuplée
À côté des sacs et tentes de ceux et celles qui dorment sur place, un stand Médic recueille les dons et les redistribue : jus de citron et masques, pansements, désinfectants, maalox… En une semaine d’affrontements, plus de 100 blessés ont été recensés côtés occupants et soutiens. La gendarmerie annonce une soixantaine de blessés. Un peu plus haut, un hangar bâti en bois local abrite une activité intense : on scie, on coupe, on assemble un campanile. Cette mini charpente en bois doit surmonter le grand bâtiment qui sera reconstruit au Gourbis dans la soirée. L’ensemble de la charpente a été réalisée pendant la semaine avec du bois de la zad par des dizaines d’artisans solidaires.
Vers 15h, un cortège s’ébranle de Bellevue pour rejoindre la foule massée sur la partie ouest du chemin de Suez. Le joyeux bruit des bâtons qui tapent le sol retentit entre les arbres vert tendre. « On avait promis, en octobre 2016 [alors que des menaces d’expulsion étaient pressenties, ndlr] que si les forces de police revenaient, nous serions là. Et bien, nous sommes là », sourient deux amies arrivées la veille de Paris. Deux bus de manifestants sont venus de la capitale pour défiler à Nantes, avant de participer au rassemblement de dimanche sur la zad.
Solidement porté par une trentaine de personnes, la structure de bois qui supportera la nouvelle grange s’ébranle. « Nous allons l’amener le plus près possible du Gourbis », explique Guillaume, habitant de la ferme des Cent noms qui a été détruite en début de semaine. « Il faudrait du monde pour dégager les barricades, et le laisser passer » ajoute Camille, le prénom générique que se sont choisis les occupants souhaitant rester anonymes. La foule s’exécute et le campanile repart. « Quand on pense que le gouvernement imaginait que tout serait réglé à la fin de la semaine », s’esclaffe un groupe d’amis en regardant l’émulation qui règne tout autour d’eux… Le 9 avril, au déput de l’opération policière, on recensait environ 250 « zadistes » présents. Le 12, leur nombre avait triplé, et ce 15 avril, ils sont plusieurs milliers. Loin de se vider en une semaine, la zad s’est repeuplée.
Du gouvernement ou des zadistes qui sera le plus endurant ?
La foule qui accompagne le campanile réussit à contourner le dispositif policier. « Les manifestants ont fait reculer plusieurs fois les lignes policières, chantant côte à côte bâtons en main », se réjouissent des « Camille ». Tard dans la nuit, une fois les policiers partis, l’autre partie de la charpente réussit elle aussi à passer côté oriental. « Le gouvernement a dû aujourd’hui constater de nouveau qu’on ne peut écraser notre désir de collectif par la terreur et la destruction ! », écrivent les occupants de la zad en fin de journée.
Des actions de solidarité ont eu lieu dans diverses villes ce week-end, et devraient sans doute se poursuivre. Le mouvement de lutte appellle à la convergence avec le reste du mouvement social, la « coagulation » que craint Emmanuel Macron. « De gré, de force, nous garderons la Zad ! chantaient les occupants qui ouvrent la marche en début d’après-midi ce dimanche. Jamais nous ne partirons ! » Le matin du 16 avril, les forces de l’ordre sont cependant revenues : la grange édifiée dans la nuit a été rasée à coup de tronçonneuses. La « guérilla » pour la reconstruction des lieux détruits sera longue. Reste à voir du gouvernement ou des zadistes qui sera le plus endurant.
Article original : https://www.bastamag.net/De-gre-ou-de-force-nous-garderons-la-zad-une-epreuve-d-endurance-s-engage-entre
Lire le précédent article de Bastamag : Sur la Zad, « les gens arrivent de partout » pour défendre et reconstruire