Nous publions ici un texte de l’historienne Raquel Varela sur le rôle du Parti communiste portugais dans la période révolutionnaire qui va de la révolution des œillets en avril 1974 au coup d’État de novembre 1975 qui marqua la fin de la périodedu MFA.
Durant cette période, de nombreuses nationalisations ont été opérées. Si l’auteure interroge le pourquoi de ces nationalisations – sauvegarde et restructuration par l’État bourgeois d’entreprises en quasi-faillite ou produit de la mobilisation de la classe ouvrière ? – elle montre la faiblesse même du concept de contrôle ouvrier à l’égard de celles-ci. Le contrôle ouvrier s’applique à des entreprises gérées par les capitalistes ou par l’État et provoque de fait à une situation instable de double pouvoir qui pourra verser soit vers l’autogestion ou vers une reprise en main des actionnaires.
Pour le Portugal, l’État a su reprendre le contrôle des entreprises pour pouvoir les remettre en ordre de marche et les re-privatiser quelques années plus tard…
Suite de la première partie
Contrôle ouvrier : un débat avec l’Histoire
Dans les années 1970, le contrôle ouvrier constituait une revendication commune aux jeunes libertaires, aux sociaux-démocrates et aux syndicalistes réformistes (Brinton, 1975, p. 13). Néanmoins, ces différents secteurs usaient du même mot pour désigner des choses diverses. Le sujet, riche et polémique, fut amplement étudié et discuté dans des œuvres variées et centrales, dont seulement une partie sera évoquée ici.
Maurice Brinton (1975), par exemple, considère qu’en appeler au contrôle ouvrier est une manière de « détourner » les travailleurs de l’autogestion, seule revendication qui remet en cause le profit. Pour Ernest Mandel, aller au-delà du contrôle démocratique des entreprises capitalistes suppose que la définition du contrôle ouvrier soit étendue à l’autogestion, tout en précisant que cela n’a de sens qu’en tant que revendication transitoire (Mendel, 1973, p. 18-23). John Hammond use quant à lui d’une définition minimale : contrôle collectif des travailleurs•ses sur les entreprises, laissant ouverte la question du niveau de contrôle, pouvant aller des questions de gestion, comme celle des licenciements, jusqu’aux questions de distribution et de production (Hammond, 1981, p. 415). Au Portugal, en 1974-75, la notion de contrôle sur l’entreprise était utilisée de manière indéfinie pour désigner « participation à la gestion », « publicité des comptes » et contrôle sur la production (Santos et al., 1976, p. 49-50) ; les organisations politiques et syndicales n’établissaient pas clairement si le contrôle ouvrier signifiait le contrôle sur la gestion, la production et/ou la distribution, et s’il serait accompli par des assemblées démocratiques de travailleurs ou par les syndicats.
Dans cette étude, nous utilisons une définition restreinte du contrôle ouvrier – contrôle démocratique des travailleurs•ses, sur la production et la distribution des entreprises gérées par des capitalistes, ce qui impliquait l’abolition du secret commercial. Cette définition s’écarte aussi bien de la cogestion que de l’autogestion, et définit le contrôle ouvrier non pas d’un point de vue littéral mais dans son acception historique, comme revendication transitoire vers la collectivisation, dans la mesure où elle concerne les entreprises, gérées par les capitalistes et non par les travailleurs•ses, contrôlées au niveau de la production et de la distribution (rendant indispensable l’abolition du secret commercial ou l’ouverture des livres de compte) par des commissions de travailleurs•ses ou d’autres formes de conseils à la base dans les usines et les entreprises, et non par des syndicats.
En accord avec cette définition, il n’existe pas de contrôle ouvrier hors de situations révolutionnaires ; il apparaît donc comme une expression du double pouvoir. Le contrôle ouvrier est donc moins que l’autogestion en termes de gestion, mais politiquement son application est incompatible avec le processus d’accumulation capitaliste (ce qui n’est pas le cas de l’autogestion). Il s’agit d’une revendication transitoire, qui évolue soit vers la conquête du pouvoir par les travailleurs•ses, soit dégénère en cogestion. L’essence du contrôle ouvrier tient dans le fait que l’État ou les capitalistes dirigent l’entreprise/usine mais ne peuvent le faire contre les travailleurs•ses, si bien qu’une compréhension historique correcte de cette forme d’expression de la dualité de pouvoir doit passer par l’analyse de cas concrets de lutte au sein des usines et des entreprises, plutôt que des institutions qui se créent à partir de ces dernières. Cette définition insiste, pour cette raison, sur deux prémices essentielles : la dynamique de lutte de classes au niveau national et le processus d’accumulation du capital. António Gramsci et Léon Trotsky ont travaillé sur le premier aspect, Lénine sur le second.
Analysant le contrôle ouvrier durant la séquence révolutionnaire italienne de 1920-21, lorsque le chef du gouvernement – Giovanni Giolitti – présenta à la Chambre des députés un projet de loi sur le contrôle ouvrier pour faire face à l’occupation des usines en septembre 1920, António Gramsci écrit :
Pour les communistes, mettre en avant le problème du contrôle signifie […] mettre en avant le problème du pouvoir ouvrier sur les moyens de production, le problème de la conquête de l’État. […] Toute la loi qui porte sur cela qui émane du pouvoir bourgeois a une signification et une valeur uniques : elle signifie que réellement, et non simplement en paroles, le terrain de la lutte de classes a évolué, dans la mesure où la bourgeoisie est contrainte, sur ce nouveau terrain, de faire des concessions et de créer de nouvelles institutions juridiques ; elle est la preuve d’une faiblesse organique de la classe dominante (Gramsci, 1921, p. 1-2).
Léon Trotsky, discutant la question de la législation des conseils d’usines en Allemagne avec les anarchistes allemands, souligne le problème de la dualité de pouvoir et diminue la valeur de l’institutionnalisation de formes de contrôle ouvrier :
Je n’ai jamais parlé de conseils d’usine « légaux ». En outre, j’ai insisté sans équivoque sur le fait que les conseils d’usine sont seulement susceptibles de se muer en organes de contrôle ouvrier dans une situation de forte pression des masses, ayant mené au moins partiellement dans le pays et dans les usines à l’établissement d’une situation de double pouvoir. Il est clair qu’une telle situation a aussi peu de chance de se réaliser sous le régime légal actuel des conseils d’usine qu’il n’est possible de faire la révolution en respectant la constitution de Weimar ! (Trotsky, 1931, p. 1, traduit par l’auteure).
À propos de la discussion sur le contrôle ouvrier dans les entreprises nationalisées, Vladimir Lénine insiste sur la nécessité d’une nationalisation de l’intégralité du système bancaire (et non simplement d’une partie de celui-ci), ce qui impliquait la nationalisation des grands trusts industriels et commerciaux, puisque « sans abolition du secret commercial, le contrôle de la production et de la distribution n’irait pas loin qu’une vide promesse » (Lénine, 1976, p. 61-65). Il s’agirait d’une mesure bureaucratique et non d’un contrôle par les travailleurs•ses. La question était centrale pour les révolutionnaires russes et n’était en rien théorique. Le jour suivant la prise du pouvoir, le 7 novembre 1917, un projet de décret sur le contrôle ouvrier est rédigé :
Le contrôle ouvrier sur la production, l’achat et la vente des produits et des matières premières, leur stockage, comme sur les finances de l’établissement, est institué dans toutes les entreprises de l’industrie, du commerce, de la banque, de l’agriculture, des transports, dans les coopératives et toutes autres qui emploient au moins cinq ouvriers et employés […]. 2. Le contrôle ouvrier est exercé par tous les travailleurs de l’entreprise considérée, directement si l’entreprise est si possible que cela est possible, ou par l’intermédiaire de ses représentants, dont l’élection aura lieu immédiatement dans le cadre d’assemblées générales […]. 4. Tous les livres de compte et les documents, sans exception, ainsi que tous les entrepôts et dépôts de matériaux, d’outils et de produits, sans exception aucune, doit être constamment à disposition des représentants élus par les travailleurs (Lénine, 1976, p. 99-100).
La « bataille de la production » contre le « contrôle ouvrier »
À partir des nationalisations, la question de la gestion des entreprises et du contrôle ouvrier va se trouver à l’ordre du jour au Portugal. Cette discussion est centrale pour comprendre la politique du PCP face aux nationalisations mais aussi l’extension de la conflictualité sociale dans le pays. Le PCP se fonde sur une définition du contrôle ouvrier qui n’entre dans le cadre d’aucune des définitions énoncées plus haut, qu’il s’agisse de celles défendant une perspective en termes d’autogestion ou de celles qui insistent sur une forme d’incompatibilité avec le processus d’accumulation du capital. S’il en est ainsi, c’est que le PCP fera de sa définition du contrôle ouvrier une manière de mettre fin au contrôle ouvrier tel qu’il était en train d’être mis en place dans certaines entreprises, et que, dès ce moment, il soumettra le contrôle ouvrier à la « bataille de la production », soustrayant à ce processus toute dimension de conflictualité capital/travail.
La définition du parti est transparente (O processo…, 1975, p. 4) : organisation des travailleurs dans n’importe quels types d’organismes – syndicats, associations, coopératives, organisations de paysans, commissions d’habitants, etc. –, ayant en vue la défense de la Révolution et la réalisation de la bataille de la production, le « front principal de lutte de la classe ouvrière » (Ibid., p. 1). Il s’agit donc de participer à (et non de contrôler) la production, conjointement avec les syndicats – dans l’établissement de plans d’entreprise, des prix, la discussion des problèmes salariaux, etc. (Não…, 1975, p. 6) –, en lien étroit avec l’objectif que constitue la « bataille de la production ». Le secrétaire d’État au Travail et membre du PCP, Carlos Carvalhas, éclaircit le périmètre dans lequel le PCP maintient le « contrôle ouvrier » : « Cette bataille de la restructuration de tout l’appareil productif a pour vecteurs principaux une meilleure production, et de moindres coûts » (cité dans Avante!, journal officiel du PCP, voir Fazer…, 1975, p. 6). Carvalhas présente deux projets de loi qui visent – même s’ils ne seront jamais véritablement mis en place – l’établissement d’un contrôle strict des travailleurs•ses qui fait disparaître les formes réelles de contrôle ouvrier. Dans le premier projet de loi, en mai 1975, est proposé la constitution officielle de commissions de contrôle de la production, qui doivent participer à l’élaboration d’un plan d’entreprise et « veiller au développement normal de la production et à l’amélioration qualitative et quantitative » (Documento, 1976, p. 765-816). Dans le second projet, l’article 5 dispose que « l’activité des commissions ne pourra jamais être exercée contre les intérêts globaux de l’économie, si bien qu’elle ne pourra contribuer en aucun cas à la paralysie de l’activité productive régulière de l’entreprise ». Le projet établit également qu’il reviendrait aux commissions de contrôle de la production de « veiller à la réalisation du programme gouvernemental pour le secteur d’activité » (Ibid., p. 765-816). Dans Avante! est réaffirmé cette politique : création de commissions de contrôle destinées à garantir « la victoire de la bataille de la production » (Com o PCP…, 1975, p. 4).
Le « contrôle ouvrier » était, sous cette forme, soumis à la « bataille de la production » mais aussi à une autre politique qui s’ajoutait à celle-ci, à savoir l’opposition à ce que le PCP désignait à travers l’expression de « revendications irréalistes » de la part des travailleurs•ses. Cela dans un contexte où, même après les nationalisations, plus de 90% de la main-d’œuvre travaillait pour un patron privé, et où l’État demeurait capitaliste.
Dans un discours tenu lors d’une réunion publique du PCP, le 18 mai 1975 à Vila Franca de Xira, Álvaro Cunhal [secrétaire général du PCP] considère que la « grande tâche du moment » est bien la « bataille de la production » et qu’il doit être mis fin aux « revendications irréalistes » et aux grèves (Discurso…, 1976, P. 43-45). Dans une réunion tenue le 28 juin 1975 à Campo Pequeno, Veiga de Oliveira, le ministre communiste des Transports et des télécommunications du 4ème gouvernement provisoire, rappelle la victoire de la nationalisation des chemins de fer, de la TAP, des transports maritimes et de dizaines d’entreprises ferroviaires, et condamne la vague de grèves et de revendications mises en avant dans ces entreprises, considérées comme un acte de « sabotage » de la « réaction » (Com o PCP…, 1975, p. 4). Dans le même discours, il défend l’augmentation du prix des transports. C’est lors de cette même réunion que Vítor Silva, un ouvrier communiste de Mague, défend le contrôle ouvrier (Ibid.). Dans Avante!, on peut lire une note de la commission de travailleurs•ses de l’usine Socel où est affirmé que la bataille de la production « est nôtre et pour nous ». Dans le même communiqué, les travailleurs•ses considèrent qu’ils/elles peuvent avoir le contrôle de la production mais qu’ils ne doivent pas « travailler en-dessous d’une certaine limite d’efficacité » (A batalha…, 1975, p. 6).
Cette politique bénéficie d’un ample consensus au sein de la coalition gouvernementale, du Conseil de la Révolution et du MFA. Le PS et le PPD [parti de la droite libérale] déclarent que la situation difficile exige de bloquer les revendications (Coligação…, 1975, p. 1 et 20) ; Costa Gomes affirme que le travail est « une manière de soutenir la révolution » (O trabalho…, 1975, p. 9). Le 1er mai 1975, le discours de Vasco Gonçalves – alors premier ministre proche du PCP – est en harmonie totale avec la politique défendue par le PCP :
Notre crise économique est, en ce moment, l’obstacle fondamental qu’il nous faut surmonter. […] J’appelle ici tous les travailleurs, tous les patriotes, à s’engager dans la bataille de la production, dont le futur de la Révolution dépend. La bataille de la production est une étape nécessaire pour vaincre la crise économique et créer les conditions pour un futur développement de l’économique, pour ouvrir la voie au socialisme (Discours de Vasco Gonçalves…, 2009).
De nombreux•ses travailleurs•ses soutiennent cette politique, comme nous l’avons vu dans les pages du journal du PCP et selon d’autres sources (Patriarca, 1976, p. 765-816). Mais une telle politique suscite de fortes résistances dans quelques secteurs, à deux niveaux : la lutte se maintient pour le contrôle ouvrier, d’un côté, et les revendications – sur les salaires, l’opposition aux licenciements, la contestation des administrations – ne se modèrent pas, de l’autre.
Fátima Patriarca, dans une étude réalisée sur le contrôle ouvrier, donne des dizaines d’exemples de communiqués et de documents issus des assemblées d’usines et d’entreprises où la « bataille de la production » est rejetée, et où l’on défend le contrôle ouvrier, compris comme une mesure de lutte contre l’exploitation capitaliste et comme un moyen pour le mouvement ouvrier de faire émerger des dirigeants et une conscience de classe afin d’abolir le système de rapports capitalistes. À la Sociedade Central de Cervejas, un groupe de travailleurs•ses présente un document où il est affirmé que le contrôle ouvrier est une « expression du double pouvoir s’opposant à d’autres intérêts qui existent encore et qui ne sont pas ceux de la classe ouvrière ». Exigeant la nationalisation de l’entreprise, il déclare n’avoir de comptes à rendre que devant l’assemblée plénière de l’entreprise et rejette les mesures qui portent « uniquement sur le degré de l’exploitation et non sur le pouvoir des capitalistes » (Sobre o controlo operário na Sociedade Central de Cervejas, 1976, p. 765-816). Le Conseil de défense des travailleurs de la Lisnave écrit, le 17 juillet 1975, que le contrôle ouvrier consiste dans le contrôle de « ce qui se produit, comment, quand et pour qui ! », et repousse les mesures « s’inscrivant dans une bataille de l’économie visant simplement à produire davantage » (A situaçáo política e as tarefas da classe operária, 1976, p. 765-816). Les travailleurs des chantiers navals de la Margueira défendent également à cette date qu’ « il n’existe pas de contrôle ouvrier quand nous prétendons administrer les affaires du patron » (Controle operário, 1976, p. 765-816). Les travailleurs•ses de Sacoor, au Nord, proposent en mai 1975 de délivrer de l’essence et du gaz aux entreprises connaissant des problèmes économiques en raison de la fuite des patrons (ce qui constitue clairement un processus de contrôle ouvrier, puisque la proposition consiste à céder une partie de la production gratuitement). Ils défendent en outre l’idée que le contrôle ouvrier n’aura de portée réelle que s’il « aboutit à un accroissement de la conscience (des travailleurs), c’est-à-dire s’il permet de leur montrer de plus en plus clairement quels sont leurs véritables intérêts, et de poser la question fondamentale : la conquête du pouvoir » (Ibid.).
En guise de remarque conclusive, il faut rappeler que l’expression « bataille de la production » est issue d’un parallèle historique entre les directions communistes des pays centraux. Elle renvoie à la reconstruction européenne directement postérieure à la Seconde guerre mondiale, dont la signification historique – dans un contexte marqué par la défaite du fascisme, le prestige acquis par la résistance communiste et la ruine des économies européennes – fut l’acceptation d’une mise au second plan de la lutte de classes, au profit d’un effort national, interclassiste, de reconstruction de l’économie capitaliste, avec de nombreuses concessions aux secteurs ouvriers qui grosso modo virent la construction de l’État-providence. Autrement dit, la reconstruction capitaliste qui s’opéra après la guerre n’aurait pu être réalisée sous la forme qu’elle prit finalement sans la participation des directions communistes.
La direction du PCP présenta un scénario socio-économique selon lequel l’absence d’une stimulation de la production aurait engendré la ruine économique – et avec elle un coup d’État réactionnaire – mais aussi, comme nous l’avons écrit plus haut, que le Portugal était déjà engagé dans un processus de transition vers le socialisme. Les ouvriers ne travaillaient donc pas pour le patron mais pour la nation, ce récit étant soutenu par la nationalisation de quelques secteurs de l’économie ainsi que par la réforme agraire :
La bataille de l’économie et de la production va constituer dans la période immédiate le facteur déterminant du processus révolutionnaire. Ou les travailleurs accomplissent d’une manière nouvelle leurs tâches professionnelles ; ou tous les efforts pour élever le niveau de vie des classes laborieuses seront vains. La politique de nationalisations des secteurs fondamentaux et d’expropriation des grands domaines terriens, couplée à des formes de démocratie économique orientées vers le socialisme, devront s’accompagner d’une nouvelle morale du travail. Une action revendicative généralisée et irréaliste qui mettrait en péril la viabilité des entreprises nationalisées, le niveau d’emploi, dangereusement bas, et les exigences de la production nationale (qui visent à diminuer notre dépendance à l’égard de l’étranger), constituerait une action contraire à la consolidation du processus révolutionnaire dont ne profiterait que la réaction (A unidade…, 1975, p. 2).
Le PCP mène ainsi durant la révolution une politique de stabilisation de l’économie portugaise qui passe par la levée des entraves à la réalisation de la production, que ces entraves s’enracinent dans des secteurs de la bourgeoisie (sabotage économique, décapitalisation d’entreprises) ou qu’elles proviennent des travailleurs•ses (grèves). D’un côté, l’appel à l’intensification de la production, au travail gratuit, à l’augmentation du temps de travail, et de l’autre, au « contrôle ouvrier », qui suppose la surveillance de la production d’afin d’empêcher la décapitalisation des entreprises, le sabotage économique, etc., mais aussi la limitation des grèves et des revendications salariales. De ce fait, les trois politiques apparaissent toujours de manière conjointe : « bataille de la production » ; « contrôle ouvrier » ; « limitation des grèves » et « revendications irréalistes ». La « bataille de la production » constitua ainsi une politique visant à répondre au problème fondamental de la stratégie du PCP : comment continuer à faire partie de l’organisation de l’État, sans remettre en cause la nature de classe de cet État. Dans les usines et les entreprises où une telle politique fut appliquée – de manière variable selon le rapport de forces politique, le poids de l’économie nationale dans ces usines, les traditions de lutte des travailleurs•ses –, ses conséquences ne furent pas minces, puisqu’elle contribua à la gestion par l’État de ces entreprises en corsetant le contrôle ouvrier et en donnant le temps à la bourgeoisie de se réorganiser et de préparer le coup contre-révolutionnaire du 25 novembre 1975, qui mit fin au processus révolutionnaire, initié 19 mois plus tôt. Comme le signale John Hammond – et en cela la Révolution portugaise fut exemplaire –, l’intervention de l’État et le contrôle des travailleurs•ses sur la production étaient incompatibles : « Le rôle dirigeant de l’État dans les entreprises nationalisées limita dans ces dernières la portée du contrôle ouvrier » (Hammond, 1981, p. 423).
Traduit du portugais par Ugo Palheta.
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