Le Pavé est une structure autogérée d’éducation populaire qui dispense une formation explicitement politisée. Une initiative fondée sur la critique sociale, mais aussi sur la critique de ce qu’est devenue l’éducation populaire.
L’origine
En 2004 se met en place en Bretagne une recherche-action d’acteurs engagés dans l’éducation populaire et la solidarité internationale avec comme thème fédérateur l’éducation au politique. Au terme du processus, en 2007, des membres d’un des groupes de travail décident de passer à l’action. Sur la base d’une éducation populaire résolument politique, du refus des injonctions normatives de la commande, essentiellement publique, du refus du statut associatif générateur de précarité, ils créent une scop : Le Pavé.
L’activité
Elle repose principalement sur des formations, souvent accompagnées par des actions d’interpellation culturelle. Certains ont peut-être déjà assisté ou entendu parler des « conférences gesticulées », la plus connue et médiatique de leurs activités, à forte dimension de spectacle. Mais même ces « conférences » sont toujours accompagnées d’ateliers de formation proprement dite. La dimension critique et politique est présente dans toutes les formations proposées, avec une importance particulière accordée à la transformation sociale et à la critique du langage dominant. Ces formations sont présentées sur le site à la rubrique « Déformation continue ».
Le Pavé est particulièrement sollicité sur la question de l’animation des débats : comment prendre soin de la qualité des discussions en salle ou dans la rue et faire en sorte que les gens s’autorisent à parler politiquement de leur travail, de l’école, de la vie quotidienne, de leur santé, de leurs désirs…
Si certaines entreprises autogérées accordent une importance relative au contenu de la production par rapport à la priorité absolue donnée à la manière d’organiser le travail et les relations dans la structure, on imagine que ce n’est pas le cas du Pavé. Le contenu de leur travail comme leur organisation découlent de la même démarche de critique sociale et sont indissociables.
L’équipe ne souhaitait pas dépendre de subventions publiques ni instaurer une précarisation des salariés pour « sauver » le projet comme c’est souvent le cas dans les structures associatives, elle a donc fait le choix plus contraignant de la scop qui n’implique que les salariés, les oblige à trouver des clients qui doivent trouver eux-mêmes leur financement, mais lui laisse une entière autonomie. Cela ne veut pas dire que cette nouvelle manière de travailler échappe aux contradictions : gagner sur le terrain de la liberté de ton et de proposition de formations s’accompagne d’une pression à la multiplicité des interventions par exemple.
Cela n’empêche que l’enthousiasme et le dynamisme, comme le professionnalisme (qui ne tient pas qu’à leurs très nombreux diplômes), du Pavé lui ont fait rapidement rencontrer un grand succès.
Le fonctionnement
L’argent
Comme dans la plupart des structures autogérées, la question de l’argent est assez mineure. La scop comprend aujourd’hui sept personnes dont une seule n’est pas, ou pas encore, salariée. Comme le capital nécessaire à l’activité n’est pas considérable, la question de l’égalité dans l’apport de capital ne s’est pas vraiment posée, d’autant plus que le capital n’est statutairement pas rémunéré. L’important est d’y participer.
En ce qui concerne les salaires, ils sont égaux, prorata temporis ; les seuls écarts, autres que ceux dus au temps de travail, tiennent au respect de la convention collective qui prévoit une augmentation de salaire en fonction de l’ancienneté (l’ancienneté antérieure à la création de la scop étant prise en compte). Etant donnée la nature de l’activité et l’investissement inévitable qui en découle, le temps de travail est compté « à la journée », quelle que soit sa durée. Une entorse au principe d’égalité, comme au pourquoi même de cette scop, une personne est intermittent du spectacle.
Le pouvoir
Comme dans la plupart des structures autogérées également, c’est la question du pouvoir qui nécessite le plus de vigilance. Au départ, le parti pris était celui de l’absence de division des tâches et de la prise de toutes les décisions en commun. Le problème principal d’origine était l’éclatement sur toute la France des membres de l’équipe. Ces derniers se rencontraient régulièrement et intensément, à deux ou à trois, au cours des interventions (celles-ci ne sont jamais individuelles), mais ensuite rentraient à leur domicile respectif, en Bretagne, en Auvergne, etc. pour accomplir leurs tâches administratives, commerciales, etc. Certes le télétravail permettait une mise en commun, mais l’essentiel de celle-ci se déroulait une fois par mois au cours du « soviet », réunion commune mensuelle de trois jours où tous les sujets étaient abordés et les décisions prises.
Mais la très grande intensité du travail (due au grand succès remporté dans les formations et aux demandes grandissantes d’interventions), la difficulté de gérer la demande et la commercialisation dans la dispersion, les facilités de certains face aux difficultés d’autres dans certaines tâches, sans oublier cette pratique de l’éducation populaire de passer beaucoup de temps à « décortiquer » toutes les pratiques (celles des formations comme celles du groupe), ont quelque peu épuisé l’équipe et l’ont amené au bord de la crise.
Elle a alors cherché et mis en place un nouveau fonctionnement en 2010. Le « soviet » est devenu « pow wow » : l’équipe au complet ne se réunit plus désormais physiquement trois jours que tous les trimestres. Elle a nommé un « triumgynat » (on notera le goût du Pavé pour les appellations particulières ; ici, on aura compris qu’on a substitué la terminaison féminine à la terminaison masculine à ce qui reste une délégation des pouvoirs à trois personnes…) qui prend toutes les décisions utiles dans l’intervalle des « pow wow ». Le dispositif est expérimental pour un an.
L’essaimage
Face à cette demande grandissante sur tout le territoire, le Pavé a accueilli très favorablement trois initiatives, à Grenoble (L’orage – contact@scoplorage.org), à Toulouse (La Coopérative du Vent Debout ! – coopduventdebout@gmail.com ) et à Tours (L’Engrenage – Un Pavé à Tours – unpaveatours@gmail.com), de personnes qui souhaitaient se lancer dans la même activité. Le Pavé a décidé de consacrer un mi-temps à l’accompagnement de la mise en place de ces nouvelles structures : montage administratif, financier et juridique, transfert de savoirs et d’outils, co-animation des stages, etc. L’intensité de la demande devrait être ainsi être mieux satisfaite et, peut-être, l’équipe du Pavé un peu soulagée. Il n’en est rien en attendant, bien au contraire. Par contre, l’effet particulier de la création de ces nouvelles aventures coopératives, vient à point nommé, réinterroger certaines routines et l’institutionnalisation du Pavé de Rennes.
Source originale : http://www.autogestion.coop/spip.php?article112