Deux tendances contradictoires ont marqué l’année écoulée. D’un côté, une volonté nouvelle des salariés de prendre en main leurs affaires en se débarrassant du patronat afin de conserver leurs emplois, de l’autre, un refus très médiatisé d’une fiscalité redistributrice sous couvert de préserver l’initiative individuelle.

Comme nous l’avons dit maintes fois sur ce site, l’année 2012 a été une véritable rupture en termes de tentatives de reprises d’entreprises. L’année s’ouvrait avec SeaFrance et ses 880 salariés qui refusaient la liquidation de leur entreprise entérinée par Sarkozy au profit d’une reprise en SCOP. Leur projet a vu le jour en août 2012, dans une version, certes plus réduite, avec MyFerryLink.com. Bon vent à cette nouvelle compagnie !

Toujours dans le Nord, des anciens salariés du journal d’annonce Paru Vendu du groupe Hersant mis en liquidation reprennent leur activité sous forme de la SCOP Inter 59 dans un projet de complémentarité papier-Internet absolument innovant. C’est aussi l’année où une autre imprimerie, Helio Corbeil, repart sous forme de SCOP dans l’Essone. En fin d’année, la petite société de haute technologie SET située en Haute-Savoie, échappe à un rachat par un groupe américano-singapourien (Kulicke & Soffa) et se transforme en SCOP par la volonté majoritaire de ses salariés. Même chose pour Fontanille en Haute-Loire ou les Atelières, SCIC créée par des ex-Lejaby. Dans le même temps, les salariés des glaces Pilpa à Carcassonne ont réussi à repousser en justice le plan « social » de la direction tout en prévoyant éventuellement un reprise en SCOP. Configuration très proche celle de la lutte des Fralib qui dure depuis presque trois ans. Ici le groupe Unilever souhaite fermer la dernière usine de conditionnement de thés et d’infusions de France. Les salariés ont jusqu’à présent réussi à faire annuler deux plans sociaux par le Tribunal d’instance de Marseille et opposent à leur direction une reprise en SCOP avec le maintien d’une centaine d’emplois, de la marque Eléphant et la relance d’une filière locale d’arômes naturels sur les bases du commerce équitable.

A l’opposé, les premiers jours du gouvernement de François Hollande ont été marqués par l’affaire des Pigeons, des entrepreneurs qui se sont regroupés sur Internet contre la taxation des plus-value au barème progressif : l’argument était que la plus-value représentait le travail de plusieurs années et ne pouvait être taxé en une seule fois. Argument a priori de bon sens auquel le gouvernement s’est rapidement plié. Pourtant l’affaire est loin d’être simple : est-ce que le succès de l’entreprise appartient réellement à ses fondateurs et ne doit pas aussi être mis au compte des salariés ? Est-ce que des succès d’entreprises coopératives telles que Mondragón en Espagne ou Acome et Chèque déjeuner en France ne témoignent pas de cette réalité ? Derrière cette plus-value, même taxée, se cache l’appropriation privée : l’entreprise passe dans de nouvelles mains, les salariés ne sont plus que des pions dont on peut éventuellement se débarrasser pour délocaliser demain une production. En ayant cédé sur ce point, la grande boite de Pandore de la contestation fiscale a été ouverte tout azimut, avec un crédit d’impôt de 20 milliards pour les entreprises au nom de la compétitivité, une censure du Conseil constitutionnel de la taxe à 75% des revenus supérieurs à un million d’euros et le départ rocambolesque de Gérard Depardieu en Belgique.

Là se trouve sans doute le nœud central de cette question fiscale : allons-nous accepter que se forment des revenus mirifiques qu’il faudra ensuite reprendre par la voie de la fiscalité ou allons-nous faire de l’acte d’entreprendre ce qu’elle est dans la réalité, une démarche collective ? Même si l’insertion du groupe Mondragón dans l’économie de marché n’est pas sans poser des problèmes de dégénérescence capitaliste, comment expliquer que dans ce groupe coopératif comprenant 85000 travailleurs, l’écart des salaires reste raisonnable (1 à 9 maximum) alors qu’il est franchement indécent dans les groupes du CAC40 ? Tout simplement parce que les dirigeants des groupes capitalistiques ne sont que des mercenaires du capital dont l’objectif est de s’assurer que leurs salariés travaillent bien dans le sens des actionnaires alors que cela n’est pas indispensable dans les coopératives de production où les salariés travaillent pour eux et ne laissent rien à quelque actionnaire que ce soit. Là se trouve l’origine de la prétendue réussite individuelle : le besoin pour le capital de trouver des « talents » qui sauront œuvrer à sa valorisation. Vouloir reprendre par la fiscalité les revenus indécents produits par le capital est une voie, certes défendable, mais dont il ne faut pas attendre des merveilles. Ne vaut-il pas mieux défendre une hausse des salaires individuels comme des cotisations sociales, qui réduiront les profits et ouvriront la voie à la reprise des entreprises par les salariés ? Seule la promotion de l’initiative collective, rendue possible par des moyens publics de financements, sera capable de combattre à la racine l’inégalité dont a besoin le capital pour se reproduire.

Initiative collective ou retour de la figure de l’entrepreneur individuel ? C’est un débat qui restera sans doute présent tout au long de l’année 2013, quarantième anniversaire du combat des Lip, que l’Association entend célébrer et faire connaître aux nouvelles générations.

La lettre du mois de janvier