Avec l’annexion du 29 août 1910, le Japon fait de la Corée une province et la soumet à un régime capitaliste de fer, quasi-féodal. Les ouvrier·es doivent déposer une garantie financière pour être embauchés et ne peuvent pas quitter leur travail sans l’autorisation de leur patron. Ceux et celles qui se risquent sont traqué·es par les autorités militaires japonaises. Repris·es, ils·elles peuvent faire face à de lourdes amendes et subissent le plus souvent des tortures en guise de punition. Le salaire moyen est inférieur de moitié à celui des travailleurs japonais et la durée quotidienne de travail dépasse les 12 heures. Les populations paysannes sont massivement déplacées et leurs terres accaparées par les Japonais ou leurs affidés. La liste des exactions japonaises ne se clôt pas ici et son souvenir est toujours vivace dans la société coréenne. La question des femmes dites de « confort » – la prostitution de femmes coréennes pour les troupes japonaises – est encore aujourd’hui une source de tension avec le Japon.

Dans cette situation où oppression nationale et sociale se confondent, la formation de coopératives clandestines est un outil de résistance à l’oppresseur japonais. En 1920, l’Association d’aide mutuelle des travailleurs coréens est fondée. Quatre ans plus tard, la Fédération générale du travail de Chosun, Chun Pyong, apparaît. Ses buts sont explicitement la défense des intérêts de classe des ouvriers et la lutte contre le régime impérialiste japonais. Selon Minsun Ji (2016) « Chun Pyong considérait les coopératives comme un élément clé de la lutter contre le capitalisme… ». D’autres organisations, sous influence communiste, apparaissent, comme l’Association des femmes travailleuses dont un des objectifs affichés est d’acheter des biens de consommation collectivement en vue de fonder une coopérative de consommateurs. Coopérative (200 000 membres) qui apportera son soutien matériel à la grève générale de Wonsan en 1929 qui a duré plusieurs mois 1. La coopérative de consommation proposait à ses membres des denrées de 20 à 40 % moins chers. Elle organisa également une campagne de boycott des produits japonais. En 1937, soit 17 ans après sa fondation, le pouvoir militariste japonais l’écrase violemment. En raison de la répression japonaise, de nombreuses coopératives agissent dans la clandestinité, mais elles contribuent à radicaliser le mouvement paysan et ouvrier.

Autogestion ou normalisation ?

Avec la défaite militaire du Japon, le pays en coupé en deux. Au nord l’entrée des troupes soviétiques signe la fin de toute activité indépendante du mouvement des coopératives englouties dans le glacis stalinien. Au sud, les troupes américaines imposent leur loi. En 1945, le premier syndicat légal Chun Pong met la question de l’autogestion ouvrière au cœur de son projet de transformation sociale dans la Corée d’après-occupation. Chun Pong organise différentes structures pour assister les travailleurs dans la reprise en main de leurs entreprises. Ces structures portent différents noms : comités d’usine, comité d’autogestion. Selon le syndicat, 728 entreprises possédaient de telles structures dans 16 industries différentes et comptaient au total 88 000 membres. Dans un communiqué de novembre 1945, le syndicat déclare : « Laissons les comités d’usine reprendre les entreprises détenues par les impérialistes japonais ou les traîtres coréens qui étaient du côté des Japonais, ainsi les travailleurs pourront participer à la gestion des entreprises ». Ce mouvement pour la gestion ouvrière ne touche pas seulement les entreprises japonaises implantées en Corée, mais aussi des sociétés capitalistes coréennes. Cependant comme au Japon à la même époque (voir volume 3 de Autogestion, L’encyclopédie internationale, « Seisan kanri ! », Patrick Le Tréhondat ) les autorités militaires américaines ne peuvent pas accepter cette menace de bouleversement social. Libération doit rimer avec restauration du capitalisme coréen. Aussi elles s’empressent d’interdire les coopératives et c’est de nouveau la clandestinité pour le mouvement coopératif. Des dirigeants syndicaux sont incarcérés. Sous l’effet de la violente répression, Chun Pyong voit ses effectifs passer de 553 408 membres à 2 465. Dans cette nouvelle situation où les coopératives disparaissent les unes après les autres, le syndicat organise des « universités de nuit », lieux de discussion et d’échanges mais aussi de formation à la pratique coopérative. Les grèves sauvages qui peuvent éclater recueillent cependant le soutien de certaines coopératives en survie. Mais très vite, la guerre de Corée (1950-1953) entrave tout développement du mouvement social. Dans les années 1960, après le coup d’État en 1961 du général Pak Chunghui qui ouvre une longue période de 26 années de dictatures successives, la nouvelle légalisation anti-syndicale conduisit le mouvement ouvrier à développer de nouveau des coopératives ouvrières informelles de consommation. Pour soutenir les travailleurs en grève ou même pour reprendre la gestion de leur entreprise. Par exemple, l’église Youngdeungpo promeut en 1968 des coopératives ouvrières de textile, moyen de développer un syndicalisme indépendant capable de résister à la dictature. Le souffle autogestionnaire atteint également la compagnie de taxi Gangdong où les travailleurs s’emparent de la majorité des actions de la société. Lorsque les travailleurs du chantier naval Sin-ah Josun obtiennent 53% des actions, ils décident de convertir la société en coopérative ouvrière. Un des ardents défenseurs de l’autogestion en Corée, le père Kim Hongil, explique qu’« avant les années 1990, les militants des mouvements sociaux préféraient utiliser les mots de « commune collective » ou « autogestion » plutôt que « coopérative ouvrière », même si le sens était le même ». De nombreux religieux, notamment catholiques, étaient à l’époque engagés dans la défense des couches sociales paupérisées et étaient à l’initiative de coopératives. Les églises restaient les derniers espaces de réunions libres. En 1992, la coopérative de couture Fil et aiguille est fondée par le père Kim Hongil et ses objectifs affichés sont l’indépendance économique des travailleurs et le changement social du pays. Fil et aiguille organise des « universités du soir » où l’expérience des coopératives de Mondragón en Espagne est, par exemple, présentée et très discutée. Mondragón constitue en Corée une référence importante pour l’ensemble du mouvement coopératif. En 2016 un des dirigeants catholiques de ce mouvement, le père Song, reconnaissait avoir appris beaucoup de l’autogestion lors de ces « universités du soir ». « Nous connaissions le mouvement des coopératives au Japon, mais plus tard nous avons étudié le cas de Mondragón qui nous a donné l’espoir de créer des coopératives similaires » déclarait-il en 2016. Cependant selon Minsun Ji (2018) « ces coopératives ouvrières échouèrent parce que leurs animateur·trices étaient plus occupé·es aux perspectives de changement social que par l’acquisition de qualification de gestionnaire ». La coopérative Fil et aiguille disparaît en 1994, deux années après sa création. Cependant, l’idée coopérative a de nouveau germé et dans les années 1990, huit coopératives de couture voient le jour à Séoul. Elles s’unissent en réseau et créent un label commun, Jeo Ba Du Chi. Elles ont survécu jusqu’à la fin des années 1990.

Toujours selon Minsun Ji, « marqué par le mouvement démocratique radical de 1987 [contre la dictature], le mouvement des coopératives ouvrières de la fin des années 1980 et 1990 cherchait à créer une conscience collective et politique parmi les travailleurs basée sur des questions de justice sociale, comme la promotion de la démocratie, l’éradication de la pauvreté, l’accès à des logements décents et abordables, un développement urbain équitable… Le mouvement des coopératives ouvrières tout au long des années 1990 était un mouvement social basé, au-delà des intérêts individuels des coopérateurs, sur la défense de la classe ouvrière en général contre l’État et le capitalisme » (2018).

En 1987, la transition démocratique est ouverte par l’élection démocratique du général Roh Tae Woo, ancien soutien d’un coup d’État de 1979. Dix ans plus tard la violente crise économique de 1997, oblige l’État à réorganiser sa politique en matière sociale. À la poursuite d’une croissance à retrouver et d’une diminution du chômage, il décide d’accaparer le secteur coopératif à ses fins. Il s’agit là aussi d’organiser un sas social qui contienne la révolte populaire. Une sorte de chambre de décompression sociale, où l’État trouve le moyen de réduire le coût de l’État-providence en déléguant aux coopératives l’entretien de filets sociaux. Avec l’élection en 1997 de Kim Dae-Jun, l’État accélère cette réorientation. Les lois en faveur de « l’économie sociale » s’accumulent. Des missions gouvernementales se rendent en Europe pour étudier les mouvements coopératifs et se documenter sur les législations en vigueur. Cependant, des expériences plus avancées apparaissent comme la reprise par les syndicats de la majorité des actions des sociétés de taxis de Gangdong et Sin-ah-Josun. Mais ces exemples restent très limités. Du côté de l’État, des centres pour l’économie sociale sont développés. En 2014, il y avait 267 centres de ce type. Mais globalement, le mouvement coopératif se retrouve phagocyté. Ainsi la Fédération des coopératives agricoles, la 8e plus importante fédération de coopératives au monde dans ce secteur, est totalement sous le contrôle de l’État. Le président de la Fédération des coopératives ouvrières considère dans une interview en juillet 2016, que sur les 300 coopératives ouvrières déclarées, seules 10 % d’entre elles sont véritablement régies par de réels principes de coopératives ouvrières. Soutenues par un discours moderniste de l’État, des pratiques de cooptation de dirigeants de coopératives, on comptait 11 000 coopératives en 2018 et 275 coopératives ouvrières.

Face à ce dévoiement il insiste sur les relations, voire l’unité avec le mouvement syndical et ajoute :

Je crois que les coopératives ouvrières sont un nouveau mouvement ouvrier. Alors que les mouvements de travailleurs précédents se limitaient à s’organiser au niveau syndical, ce qui rendait difficile l’organisation des travailleurs dans les petites unités, notamment celles des services, les coopératives apparaissent comme de bons instruments d’organisation. C’est là le nouveau rôle que peuvent jouer les coopératives ouvrières dans un continuum du mouvement ouvrier. Elles restent un nouveau mouvement social des travailleurs ».

Pour Taegyung Song, responsable du réseau de coopératives Solidarité populaire pour la démocratie économique, « les syndicats n’ont jamais cherché à développer des relations avec les coopératives. Malgré le fait que le mouvement ouvrier peut apprendre beaucoup de choses de l’histoire des coopératives, il est déplorable que les syndicats de salarié·es contournent délibérément ou ignorent ces leçons. » (2013)

Cependant, de nombreux dirigeants syndicaux considèrent le mouvement coopératif d’un mauvais œil. Trop petit et trop modéré. Néanmoins, certains syndicats ont pu développer des relations avec des coopératives ou en créer comme le syndicat Busen avec son appui à une coopérative de consommateurs. Cette défiance du mouvement syndical à l’égard du mouvement coopératif, et à l’autogestion pourrait-on dire, le met en porte-à-faux face aux exigences de sa base ouvrière, comme par exemple lorsque, face à la faillite de l’entreprise automobile Daewoo Chosun en 1998, les travailleurs ont converti la société en coopérative ouvrière. Lors de cette crise, les syndicats se sont opposés à la reprise par les travailleurs de l’entreprise et le réinvestissement de leurs fonds de retraite pour financer la conversion en coopérative. Les raisons de cette opposition ont été clairement explicitées, en 2015, par le président du syndicat des transports : « Il est important d’établir une claire distinction entre les capitalistes et les travailleurs, car le rôle du syndicat est de s’opposer aux capitalistes. Sans cette distinction, comment pouvons-nous organiser les travailleurs ? » De nombreux syndicalistes observent que si l’État dit vouloir promouvoir l’économie sociale par toute une série de mesures et de lois, d’un autre côté, ce même État pratique une violente politique anti-syndicale et anti-sociale. Cependant, en Corée, au début des années 2000, la bougie autogestionnaire n’est pas encore complètement éteinte par l’étouffoir étatique.

Les coopératives médicales

Née à Anseong, en 1994, à l’initiative d’un groupe de paysan·nes et d’une association d’étudiant·es en médecine, la première coopérative médicale a pour but de dispenser des soins aux couches les plus paupérisées dans cette ville située à 80 kilomètres de Séoul. 5 000 à 6 000 familles la fréquentent et elle emploie 15 médecins et une centaine de personnel soignant. Deux autres coopératives apparaissent rapidement à Incheon (banlieue de Séoul, 2,7 millions d’habitants) et Ansan (750 000 habitants). En 2002, celle de Daejon développe, à l’initiative de citoyenn·es, une monnaie locale. Pour Éric Bidet et Hyungsik Eum (2016),

Ce modèle traduit le choix de communautés locales d’organiser elles-mêmes une réponse à une problématique de santé et de cohésion sociale sur un territoire en favorisant l’accès aux soins de catégories en difficulté, en mettant l’accent sur la prévention et en privilégiant la prescription de traitements moins coûteux pour le patient et pour le système d’assurance maladie. Les coopératives médicales conjuguent donc l’intérêt mutuel, en ayant pour finalité de proposer des soins de santé répondant aux besoins de leurs adhérents et l’intérêt général, en poursuivant l’objectif de permettre l’accès aux soins à des catégories exclues du système de soins et de contribuer à réduire l’enveloppe globale des dépenses de santé, au moyen de la prévention et de traitements moins coûteux pour la collectivité… Par rapport aux autres formes de coopératives, les coopératives médicales représentent la première tentative de coopérative à sociétariat multiple. Une de leurs particularités est en effet d’associer, dans leur fonctionnement et dans leurs organes de contrôle, différentes catégories de sociétaires telles que des professions médicales, des représentants de la société civile et des usagers, y compris quelques fois, mais plus rarement, des personnes issues de catégories en difficulté (personnes handicapées, personnes âgées, femmes, paysans, citoyens pauvres, etc.).

En 2006, les coopératives médicales seront reconnues comme entreprise sociale par la loi de 2006 sur l’économie sociale. Toujours à l’affût, le Capital a également investi ces structures, considérant le domaine de la santé comme particulièrement rentable. En 2011, on pouvait déplorer que sur les 300 coopératives médicaales déclarées, seule une vingtaine le sont réellement et poursuivent des buts sociaux.

Les bus autogérés de Chosun

Les lignes de bus en Corée sont sous capitaux privées. Le premier syndicat de conducteur de bus est né en 1961. Dans la suite du vaste mouvement social de 1987, on assiste à une radicalisation du champ syndical désormais partagé entre le FKTU, Fédération coréenne des syndicats, plutôt conservatrice et collaborant avec l’État (seul syndicat autorisé pendant la dictature militaire) et le KCTU, Confédération coréenne des syndicats, plus radicale, et clandestine pendant la dictature militaire et affiliée à la Confédération syndicale internationale. C’est la première qui organise majoritairement les conducteurs de bus. Dans les années 2000, de nombreuses grèves ont agité le secteur du transport collectif et la KCTU a pu gagner en influence. Dès cette époque, ce syndicat revendique la propriété publique du système de transport urbain et sa gestion par les salarié·es. Habilement, en raison de la crise de 1997, le gouvernement accepte d’ouvrir des discussions sur la nationalisation partielle du secteur afin de socialiser les pertes subies par les entreprises privées, mais sans accepter une ingérence des syndicats dans la gestion. Une gestion « quasi-publique » de ligne de bus entre en vigueur à Séoul en 2004 ainsi que dans quatre autres villes importantes. Ailleurs les lignes de bus restèrent privées. Dans la région de Chugon, une étude syndicale en 2010 indiquait que les salaires des conducteurs de bus étaient en dessous du salaire minimum et que l’obligation faite aux conducteurs de réaliser le trajet de leur ligne en un minimum de temps augmentait le taux d’accidents (les journées de travail étant de 12 à 15 heures). La KPTU, branche transports de la KCTU, réclamait à chaque conflit la propriété publique des entreprises, l’amélioration des normes de sécurité pour les passager·es et les conducteurs, des normes écologiques, la participation des usager·es à la gestion du système de transport et la titularisation des intérimaires. Ces conflits donnent lieu à des interventions brutales de la police et parfois, à l’arrestation de syndicalistes.

La ville de Chungju de la province du Chungcheong, dans le nord, compte six entreprises privées de bus et 950 travailleur·euses pour 407 bus. En 2004, en raison de difficultés financières, Woojin, la plus importante société de bus de la ville, décide subitement de ne plus payer ses salariés (pendant plus de deux mois) et d’arrêter ses activités. En juillet 2004, les salarié·es se mettent en grève (qui dure 171 jours) et votent à 90 % la reprise de la société en autogestion. Les grévistes demandent l’arrestation des propriétaires et occupent pendant trois jours la mairie de la ville. Ils et elles exigent de la municipalité la réduction de la dette de l’entreprise afin de permettre sa transformation en coopérative ouvrière. La mairie accepte de réduire la dette de 5 millions de dollars et l’appropriation sociale de la société. Chaque salarié·e investit 5 000 dollars dans la nouvelle entreprise et en janvier 2005, la coopérative ouvrière assure de nouveau les transports urbains avec 300 conducteurs. Les travailleur·euses votent par ailleurs leur affiliation collective à la KCTU, rompant avec la FKTU. Jaesoo Kim est élu comme représentant du syndicat. Selon Minsun Ji (2016) les principes qui animent la coopérative s’inspirent du modèle yougoslave. Pour Jaesoo Kim :

Le but de la coopérative autogérée est que tous les membres aient les mêmes droits en tant que travailleur·euses et l’obligation d’agir pour l’autogestion de l’entreprise, selon des principes transparents et démocratiques et ainsi créer une entreprise publique et sociale au nom de la valeur « travail », et que cela bénéficie largement à la société avec un sens de la responsabilité sociale (2015).

Kim ajoute que, selon lui, les travailleur·euses ne sont pas « propriétaires » de l’entreprise. En effet, une enquête menée auprès des travailleur·euses de la société indique sur 165 personnes interrogées, 157 (96 %) se définissent comme travailleur·euse et 4% comme propriétaires. Ces résultats, indique Minsun Ji (2016), sont à l’inverse d’une même enquête auprès des membres de la coopérative de taxis de Denver (USA) où 71 % se définissent comme propriétaires.

À la création de la coopérative, il avait été décidé de séparer les tâches de gestion et de travail afin de ne pas susciter le sentiment de propriété chez les salarié·es et qu’aucune interférence négative ne nuise à sa gestion. Heegu Ji, directeur de la coopérative, expliquait que « nous pensions qu’être une entreprise autogérée ne signifiait pas les salarié·es pouvait faire n’importe quoi. » Pour de nombreux syndicalistes, l’investissement des travailleur·euses pouvaient les conduire à se comporter en capitalistes. Les gestionnaires, une fois élu·es, étaient les seul·es responsables de la conduite des opérations. À la suite de plusieurs conflits, une réorientation s’est imposée. Désormais, les travailleur·euses devaient être associé·es à la gestion à tous les niveaux. Un programme de formation des salarié·es (d’une durée de six mois), à « l’école de l’autogestion » créée pour l’occasion, est mis en place afin d’acquérir des compétences en matière de gestion mais aussi une maîtrise la plus complète possible des principes d’autogestion. Par ailleurs, des cours d’histoire, d’économie…sont aussi dispensés. En 2006, 120 des 300 salarié·es avaient suivi ce cursus de formation autogestionnaire. Un « comité d’autogestion » composé de treize membres, huit élus par les travailleur·euses et cinq de gestionnaires est alors mis en place. Des sous-comités (comité d’embauche, de sécurité…) sont également installés où les salarié·es se rencontrent tous les mois et prennent des décisions. Tous les membres de la coopérative sont syndiqué·es, excepté le représentant de la coopérative Jaesoo Kim, mais son salaire est égal à celui des conducteurs de bus. Un comité de conducteurs de bus gère les questions quotidiennes des lignes de transport.

Contagion

L’exemple de Chosun sera repris en mai 2005, à Jinju, lorsque l’entreprise de bus Samsung tombe en banqueroute. Au terme de 101 jours de grève, les salarié·es reprennent en août 2005 leur entreprise, selon le modèle de Chosun, et ses 242 conducteurs de bus. En août 2006, une autre compagnie de bus, après 133 jours de grève, sera également reprise par ses salarié·es. Le même mois la compagnie de bus Sinil (90 bus) est en faillite (6,5 millions de dollars de dettes). La longue grève de 133 jours de ses salarié·es est tragiquement marquée par le suicide public d’un salarié désespéré, Jung Taebon. En décembre 2006, les bus de la compagnie désormais autogérée circulent de nouveau. Les 116 salarié·es ont investi chacun·e 5 000 dollars pour acheter 73 bus. En février 2006, la compagnie Gukyoung est elle aussi en faillite. On hésite. Le Capital est-il incompétent ou rapace ? Les deux probablement. Le propriétaire de la société a disparu. Après quatre mois de grève, les salarié·es reprennent l’entreprise sous le nom de Dalgubul bus. Ici aussi, elles et ils abandonnent leur affiliation du FKTU, qui refuse de soutenir leur revendication de coopérative autogérée, et rejoignent les rangs de la KCTU. Les travailleur·euses réinvestissent 8 000 dollars chacun·e, 60 % de fonds de retraite, et adoptent le modèle de Chosun.

Que ce soit sous occupation japonaise, puis sous le protectorat américain pour enfin entrer dans un capitalisme débridé sous dictature militaire puis dans un cadre démocratique, le mouvement coopératif coréen n’a jamais disparu. On a vu que la question de l’autogestion en a toujours été le centre jusqu’à aujourd’hui. Ouvrir un dialogue avec ces autogestionnaires serait à l’évidence fructueux.

Sources

Minsun Ji (2016), With or Without Class: A Comparative Study of Union-Worker Cooperative Relations in the U.S. and South Korea, thèse, université de Denver.
Minsun Ji (2018) “The worker cooperative movement in South Korea: from radical autonomy to state-sanctioned”, Labor History, vol. 59, 2018 – Issue 4.
Bidet Éric et Hyungsik Eum, « L’émergence du modèle coopératif en Corée du sud », Revue internationale de l’économie sociale, n° 341, mars 2016.
Bidet Éric et Hyungsik Eum, « Dynamiques de l’économie sociale en Corée du Sud », Revue internationale de l’économie sociale, n° 332, avril 2014.

Notes:

  1. En 1929, la grève générale des dockers de Wonsan marque un nouvel élan du mouvement ouvrier. Malgré son échec final et son écrasement par la police japonaise, cette grève marque le début symbolique du mouvement ouvrier en Corée. Aujourd’hui les deux Corée s’en revendiquent. Pour le Nord, c’est la fierté du mouvement communiste, pour le Sud l’emblème de la lutte nationale.