La 9e Rencontre internationale du réseau de « l’économie des travailleuses et des travailleurs » s’est tenue en Argentine du 28 au 30 septembre 2023, dans les villes de Rosario et Puerto San Martín, dans la province de Santa Fe[i]. Elle a réuni près de 300 travailleuses et travailleurs des entreprises récupérées et autogérées, des représentant-e-s de coopératives, d’organisations sociales et populaires, ainsi que des membres de syndicats et des universitaires intéressé-e-s et engagé-e-s dans les pratiques autogestionnaires et le projet d’une nouvelle économie des travailleurs et travailleuses.

Si l’Argentine et les diverses provinces étaient fortement représentées, la diversité des délégations des autres pays était moindre que lors d’autres rencontres. Néanmoins, les pays proches tels que le Chili et l’Uruguay comptaient des délégations importantes. L’expérience du réseau acquise en Amérique du Sud et Centrale (avec notamment le Mexique) était très perceptible dans les débats. A contrario, le réseau euro-méditerranéen (État espagnol, France, Grèce, Italie) était faiblement présent et reste à structurer. Il est apparu clairement que le contexte critique à l’échelle mondiale, où la montée des droites et du fascisme dans de nombreux pays,  notamment dans l’hémisphère occidental et le continent européen, pesait dans les échanges, tout comme la crise actuelle que vit l’Argentine avec des dévaluations monétaires et un taux d’inflation extrêmement élevé.

Première journée à la Cooperativa de Trabajos Portuarios

La première journée s’est déroulée à la Cooperativa de Trabajos Portuarios (Coopérative de travailleur-se-s du port) de San Martín. Elle a débuté avec la présentation des comptes rendus du forum préparatoire de l’économie des travailleur-se-s de Mexico (Août 2023) et de la 1ère École internationale de l’autogestion (São Paulo – avril 2023). Ensuite, différents exposés sur la situation de la classe ouvrière dans le contexte de crises politique, économique, environnementale du capitalisme mondialisé ont été présentés. Face à la recrudescence de l’agressivité du pouvoir capitaliste néolibéral envers la classe ouvrière à travers le monde, comment résister et esquisser des alternatives ? Les confrontations entre les blocs géopolitiques et la crise environnementale  s’accentuent et touchent l’ensemble de la planète, ce n’est pas sans conséquences pour les travailleur-se-s quelles que soient les latitudes.

Ensuite, différentes thématiques reprenant les différents axes de débats ont été traitées dans les tables rondes : « l’autogestion comme pratique et comme projet alternatif », « État et politiques publiques dans l’économie des travailleur-se-s », « Précarisation, travail informel et capitalisme de plate formes », « crise écologique et alternatives autogestionnaires ».

Deuxième et troisième journées au Centre culturel La Toma[ii] à Rosario

Les deux autres journées se sont déroulées au Centre culturel La Toma[ii] à Rosario, au cours desquelles les tables rondes se sont poursuivies : « Problèmes et défis de la production autogérée (commercialisation, articulation entre les entreprises récupérées, etc.) », « Défis pour les organisations syndicales dans le contexte capitaliste mondialisé, « L’économie des travailleur-se-s dans une perspective de genre », « Actualité des entreprises récupérées dans le contexte global » et « Éducation populaire et production de savoirs dans l’économie des travailleur-se-s ». En plus, des ateliers sur le genre, la santé au travail, la construction de réseaux socio-économiques territoriaux se sont tenus lors de la 2e journée, qui s’est ponctuée par la présentation de livres. 

Dernier jour: solidarité avec les entreprises européennes

Le dernier jour, l’assemblée internationale a été l’occasion pour le réseau d’exprimer sa solidarité avec les entreprises occupées européennes : VioMe à Thessalonique et GKN à Florence, et les établissements récupérés argentins sous la menace d’expulsion : La Litoraleña (entreprise récupérée à Buenos Aires) et la Toma à Rosario. Un document d’intention avec des objectifs nationaux (liés à la problématique spécifique des entreprises récupérées par les travailleur-se-s argentins -ERT), régionaux et internationaux visant à consolider et renforcer les réseaux a été présenté par Andrés Ruggeri, coordinateur du réseau et directeur du programme Facultad Abierta au sein de l’université de Buenos Aires. En outre, de nouvelles sessions de l’École internationale d’autogestion sont envisagées au Brésil ou au Mexique. L’objectif principal est de renforcer l’articulation entre les différents acteurs engagés dans les expériences autogestionnaires ou solidaires de celles-ci et de confronter les pratiques pour une meilleure mutualisation.

Valorisation des niveaux régional et international

Les niveaux régional et international ont été valorisés lors de la 9ème Rencontre Internationale de l’Économie des travailleur-se-s.

Au niveau des Amériques, un accord a été trouvé sur cinq axes :

  • Avancer dans la consolidation du réseau de l’économie des travailleur-se-s grâce à la poursuite des rencontres régionales qui n’ont pas pu se tenir en raison de la pandémie.
  • Travailler sur la recherche politique et la législation comparative entre nos pays pour le secteur et voir les différentes solutions adoptées.
  • Chercher à établir des liens avec les organisations des pays d’Amérique latine qui ne sont pas encore membres de notre réseau.
  • Évaluer la formation d’une coordination permanente au niveau latino-américain du réseau de l’Économie des travailleur-se-s.
  • Poursuivre l’École Internationale d’Autogestion, dont la 1ère session a eu lieu en avril 2023 à l’École Nationale Florestan Fernandes à São Paulo, Brésil.

Au niveau international, en collaboration avec d’autres continents, il a été proposé de :

  • Consolider et élargir les réseaux régionaux d’Économie des travailleur-se-s. Pour l’instant, la 4ème rencontre régionale euro-méditerranéenne à Barcelone au printemps 2024 a été confirmée.
  • Consolider les réseaux régionaux existants et envisager de nouvelles rencontres régionales.
  • Travailler à la formation d’une carte mondiale de l’autogestion, sur la base des recherches et des statistiques disponibles et de la génération d’informations spécifiques qui n’ont pas encore été systématisées ou qui n’existent pas.
  • Explorer la possibilité d’une coordination internationale permanente et les sources de financement pour la soutenir.
  • Rechercher une articulation avec d’autres réseaux et organisations sectorielles et de classe.

Ces objectifs devront être débattus au sein des différentes organisations constituant les réseaux régionaux et internationaux. L’Association Autogestion et l’Union syndicale Solidaires sont actuellement les représentants français et participent au réseau depuis 2013. Elles s’investiront pour développer le réseau euro-méditerranéen et préparer la prochaine rencontre à Barcelone, elles participeront également à un meeting de solidarité avec les travailleur-se-s de GKN à Florence début novembre. Nos organisations avaient adressé plusieurs contributions écrites, dont certaines ont été présentées dans les tables rondes de la rencontre. Elles seront consultables prochainement sur le site internet des rencontres[iii].

Cette 9e rencontre internationale a été riche en termes d’échanges et dans un contexte  mondial complexe où les perspectives ne sont pas toujours lisibles ou peinent à s’esquisser, le réseau actif depuis 2007 va poursuivre plus que jamais son activité. Cette volonté a été exprimée clairement par Andrés Ruggeri : « dans tous les cas, notre réseau cherchera à coordonner nos actions, notre solidarité et notre lutte pour une économie des travailleur-se-s basée sur l’autogestion »[iv].

Richard Neuville

4 octobre 2023


[i]     9° RENCONTRE INTERNATIONALE, Rosario (Argentine) 28-30 SEPTEMBRE 2023,  Richard Neuville, 21 Sep    2023 : https://autogestion.asso.fr/9-rencontre-internationale-rosario-argentine-27-30-septembre-2023/

[ii]Le centre culturel La Toma de Rosario est un supermarché qui a été récupéré par les employé-e-s en 2001 suite à une occupation décidée en réaction à la liquidation de l’établissement effectuée par les patrons. C’est depuis un espace aux mains des travailleur-se-s qui concentre aussi bien la production et la vente d’artisanat, la création et la production de spectacles et les sièges d’une cinquantaine d’organisations. 22 ans après, il reste toujours sous la menace d’une expulsion.

[iii]Site internet du réseau de l’économie des travailleur-se-s : http://economiatrabajadors.com/encuentros/

[iv]« Rosario: Se realizó el IX Encuentro Internacional de Economía de los Trabajadores », Agencia ANSOL, 3 octubre, 2023, https://ansol.com.ar/rosario-se-realizo-el-ix-encuentro-internacional-de-economia-de-los-trabajadores/politica/