Ecopla, c’est l’histoire d’un désastre industriel, d’une PME régionale qui disposait d’un savoir-faire unique en France et dont les salariés n’ont jamais été écoutés, en dépit du droit d’alerte dont ils disposent et qu’ils ont exercé. Ecopla, c’est aujourd’hui un combat de salariés pour maintenir une production dans l’espoir de voir cette entreprise repartir et se développer.
Ecopla fabriquait des barquettes en aluminium à destination de l’industrie agro-alimentaire. Basée à Saint-Vincent-de-Mercuze dans la région de Grenoble, cette entreprise est la dernière usine française disposant de ce savoir-faire. Anciennement filiale de Péchiney, cette entreprise a d’abord été vendue en 1996 à un groupe anglais, Ekco Packaging. Elle a ensuite été rachetée en 2001 par son concurrent NFP, puis cédée en 2006 au fonds de pension américain Audax. Reprise deux ans plus tard par la banque Barclays qui était créancière de ce fonds, elle sera cédée en 2012 à un businessman sino-australien, Jerry Ren, qui cherchait peut-être des débouchés pour ses entreprises d’extraction minière. Une histoire hélas banale dans le contexte de la financiarisation croissante de l’économie.
Très rapidement, les salariés se sont montrés inquiets de la tournure que prenaient les événements, notamment des remontées significatives de trésorerie vers la maison-mère anglaise, The Nicholl Group Companies, ou des facturations intra-groupes à des prix discutables. Ils utilisent alors leur droit d’alerte au printemps 2013. Dans la foulée, ils montent avec l’Union régionale des Scop Rhône-Alpes une proposition de transmission en coopérative qui sauverait quasiment tous les emplois. Ils n’ont pas été entendus et leur proposition n’a pas été retenue par le tribunal de commerce.
Les événements se précipitent alors. Le chiffre d’affaires chute en trois ans de 20 à 7 millions d’euros. Le 19 février 2016, c’est le dépôt de bilan suivi d’une décision immédiate de liquidation le 22 mars avec le licenciement de 76 salariés.
Vingt-six salariés décident de ne pas baisser les bras et remontent un dossier en collaboration avec l’UR Scop Rhône-Alpes. De nombreux clients souhaitent poursuivre la collaboration avec Ecopla. La solidité de ce dossier est rapidement établie comme en témoignent la variété et le montant des financements obtenus. Sur 2,4 millions d’euros, outre l’apport de 150 000 euros des salariés, ScopInvest s’engageait à investir 150 000 euros en titres participatifs, Socoden aurait apporté 50 000 euros, Transméa, 100 000 euros et France Active 150 000 euros. Soutenu par la préfecture, le fonds de revalorisation aurait apporté 400 000 euros. Le crédit coopératif aurait prêté 400 000 euros, le reste étant financé par du factoring et des mobilisations de créances. Un magnifique plan d’affaires qui garantissait l’emploi immédiat de 26 salariés avec un objectif de retour à 50 emplois à trois ans.
Au lieu de cela, jeudi 16 juin, le tribunal de commerce a préféré céder les presses, les moules et les outils pour 1,5 million d’euros à une entreprise italienne, Cuki, qui ne maintiendra aucun emploi et déménagera celles-ci de l’autre côté des Alpes. Motif : le tribunal de commerce peut ainsi régler la dette d’un montant équivalent auprès de l’AGS – le régime de garantie des salaires – contractée lors du règlement des primes de licenciement des salariés en lieu et place de l’actionnaire défaillant. Un calcul à très courte vue, car comme l’indiquait Meryem Yilmaz de l’UR Scop, « les indemnités de chômage des vingt-six salariés coûteront à elles seules 1,1 million, sans compter les effets récessifs de la perte de vingt-six emplois sur l’économie locale ». Karine Salaün, ancienne salariée et co-initiatrice de ce projet, s’insurge : « On doit payer les dettes d’un actionnaire qui n’a pas investi ! » Un véritable gâchis humain et une perte inestimable de savoir-faire.
Les salariés ne l’entendent pas ainsi et ont décidé de poursuivre l’occupation de l’usine durant l’été pour prévenir un éventuel déménagement des machines. Ils ont fait appel de cette décision et repasseront en audience le mercredi 5 octobre. Ils commencent alors des démarches auprès du gouvernement pour l’annulation de cette dette de 1,5 million d’euros auprès de l’AGS afin que le tribunal reconsidère sa décision et mette désormais l’emploi et la continuité de l’activité au cœur de ses priorités.
Ils chercheront en vain à établir le contact avec le ministère de l’économie. « Cela faisait deux ans que nous demandions à être reçu par Emmanuel Macron », explique Christophe Chevalier, ex-délégué CGT de l’entreprise. Un rendez-vous leur sera finalement proposé le 29 août, la veille de sa démission !
En déplacement à Paris pour la fête de l’Humanité, ils ont obtenu d’être reçus ce lundi 12 septembre par Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, accompagnée d’un représentant du ministère de la justice et d’un autre du ministère de l’industrie. Ne répondant pas sur l’annulation ou le moratoire de la dette de l’AGS, elle a indiqué qu’elle ne pouvait pas interférer dans une décision de justice, et qu’elle ne pourrait intervenir qu’après le 5 octobre, jour d’audience à la cour d’appel… On se demande bien comment.