Nous venons d’apprendre ce 16 juillet le décès de notre cher et vieil ami Claude Kowal, un des fondateurs de notre association. Ses obsèques se déroulent aujourd’hui, à Sète. Notre association partage la peine de Françoise, de Laure, et de ses famille, camarades de lutte et amis.

Claude est né le 16 mai 1941 à Paris de parents juifs polonais installés en France dans l’entre-deux-guerres. Son père – Joseph Feldman – était ouvrier chapelier. Engagé volontaire en Espagne contre Franco, il a été déporté et meurt à Auschwitz en 1945. Sa mère, Sura Rosenfeld, se remaria et Claude fut adopté par son beau-père, Kowal. Dans ces circonstances, pour Claude comme pour beaucoup d’autres de sa génération qui, entourés de fantômes, ont pu échapper à l’extermination programmée, avoir survécu c’est dépasser les fragilités, même si elles peuvent se réveiller plus tard, par un véritable devoir d’agir pour que « plus jamais ça ». Et je ne peux m’empêcher de penser qu’il nous a quitté un 16 juillet, 83 ans exactement après la rafle du Vel d’Hiv’, comme pour rappeler que non, décidément non, ceux qui avaient programmé l’extermination des Juifs, et donc son propre assassinat, n’avaient pas gagné.
Nous n’oublierons pas. Nous avons commencé à rassembler témoignages et éléments pour que les 70 ans d’engagements de Claude soient connus, Mohammed Harbi m’a confirmé avant-hier qu’il fallait un hommage à la hauteur. Nous nous y attelons. Je me contenterai de rappeler rapidement quelques éléments, avec des souvenirs plus personnels[1].
L’engagement politique de Claude commence en 1956 : la guerre d’Algérie a commencé depuis 2 ans, c’est l’époque où le PCF vote les pouvoirs spéciaux en Algérie à Guy Mollet, quand les manifestations de rappelés ne trouvent pas de soutien des grandes organisations du mouvement ouvrier, quand au nom de « l’Algérie c’est la France »[2] la guillotine tombe sur les militants de l’indépendance algérienne. Claude a 15 ans, il est élève à Voltaire, lycée des quartiers alors populaires et ouvriers de l’Est parisien, il devient le premier lycéen membre du petit parti trotskyste, le PCI (Parti communiste internationaliste) qui a pris position, et agit, par internationalisme et anticolonialisme en soutien au FLN. C’est Gilbert Dalgalian [3] qui le fait adhérer et Claude à son tour y recrutera Hubert Krivine, frère jumeau d’Alain Krivine. C’est alors qu’il fait la connaissance – et y restera lié – avec celles et ceux qui constitueront le courant dit « pabliste ». Il y rencontre ainsi Bernard Richard.
Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, il est un « pied rouge », passant plusieurs mois à Bou Ismaîl, en relation avec l’expérience d’autogestion. Une fidèle amitié se noue avec Mohammed Harbi, et c’est à Claude qu’on doit l’idée des « Mémoires filmés ».
L’Algérie, l’autogestion, Il les aura au cœur au cours de toutes ces décennies, jusqu’au bout, quelqu’aient été ses appartenances : PCI, « Entriste » au PCF, La Voix communiste, AMR, PSU, CCA, Les Verts, Les Alternatifs, La LCR, et surtout son engagement syndical à l’ANPE (depuis Pôle emploi puis France travail) à la CFDT puis le SNU-FSU, dont il fut un des rédacteurs du bulletin, précédé d’autres engagements professionnels.
J’ai fait la connaissance de Claude au moment de la naissance des Comités communistes pour l’autogestion (CCA) au sein de la commission organisation en 1977. J’ai déjà évoqué dans une note sur Maguy Guillien les conditions qui étaient celles de « l’appareil » (les guillemets sont bien de mise) des CCA dans le local de la rue Gandon.
Claude Kowal considérait – avec raison – importantes les questions matérielles. Le local du 42 rue d’Avron loué par l’entreprise familale Kowal servit aussi de locaux pour la TMRI, les CCA entre le départ de la rue Gandon et l’aménagement de la rue Marcadet, ultérieurement à Syllepse, à Agir contre le chômage et d’autres, jusqu’au moment où le propriétaire des lieux s’aperçut que son locataire commercial n’était pas celui qu’il croyait…
Durant l’été 1977, tout étant à construire, c’est lui qui avait trouvé le local, négocié et signé avec la société éditrice de la revue L’œil, locataire sortante, le montant du droit au bail et signé, avant notre entrée dans les lieux, 10 mensualités de 2000 Francs, soit au total la somme de 20000 Francs (équivalent de 13000 € en 2024). Ce montant peut paraître ridicule aujourd’hui, mais pour les CCA c’était l’équivalent d’un mois de budget. Également très attaché à ce que nous disposions d’un matériel d’impression, il avait acheté dans les ventes des Domaines des machines, dont une très belle presse offset pouvant tirer jusqu’au format 35×50 (une pleine page du Monde), qui avait un seul défaut, l’absence de moteur, ce qui la rendait totalement inopérante. Pour ma première réunion de la commission d’organisation, ne venant pas de l’AMR, j’ai découvert ce qu’était une colère de Michel Fiant, vu partir de la réunion Annick, qui était prévue pour s’occuper de la trésorerie avec Claude – il avait été trésorier de l’AMR -, ce dernier renonçant aussi. C’est ainsi que – ce qui n’était pas envisagé – j’ai hérité de cette charge pendant près d’une année. J’ai en mémoire un moment où on marche à trois dans la rue Gandon : le « vieux » Jacques Grymblat (pseudonyme Privas) ancien du PCI, Claude, attentif au moral de son vieux camarade qui vivait seul – avec un moment d’échanges sur le chien qui lui tenait compagnie, et moi, assez impressionné, mais constatant qu’il y avait « trois générations de trésoriers » (PCI, AMR, CCA) réunie là.
Claude passait souvent, tenant à ce que le jeune que j’étais à ses yeux ne soit pas perdu. Une grande gentillesse, pleine d’attention mais parfois un peu trop « paternelle », je devais lui faire comprendre que je savais me débrouiller. Il voulait nous connaître, moi et d’autres camarades jeunes. C’était généreux, intérêt parfois maladroit, mais jamais de curiosité malsaine. Je me souviens d’une invitation chez Françoise et lui, à Verrières-le-Buisson ou à Massy, leurs deux filles étaient alors là – et ce fut une tristesse profonde quand j’appris plus tard le décès de l’une d’elles. Il me l’a dit plus tard, en 2010, pour lui, moi et d’autres on était un peu des « jeunes fous », vivant sur un rythme militant de guerre, négligeant l’importance de l’insertion professionnelle, de la vie. Avait-il totalement tort ? Le fait est qu’il s’en préoccupait.
Il évoquait sa propre vie professionnelle, et son intérêt – précurseur – pour l’informatique. Il avait attiré notre attention sur le rapport Nora Minc, L’informatisation de la société, parlait avec passion de l’informatique pour la presse[4], comme outil pédagogique, et du rôle de la « tortue », (ancêtre de la souris) dans les apprentissages.
Claude avait reconstitué le CRP (Collectif région parisienne) des CCA, et en septembre 1978 il me fit devenir permanent à mi-temps pour le collectif. Je tiens à dire qu’il faisait en sorte que je sois payé intégralement chaque mois, sans retard (ce qui n’avait pas été le cas l’année précédente au plan national). C’était un principe auquel il tenait. Il y eut encore quelques frottements entre nous, car il estimait que je m’occupais beaucoup du secteur jeunes (parisien et national), et pas assez de la région parisienne. J’avoue que c’est vrai. En mai 1979 je quitte la vie de permanent et inaugure une nouvelle (vraie) vie professionnelle. Claude avait été étonné que j’y sois arrivé sans difficultés, et surtout que – non diplômé de l’université– je consulte les annonces du Monde.
Nous nous sommes peu revus ensuite, il y eut les divergences au sein des CCA, les scissions, les choix différents, le déménagement de Claude et Françoise en province. Claude avait participé au livre, chez Syllepse, Autogestion hier, aujourd’hui, demain, C’est alors en 2011 que nous nous sommes retrouvés au moment du lancement de l’Association Autogestion. Il a joué un rôle moteur – étant provincial – pour les réunions en Skype de l’équipe web, l’alimentation régulière du site en articles (voir ici), pour des initiatives dans sa région, par exemple auprès des Pilpal… Claude – qui avait signé autrefois parfois sous le pseudonyme de Claude Walk – avait trouvé le nom de Colette Web pour la signature des articles collectifs de l’équipe (Je m’aperçois aujourd’hui que ce sont les mêmes initiales: « CW »). C’est au même moment qu’il me proposa de faire la connaissance de Bernard Richard, son vieux copain, réalisateur, pour faire un documentaire sur Mohammed Harbi, ce sera finalement les Mémoires filmés. Il ne me voyait plus comme un jeune un peu fou, mais comme plus sérieux. Je lui ai dit, ce n’est pas trop moi qui ai changé, c’est ta vision d’avant qui était erronée. Bref, on avait repris la discussion après 35 ans d’interruption… Quelle tristesse de ne pouvoir continuer encore pour concrétiser des réalisations « sur une idée de Claude Kowal ». Salut mon camarade, mon ami, plein de gentillesse, agaçant parfois, attachant toujours.
[1] Des courriers, notes, conversations, précisions de Gilbert Dalgalian, Gérard Grisbec, Mohammed Harbi, Jean-Pierre Hardy, Lucie Maïques-Grynbaum, Richard Neuville, Patrick Silberstein, Bernard Richard, Françoise Kowal et leur fille Julie Palau Kowal, ont permis de compléter – et corriger – ces souvenirs. Nous œuvrerons pour que Claude rentre dans Le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier/mouvement social.
[2] Selon les termes du ministre de la justice d’alors, François Mitterand.
[3]Claude était toujours admiratif vis-à-vis des polyglottes, et notamment de son ami Gilbert Dalgalian qui, outre ses qualités politiques et personnelles, est linguiste.
[4] Voir au Centre d’application des mathématiques appliquées à la MSH : Kowal, Claude. Programme de transformation de bandes d’entrée pour photocomposeuse . Not/33/Juillet 67/C. Kowal , Kowal, Claude. Deux photocomposeuses et un calculateur . Octobre 1969 , Kowal, Claude. Lumitype 713 : un système, plusieurs variantes . Novembre 1969, Kowal, Claude. Code de Commande de la lumitype 713 et mode d’utilisation . Not. /58/Janv. 70/C. Kowal, Kowal, Claude. Grynbaum, Joël. Structure du texte à l’entrée du programme de composition automatique . Not. /76/Octobre 71/ Claude Kowal – Joël Grynbaum
