La régie de quartier d’Aubervilliers existe depuis plus de dix ans. Son directeur Azouz Gharbi nous explique la logique et le fonctionnement de cette association qui s’inscrit dans l’économie solidaire. Bien qu’une telle structure ne soit pas coopérative, son champ d’action tend à redonner confiance aux habitant-es du quartier et cette démarche cherche clairement à s’inscrire dans un perspective d’émancipation.
Installée dans le quartier Maladrerie-Émile Dubois, la régie de quartier d’Aubervilliers a célébré en 2011 ses dix années d’existence. Nous avons rencontré, dans son local récemment rénové, Azouz Gharbi, son directeur. Une régie de quartier est une association loi 1901 dont les membres sont des habitants d’un quartier. Son objectif est de dynamiser un quartier par son entretien et sa rénovation tout en assurant à ses habitant-es les plus défavorisé-es une opportunité de travail et de formation. « Des personnes qui étaient invisibles pour différentes raisons, des personnes pour lesquelles le seul environnement était la discrimination, investissent un espace qui est celui de l’intérêt général, qui les met en valeur et leur redonne une certaine importance vis-à-vis des habitants et des autres salariés de la régie » explique Azouz, une démarche à l’exact opposé du caritatif « qui est inopérant au niveau des droits. »
Pourtant, les débuts de cette régie ont été particulièrement difficiles. « Au début, quand je suis arrivé, les habitants nous ont dit, “On ne veut pas de vous, on veut un commissariat, dégagez !”». Il faut dire que le commissariat avait brûlé plusieurs fois. « Je me retrouvais dans un contexte où l’adversité était généralisée. Ce n’est pas quelque chose qui m’a impressionné, mon activité militante m’ayant déjà aguerri. Cela ne m’a pas dissuadé et on a réussi à convaincre les locataires et nos partenaires institutionnels. » La ténacité a payé et la régie, présidée par une habitante du quartier, Nicole Picquart, regroupe aujourd’hui une quarantaine de membres « dont vingt-cinq très actifs » et trente salarié-es.
Comment s’établit l’équilibre financier d’une telle structure ? Elle vend ses prestations de service auprès de donneurs d’ordre qui sont l’Office Public de HLM de la ville, des régies immobilières (dont celle de la ville de Paris) et la communauté d’agglomération Plaine commune 1
Comment convaincre ceux-ci ? « C’est la commande publique qui nous permet de faire valoir la question de la plus-value sociale. » Pour autant, pas question d’attendre des faveurs particulières de la part des bailleurs : « On ne va pas vous reconnaître parce que vous embauchez les personnes les plus éloignées de l’emploi. On va vous reconnaître parce qu’on va voir que ces personnes ont des compétences techniques qui n’ont rien à envier aux meilleurs des professionnels. » Il arrive aussi que la régie intervienne chez les habitants à certaines conditions : « Chez nous, c’est un parti pris, un locataire habitant en grande difficulté, on a envie car ça redonne une dignité aux gens. Même si ce n’est pas rentable financièrement parce qu’il n’en ont pas les moyens, c’est rentable socialement », une démarche qui tourne résolument le dos au développement de « services à la personne » ciblée sur la clientèle la plus fortunée.
Cette structure se revendique du courant de l’économie solidaire. En tant qu’association, les habitant-es employé-es par cette régie ont un simple statut de salarié comme cela est le cas dans la majeure partie des entreprises. « Le système coopératif demande à ses militants un certain degré de conscience et d’instruction. Ici, on n’est pas dans le même contexte, l’illettrisme est un fléau qui concerne plus de 80% des salariés. » C’est la raison pour laquelle la régie investit massivement dans la formation. Par exemple, durant deux ans, celle-ci a dépensé 120 000 euros en embauchant quatre jeunes qui ont fait de l’expérimentation dans les métiers de la culture et de la vidéo. Ils ont pu avoir des contacts professionnels avec des artistes et des équipes techniques et ont tous eu des sorties positives en terme d’emplois.
« La démocratie commence par le fait de reconnaître quelqu’un comme il est et non de vouloir le changer au nom de je ne sais quoi, partir de ce qu’ils sont pour aller vers ce qu’ils veulent être. » Tout n’est pourtant pas toujours facile : « Il y a parfois des salariés qui ne m’ont pas parlé pendant une année : ce n’est pas un problème et ils en ont le droit car leur vie a été jalonnée d’accidents. Il leur faut du temps pour revenir à un état qui leur permet d’être en lien avec les autres. La question carcérale et le discours sécuritaire sont des réalités. » D’ailleurs, le choix associatif est loin d’être neutre : ce n’est pas une société de capitaux dont l’objectif est de faire de l’argent mais une rencontre d’habitants « qui veulent rester dans leur quartier, qui conçoivent leur quartier comme un lieu de vie mixte et non un ghetto ». Azouz précise : « La démocratie, c’est ce qui permet que des gens se rencontrent et puissent organiser des choses ensemble, ce n’est pas forcément mettre un bulletin dans l’urne. »
Développer la démocratie dans le quartier, c’est sans doute ce qui pousse Azouz Gharbi à voir dans celui-ci « une centralité , un lieu où les gens y vivent bien, où ils peuvent avoir des projets et non pas des lieux de relégations. Vouloir absolument faire en sorte que les quartiers soient dépendants des centre-villes est quelque chose qui me gène : c’est accorder une prédominance aux centre-villes alors que dans les quartiers, il y a à faire ». Conception qu’Azouz souhaiterait prolonger en terme de « droit fondamental de pouvoir travailler près de chez soi », une démarche que ne renierait pas les écologistes qui souhaitent rapprocher les habitations des lieux de travail.
La régie de quartier ? Une des multiples formes d’économie solidaire, « économie qui n’est pas là simplement pour organiser un rapport utilitariste au nom du profit ». Une rupture indiscutable avec « la modernité mise en exergue par notre économie, totalement fallacieuse car elle nous conduit à la régression ».
Site du Comité national de liaison des régies de quartier (CNLRQ)
Notes:
- . Présidée par Patrick Braouzec et qui, outre la commune d’Aubervilliers, regroupe les villes d’Épinay-sur-Seine, L’Ile-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Stains, Villetaneuse. ↩