Ce qui auparavant paraissait souvent impossible souvent s’avère très réaliste
Comment présenter un tel ouvrage ? Comment rendre la richesse des analyses, ou plus simplement comment donner envie de se confronter aux utopies concrètes, dont l’autogestion, réponse en espérance aux défis du monde d’aujourd’hui ? Sans vraiment de solution satisfaisante, j’assume ici une présentation en reconstitution/puzzle parmi tant d’autres, une des lectures transversales plausibles des travaux réunis.
Au delà des terminologies utilisées, pas toujours adéquates à mes yeux, la notion d’autogestion permet de poser une (des) alternative(s) aujourd’hui efficace(s) pour les actions/réappropriations immédiates de notre présent. Elle permet aussi de poser les alternatives, de se poser en alternative émancipatrice majoritaire pour demain.
Demain est déjà commencé. C’est pourquoi les auteur-es indiquent « C’est pourquoi nous devons constamment souligner ce qui dans les pratiques et les revendications des mouvements de contestation – qu’elles soient sociales, politiques, écologiques, nationales ou culturelles – exprime les aspirations à l’autodétermination et à l’autogestion. »
En alliant, leçons des expériences passées, radicalisation de la démocratie et proposition pour une activité de production autogérée, les auteur-e-s actualisent une part de cette « alternative radicale et globale qu’il faut construire et opposer pied à pied à l’ordre établi. »
Le patron a besoin de toi, tu n’as pas besoin de lui.
Pour débuter ma lecture, je commence par un retour à la révolution française et à la notion de souverain traité par Sophie Wahnich « Commune et forme révolutionnaire » (pour approfondir « La Longue patience du peuple, 1792. Naissance de la République », Payot, Paris 2008). Derrière « la souveraineté effective d’assemblées délibérantes » l’activité politique est conçue comme continue. C’est, souligne l’auteure « une activité délibérative et communicative », la commune comme instance souveraine de la république.
Cette notion de souverain ne peut se dissoudre dans la représentation, aussi démocratique soit-elle. Une porte, fracture politique, est ouverte, les débats et pratiques pourront se développer, le temps de la démocratie de toutes et tous est enfin pensable. Restreindre la portée ou la puissance du souverain, c’est substituer à un ensemble à construire, un partiel résigné ; c’est courir le risque, historiquement souvent décliné, de privilégier certain-e-s acteurs et actrices ; c’est, dès le départ, une incomplétude, une solution dégénérative, aux problèmes de l’émancipation de toutes et tous.
Suivant les connaissances, les humeurs ou le voyages réels ou symboliques des un-e-s et des autres, l’exploration des expériences d’auto-contrôle des luttes ou des activités productives ou sociales pourra conduire la lectrice et le lecteur de la Catalogne révolutionnaire et libertaire au budget participatif de Porto Alegre, de la commune d’Oxaca aux conseils ouvriers à Budapest en 1956, de la lutte des Lip à Solidarnosc, à la démocratie autogestionnaire en gestation en Algérie des années 1960, aux multiples luttes dans des entreprises ici et ailleurs, du Poder popular au Chili sous Allende au printemps de Prague, aux œillets du Portugal en révolution, aux centres sociaux italiens, etc.
D’autres préféreront entamer leur parcours par des débats plus théoriques autour du bilan de l’autogestion yougoslave, de la Commune de Paris ou du dépérissement de l’État…
D’autres encore, s’affranchiront des marches plus connues, pour s’introduire dans les coopératives et la coopération, la démocratie d’entreprise, les bien universaux, le mouvement de contre culture allemand, l’histoire du mouvement syndical, le pouvoir lycéen, etc.
Sans oublier les thèmes autour de la crise, le marché et l’autogestion, l’espace médiatique, l’école, l’écosocialisme, Marx et le marxisme, le féminisme, l’articulation entre démocratie directe et démocratie représentative…
Un tel ouvrage présente forcement des lacunes, tant sur le périmètre géographique, que dans la profondeur du temps, ou l’approfondissement de certaines questions. Néanmoins, je regrette le non traitement des « auto réductions », ces grèves d’usagers en France et surtout en Italie au milieu des années 70 (Les autoréductions. Grèves d’usagers et lutes de classes en France et en Italie. 1972-1976, Christian Bourgois, Paris, 1976).
Quoiqu’il en soi, un ouvrage, non seulement bien venu tant pour l’éclairage réactualisé d’expériences du passé et du présent, mais aussi par l’incitation politique à formuler, reformuler, expérimenter des nouvelles formes d’organisation, de luttes ou de contre pouvoir. L’action propre, autoorganisation, coopération, coordination, autogestion, etc, permet de construire le présent comme élément du futur et le futur comme possible émergent de ces activités présentes. Elle permet aussi de se construire tant collectivement que individuellement comme être debout, actrices et acteurs réellement égaux.
Coordination Lucien Collonges (collectif) : Autogestion hier, aujourd’hui, demain
Editions Syllepse, Paris 2010, 695 pages, 30 euros