Le mot ‘autonomie’ répond à plusieurs définitions, selon les domaines auxquels il s’applique et les registres auxquels il se réfère (politique, juridico-institutionnel, philosophique, psychologique, état physique…). D’origine grecque, ce vocable se décompose ainsi : ‘autos’ qui signifie « ce qui vient de soi » et évoque les actions individuelles d’un sujet donné, et ‘nomos’ qui renvoie aux « règles et au lois établies par la société ». La conjonction des deux termes, soit ‘autonomos’ peut donc se résumer par : « qui se régit par ses propres lois » (source : cairn.info 2016). Une lecture psychologique, mais qui pourrait aussi bien s’appliquer à la sphère politique, désigne l’autonomie comme « le processus par lequel un homme ou un groupe d’hommes, acquiert ou détermine de lui-même ses propres règles de conduite » (source : cairn.info 2016).

Une définition amusante que j’ai trouvée lors de mes recherches sur internet spécifie quant à elle que « l’autonomie, c’est décider par soi-même » et que « l’indépendance, c’est faire par soi-même »… Précisons qu’il s’agissait en l’occurence d’un texte produit par une institution oeuvrant dans le domaine de l’autonomie physique, à savoir le Centre d’Éducation Motrice de Donmartin, et que cela ne faisait pas référence à la question politique. Car si l’autonomie était, en ce domaine, la faculté de décider par soi-même, sans pouvoir agir par soi même… convenons que ce serait d’un intérêt limité, pour ne pas dire sans intérêt ! En définitive, la définition la plus simple et qui peut s’appliquer à tous les domaines détermine l’autonomie comme « la capacité à se gouverner soi-même avec, en corollaires, la faculté de choisir et la liberté de pouvoir agir, accepter ou refuser, en fonction de son jugement, de son libre-arbitre ».

D’une architecture institutionnelle globale…

Pour en rester à la sphère ou se rejoignent le politique et le juridique dans une définition institutionnelle de l’autonomie, la formulation classique détermine que « l’autonomie est la possibilité pour un groupe ou une communauté de s’administrer librement, dans le cadre prédéfini d’une entité plus large régie par un pouvoir central. Ce droit est limité par la tutelle administrative ou constitutionnelle du pouvoir central » (source : Wikipédia). Il y a dans cet énoncé tout ce qui sépare le concept de l’autonomie politico-institutionnelle communément admise, de l’autonomie réelle que j’essaye avec mes modestes capacités de théoriser. Car une autonomie réelle ne saurait se concevoir en regard d’un pouvoir central qui exercerait une tutelle à son endroit. Ainsi que je l’ai déjà formulé, une autonomie réelle ne peut s’envisager que dans le cadre d’un ensemble fédéral abouti. La formule « autonomie réelle » est dans mon esprit celle qui se concrétise dans une entité qui dispose, outre des compétences de gestion classique, de la faculté législative (à faire la loi, donc) mais aussi du pouvoir réglementaire, et de la maîtrise fiscale. Une autonomie qui ne possède pas ces deux caractéristiques – les capacités législatives et réglementaires et l’autorité fiscale – est un auto-gouvernement à vocation gestionnaire qui reste sous l’emprise d’un État tutélaire pour ce qui est de ces deux domaines fondamentaux. D’aucuns me rétorqueront peut-être que l’État français admet que des territoires sous sa souveraineté – la Polynésie et la Kanaky – puissent adopter des « Lois de Pays », mais véritablement il s’agit là d’ersatz de pouvoir législatif, car ces assemblées doivent toujours soumettre leurs textes à l’aval du Parlement français… Aujourd’hui, c’est le maximum admissible au sein de la ‘République Une et Indivisible’…

Une autonomie pleine et entière, une autonomie réelle, ne peut ainsi s’entendre que dans un ensemble européen réinventé sur un modèle fédéral abouti. J’entends par ‘modèle fédéral abouti’ un fédéralisme qui ne se fonde pas sur des États-nations, mais sur des entités historiques, géographiques, territoriales qui se fédèrent librement et mettent en commun ce qu’il est pertinent de mener de concert. Un ensemble fédéral abouti conçoit que les entités fédérées qui le souhaitent disposent de manière inaliénable et inconditionnelle du droit à l’autodétermination, donc de la possibilité de quitter, si tel est leur souhait, l’entité fédérale répondant à ce modèle. Une organisation fédérale qui ne reconnaîtrait pas le droit à l’autodétermination d’entités autonomes librement associées ne peut pas s’articuler avec un autonomie réelle. C’est un apanage d’une autonomie réelle, non contestable.

À ces éléments, j’ajouterai le concept de droit de retrait qu’une entité en autonomie réelle devrait pouvoir, en tant que de besoin, exercer dans le cadre d’un fédéralisme abouti. Ce ‘droit de retrait’ consisterait en une possibilité pour une entité d’autonomie de ne pas avoir à appliquer des décisions prises au niveau fédéral, soit la faculté d’exercer une souveraineté conservatoire. Ce droit ne se concevrait évidemment pas en perspective de récuser les libertés fondamentales qui caractérisent une démocratie, ni en remise en question des avancées sociétales (abolition de la peine de mort, par exemple), pas plus que des conquêtes sociales. Il ne devrait consister qu’à faire acte de refus d’application d’une décision ou une possibilité d’y déroger, de ne pas participer à son application, et cela pour des raisons éthiques, morales, conceptuelles, comme, par exemple, la contribution à des opérations de guerre ou même seulement à la constitution de forces armées, ou bien encore l’établissement de relations diplomatiques avec des régimes non-démocratiques.

Le droit à l’autodétermination, le droit de retrait, une autonomie réelle, un fédéralisme abouti… ce sont là, de mon point de vue, les éléments constitutifs d’une situation dans laquelle un pays, un peuple, une communauté peut librement faire ses choix et exercer ses droits fondamentaux, tout en étant intégré à un ensemble supra-national de coopération économique, d’harmonisation sociale par le haut, de solidarités renforcées, d’orientations politiques basées sur la priorité environnementale, la justice sociale, les relations équitables entre pays, le progrès humain, la démocratie la plus avancée possible… Les entités autonomes et l’ensemble supra-national adhéreraient sans réserve à ce que je définirai comme une charte des valeurs fondamentales intégrant, bien évidemment, l’adhésion aux libertés essentielles et leur respect : libertés d’expression, d’association, d’information, de réunion, de conscience, de contestation, de croyance religieuse ou de non-croyance… Cette charte devra intégrer aussi les avancées civilisatrices des décennies ou siècles écoulés : l’abolition de la peine de mort, l’interdiction absolue des pratiques de tortures, le droit à une éducation émancipatrice, le droit à la contraception et à l’avortement, l’égalité de droits entre les femmes et les hommes, l’accès au travail, le droit à un logement digne. Cet ensemble de valeurs sera un socle à respecter en totalité et de manière impérieuse par les entités autonomes comme par l’ensemble fédéral.

… à l’organisation participative à tous les échelons

Cette architecture institutionnelle du niveau d’une entité érigée en autonomie réelle doit pouvoir se décliner en une démocratie réinventée à tous les échelons où se prennent des décisions engageant la vie collective d’une communauté donnée. Pour le dire plus clairement, le concept de démocratie participative doit pouvoir se matérialiser et fonctionner du mieux possible. Une démocratie participative réelle… non pas la supercherie proposée par quelques élites politiques françaises, sorties de l’ENA ou autres ‘Grandes Écoles’, et qui n’a d’autre but que de berner les esprits crédules. Dans la bouche de ces mystificateurs, le terme de ‘démocratie participative’ est un pur dévoiement et ne recouvre aucune réalité, en tout cas pas celle d’associer véritablement les citoyens aux décisions qui les concernent. La démocratie participative, telle que je l’entends, c’est la faculté pour tout un chacun d’avoir non seulement son mot à dire sur la vie et le fonctionnement de la cité, mais aussi le pouvoir d’influer sur le cours des choses, d’agir sur la décision politique. Mais, dans mon esprit, elle ne peut pas prendre in fine la place du décisionnaire, car ce serait tomber dans ce que j’appelle les vieilles lunes de la démocratie directe, concept fourre-tout qui n’a aucune prise sur les réalités et la complexité des sociétés modernes.

Comme je l’ai déjà exprimé dans d’autres écrits, ce mythe de la démocratie directe, encore bien prégnant dans la doxa abertzale de gauche, a la vie dure mais il ne résiste pas à l’analyse critique. Il est très facile de se rendre compte que « le peuple » ou « les masses » – appelons cela comme on veut – n’est pas (ne sont pas) en mesure d’exercer directement quelque pouvoir que ce soit, de définir et de mettre en oeuvre des politiques dont la complexité demandent des spécialisations et des outils dédiés. Imaginons un groupe de personnes, qui réunies sur un mode d’assemblée générale, analyse des situations, tire des conclusions, adopte des décisions… Comment ferait-on pour faire appliquer lesdites décisions ? Il y aurait bien quelqu’un – quelques uns – qui serai(en)t désigné(s) pour cela… donc une délégation de pouvoir ! Il est clair en outre – et bien souvent démontré – que ce type de démocratie idéalisée… est justement celle qui est la plus facile à dévoyer, quand on sait combien il est facile de « trafiquer » une assemblée générale, de créer des majorités de convenance, voire de manipuler une foule.

La démocratie dite ‘de représentation’ ne s’est pas imposé comme modèle très largement majoritaire par la confiscation progressive et sournoise par les « élites » du pouvoir aux « masses ». C’est pur simplisme de raisonner ainsi et c’est tout bonnement faux ! Il s’agit d’un mode de pensée archi-manichéen qui dépeint les élus/élites comme forcément malhonnêtes et corrompus, alors que le « peuple » lui – dont les élites ne feraient donc par partie… – est paré de toutes les vertus. La réalité est que la démocratie de représentation, soit l’exercice du pouvoir au travers de personnes désignée par la voie électorale, via le vote, est devenue la norme communément admise, car c’est le moyen le plus à même de s’adapter à la complexité des sociétés et aux réponses politiques à apporter.

En affirmant cela, je ne prétend cependant pas que la démocratie de représentation soit exempte de tares et qu’elle n’exige pas d’être sensiblement améliorée… Il doit être possible de trouver une articulation fonctionnelle entre démocratie participative et démocratie de représentation, de manière à ce que les décisions politiques à tous les échelons ne paraissent pas échapper au contrôle des citoyens ou quelles soient perçues comme allant à l’encontre de leurs intérêts. Encore que là aussi il faille éviter de raisonner de façon monolithique, en considérant que tous les citoyens ont les mêmes intérêts ! C’est évidemment faux dans nos sociétés complexes et multiformes. Une des possibilités d’articuler démocratie de participation et démocratie de représentation, ce serait par exemple de concevoir des Conseils citoyens qui, une fois mis en place, devraient être associés à tous les échelons de la réflexion et de la décision politiques, sur tous types de sujets, du plus local au plus global.

Quid du municipalisme libertaire ?

Les ‘Conseils citoyens’, qui devraient avoir statut d’utilité publique, regrouperaient des personnes à titre individuel, des associations, des groupements sociaux-professionnels et autres corps intermédiaires. Il va de soi que leur fonctionnement répondrait aux plus fortes exigences démocratiques, à commencer par l’élection de leurs représentants auprès des instances élues. Car, il serait tout à fait inconcevable d’exiger des autorités décisionnaires qu’elles aient un fonctionnement démocratique irréprochable… tout en ne s’y conformant pas soi-même ! Les Conseils citoyens seraient les lieux où l’on débattrait de tous sujets venant sur le devant de la scène publique, où l’on s’efforcerait, en tant que de besoin, de formuler des propositions ou contre-propositions à des projets portés par des institutions élues (municipalités, intercommunalités, collectivités publiques, instances parlementaires). Les prises de position, les revendications et suggestions des Conseils citoyens seraient de plein droit, et donc sans possibilité de les escamoter, exprimées et débattues au sein des instances élues décisionnaires.

En formulant cette idée, je me réfère en partie à ce que l’on appelle le municipalisme libertaire, qui a été déjà mis en oeuvre ici ou là… avec des fortunes diverses, il est vrai… Pour prendre un exemple contemporain, le Rojava, entité kurde située au nord et à l’est de l’État-nation syrien, peut être considéré comme une matérialisation de ce municipalisme libertaire. Je m’éloigne toutefois de cette conception organisationnelle, sur au moins deux points. Le premier est que le municipalisme libertaire ne conçoit quasiment son fonctionnement qu’en situations de conflits. Si, par la discussion et le compromis tirant vers le haut, on peut éviter la confrontation et la belligérance, c’est toujours mieux pour l’harmonie et la coexistence sociale… cela tombe sous le sens ! Le second point sur lequel je n’adhère pas aux conceptions du municipalisme libertaire, c’est que le socle sur lequel est basé ce système politique ce sont les communes. Or, le niveau communal, s’il est certes le plus proche du citoyen, n’est pas le plus pertinent pour élaborer et mettre en oeuvre des politiques nécessitant une globalisation de la réflexion, de l’organisation et des moyens. En forçant le trait, on peut dire qu’aujourd’hui, mis à part les très grosses municipalités, 90% des compétences de 90% des communes de l’État français sont pensées, harmonisées et conduites à un niveau intercommunal, voire à celle d’une collectivité territoriale. Et cette coopération est plutôt une bonne chose en termes de moyens financiers adaptés au plus juste, d’empêchement de concurrences injustifiées et de doublons, de neutralisations des népotismes.

En outre, l’atomisation en quelques 35.000 communes (début 2019) a été pour l’État français un des moyens les plus efficaces pour asseoir et conforter son ultra-centralisme. De la sorte, il a empêché que se crée des entités institutionnelles qui auraient pu contester sa tutelle, tout en nourrissant une compétition entre communes, incitées à sur-jouer une indépendance plus que relative, en particulier du fait de l’autorité de contrôle préfectorale et de la quasi-totale dépendance financière. Diviser pour mieux régner… c’est une vieille ficelle, mais qui marche toujours aussi bien ! En revanche, le municipalisme libertaire, en terme d’assemblées de citoyens qui se prennent en main, réfléchissent collectivement et proposent des alternatives démocratiques et allant dans le sens du bien commun, est un concept tout à fait intéressant, tout à fait en phase avec l’autonomie dans son acception globale. Pour en apprendre bien plus que mes quelques modestes réflexions au sujet du municipalisme libertaire, je ne saurai trop recommander la lecture d’un excellent article de la revue Ballast, en copiant et/ou activant le lien suivant : https://www.revue-ballast.fr/le-municipalisme-libertaire-quest-ce-donc/

Pour un modèle économique autogestionnaire

Dans le domaine de l’économie, le système autogestionnaire est, de mon point de vue, la traduction naturelle, évidente, du concept de l’autonomie. Quelle démarche est en effet plus conforme à l’autonomie individuelle et collective que celle de maitriser son outil de travail, pour être plus clair encore, d’en être le propriétaire, nonobstant le caractère pernicieux que peut avoir ce terme. La propriété collective des moyens de production reste à mon sens une aspiration on ne peut plus légitime, même si l’idéologie léniniste totalitaire et sa traduction en bureaucratie dictatoriale a pu dévoyer ce concept marxiste et lui ôter toute crédibilité auprès des travailleurs, de ceux en particulier soumis au système salarial.

En Pays Basque, nous avons déjà développé un système autogestionnaire dans l’économie, avec le modèle coopératif ou coopérativisme. Même s’il n’a pas été forcément l’initiateur de ce système d’organisation et de gestion de la production par les travailleurs eux-mêmes, le modèle de Arrasate-Mondragon (Gipuzkoa) reste une référence incontournable. Il faut toutefois s’abstenir d’idéaliser ce mouvement coopératif, car si le groupement MCC (Mondragon Cooperative Corporation) est en lui-même une coopérative, la moitié seulement des quelques 300 entreprises qui y sont adhérentes est effectivement constitué de coopératives ouvrières de production. Autre donnée révélatrice d’un modèle inachevé dans le sens du concept d’autonomie régissant le monde du travail, la encore seule la moitié des 60.000 personnes travaillant au sein du groupe MCC est constituée de coopérateurs, donc de copropriétaires de l’outil de production, les autres étant des employés salariés. Donc, il y a quand-même loin de la coupe aux lèvres et il est nécessaire de déconstruire un mythe… pour pouvoir construire réellement un modèle économique qui serait, majoritairement en tous cas, en conformité avec les idées et valeurs de l’autogestion.

Il a été aussi reproché à MCC d’avoir voulu aller « jouer dans la cour des grands » – les « grands » en question étant les entreprises capitalistes classiques concourant dans le marigot de la mondialisation néolibérale. En rachetant, en 2005, le groupe français Brandt, la coopérative Fagor a mis le doigt dans un engrenage qui l’a broyé, aussi bien économiquement qu’éthiquement, et l’a au final conduit à sa perte en 2013. Car, dans le but de « gagner des parts de marchés dans la compétition mondiale » et « réduire le coût du travail pour être compétitif en matière de prix » (rhétorique capitaliste s’il en est !), la coopérative Fagor avait créée des filiales dans certains pays étrangers (Maghreb, Pologne…). Des entreprises fonctionnant dans le plus pur modèle capitaliste… aux antipodes donc de l’esprit coopératif. C’est évidemment dommageable et regrettable pour les travailleurs qui ont payé, par la perte de leur emploi, cette dérive inouïe, ce dévoiement de l’esprit et de la pratique coopérativiste de la part d’une marque phare du modèle coopératif, mais quelque part on peut se dire que cela servira de leçon pour ne plus se commettre dans pareil mélange des genres…

On pourrait évidemment me rétorquer que dans un environnement d’économie mondialisée, dans un modèle néo-libéral, avec un capitalisme financiarisé, une entreprise fonctionnant sous la forme de coopérative aura toujours des difficultés à être compétitive, en matière de coûts de production, donc de prix de revient et de vente. Je garde néanmoins la conviction qu’à partir du moment ou l’objectif n’est plus l’accumulation du profit en faveur d’actionnaires avides, de fonds de pensions et autres requins de la finance, une entreprise autogérée peut parfaitement être « compétitive » sur les marchés internationaux. Pour approfondir la réflexion sur cette question de l’autonomie rapportée au modèle économique autogestionnaire, j’incite à lire le très intéressant texte de Marc Guillaume, professeur à l’Université Paris IX et collaborateur du Centre de recherche IRIS, dans la section ‘Travail et Société’. Cette contribution intitulée ‘Autogestion, autonomie, autotomie’ est librement accessible via le lien : https://books.openedition.org/iheid/3281?lang=fr.

Je recommande aussi vivement, sur les thématiques de l’autogestion, des coopératives, des alternatives au système capitaliste, de lire les remarquables ouvrages du chercheur militant, essayiste, et animateur de l’association ‘Autogestion’ – www. autogestion.asso.fr – Benoît Borrits, à savoir : Coopératives contre capitalisme (Éditions Syllepse, 2015) ; Travailler autrement : les coopératives (Éditions du Détour, 2017) ; Au delà de la propriété, pour une économie des communs (Éditions La Découverte sciences politiques, 2018) et Virer les actionnaires, pourquoi et comment s’en passer ? (Éditions Syllepse, janvier 2020). Pour qui veut aiguiser sa réflexion et ses connaissances sur les questions économiques et les autres voies à opposer au capitalisme, tout aussi recommandable est la lecture du site internet créé et alimenté par Benoît Borrits : https://www.economie.org/

Le coopérativisme a, en outre, été totalement dévoyé par certaines structures entrepreneuriales qui n’ont de coopératives que le nom. Cela s’est produit en particulier dans le domaine agricole ou para-agricole, car dans ces entités-là les paysans, du moins ceux qui répondent vraiment à cette définition, n’ont depuis belle lurette aucune prise réelle sur les orientations et les décisions. Ces fausses coopératives sont en revanche de véritables outils de pouvoir économique et politiques pour des notables et des potentats. Le cas de Lur Berri, en Pays Basque, est à ce titre un exemple tristement connu, mais il n’est pas, loin s’en faut, un phénomène isolé.

Fort heureusement, des réalisations communes, basées sur la solidarité et la complémentarité, existent néanmoins chez nous pour démontrer que le concept de l’autonomie appliqué à la sphère économique peut devenir une réalité tangible. C’est le cas par exemple avec des organismes comme Lurzaindia (anciennement GFAM du Pays Basque), les CLEFE (Comités Locaux d’Épargne pour les Femmes) et les CLEJ (Comités Locaux d’Épargne pour les Jeunes), voire les structures Hemen (association d’animation économique visant, en particulier, à un rééquilibrage territorial de l’économie basque) et Herrikoa (société de capital-risque pour le développement économique en Pays Basque) ou encore la monnaie locale Eusko. Il faut convenir toutefois que la plupart de ces outils économiques restent des modèles inachevé – aux sens de la plénitude des notions de l’autonomie et de l’autogestion, s’entend -, mais on peut le comprendre quand on sait l’emprise exercée par l’environnement capitaliste classique. Il reste certes du chemin à parcourir, mais au moins la voie est tracée…

L’autonomie, cela commence par soi-même !

S’il me fallait maintenant définir le concept de l’autonomie décliné au niveau de l’individu, je dirai que l’autonomie, c’est d’abord et avant tout la faculté de penser par soi-même. Penser par soi-même, mais non pas pour soi-même ou, en tous cas par uniquement pour soi-même ! Car il faut toujours veiller à ce qu’il y est toujours une part de soi-même qui trouve son accomplissement dans toute relation humaine, dans toute action sociale, dans toute réalisation collective. Mais si l’autonomie c’est penser par soi-même, donc obligatoirement garder toujours son libre-arbitre, refuser l’inconditionnalité et les dogmes, cultiver le doute raisonnable, avoir l’esprit critique et constructif, cela doit s’insérer dans un esprit collectif et une pratique d’ensemble où les maitres-mots sont : la solidarité, la complémentarité, la recherche du bien-être pour tout un chacun, l’harmonie sociale, la discussion pour résoudre les conflits, le débat pour faire avancer les choses… Vaste programme me dira-t’on ! Pourtant ce sont bien là les éléments qui inscrivent l’autonomie individuelle dans un ensemble communautaire. À mon sens, l’esprit de l’autonomie, c’est, par exemple, être acteur dans des actions, des démarches, des réalisations qui s’inscrivent dans une prise en charge de tout ce qui nous concerne dans notre vie de tous les jours et dans notre apport à la marche la meilleure possible de la société : créer des jardins partagés, concevoir des logements mutualités intergénérationnels, mettre en place des lieux de mise en relation directe producteurs/consommateurs, produire son électricité, retrouver le sens des choses communes… que sais-je encore ?

Pour étayer mon propos, je transcris ici quelques formulations d’un ouvrage dont je ne saurai trop recommander la lecture, et intitulé : « Les clés de l’autonomie – Modèles et processus d’accompagnement » – Stéphanie Desfontaine & Stéphane Montier / Préface de Vincent Lenhardt – © Groupe Eyrolles, 2012 – Collection ‘Références’ : « Une entité autonome sait reconnaître ce qui est bon pour elle dans l’environnement et se l’approprier pour alimenter sa propre autonomie (…) » ; « La personne autonome sait aussi s’intégrer facilement dans un collectif, comme une équipe professionnelle, un groupe de travail, etc. Elle comprend assez vite les règles de fonctionnement du collectif adhère à ses valeurs, se mobilise autour des objectifs fixés, sait articuler ses compétences avec celles des autres, accepte de prendre des responsabilités vis à vis des autres et sait leur rendre compte de ce qu’elle fait et décide (…) » ; « L’autonomie développe une boucle vertueuse : plus la personne peut être autonome, plus elle se connait et sait se maîtriser, plus elle peut être en cohérence avec elle-même (décisions, actions, comportements, etc.), plus elle développe son potentiel en harmonie avec son travail, plus elle se sent reliée à un collectif pluriel et plus elle vit une forme d’accomplissement. L’autonomie est source de cohérence, de développement et d’harmonie qui sont autant de facteurs universels de bien-être (…) ». Pour lire la totalité du chapitre 1 de cet ouvrage, le lien à activer est le suivant : https://www.eyrolles.com/Chapitres/9782212553888/Chap-1_Montier.pdf

De ce que j’en comprends et en interprète, l’autonomie c’est pour moi une question de choix mais aussi de responsabilité, un accomplissement personnel mais aussi un apport bénéfique au collectif, une construction individuelle mais aussi une pierre apportée à l’édifice commun, un être soi-même mais aussi un vivre avec les autres, se concevoir en un élément actif mais aussi en un tout efficient… L’autonomie c’est le rôle que tout un chacun a à jouer dans une société qui sera juste, progressiste, organisée pour atteindre aux objectifs de bien-être et de bien-vivre de ses membres. Une douce rêverie, une utopie diront certain ? C’est oublier que semer les graines de l’utopie permet de cultiver le champs des possibles et de s’affranchir de la société du renoncement. Je termine par cette formule un peu ronflante ma présente réflexion en la soumettant à la lecture critique de celles et ceux qui auront eu la volonté – et le courage ! – d’aller jusqu’au bout… Car penser et raisonner par soi-même et avec les autres, c’est cela aussi l’autonomie.

Article original : http://hitzapitz.over-blog.com/2019/11/l-autonomie-un-concept-global.html