Tout semblait aller pour le mieux dans le meilleurs des mondes pour Emmanuel Macron : son projet de « réforme » du Code du travail allait passer comme une lettre à la poste. Exit le parlement ! Place à des ordonnances élaborées en consultation avec les « partenaires sociaux ». Au final, un semblant de concertation, des reculs absolument impensables un an auparavant : possibilité donnée aux entreprises de déroger aux accords de branche sur tous les sujets sauf trois, limitation des indemnités prud’homales et destruction des syndicats et des institutions représentatives du personnel.
Mais voilà que cette belle mécanique s’enraye. Très vite, la CFE-CGC, syndicat des cadres d’ordinaire plutôt conciliant, rejoint la CGT et l’Union syndicale Solidaires dans la contestation. À l’issue des consultations, le Comité confédéral national de FO juge nécessaire « une mobilisation interprofessionnelle avant la ratification des ordonnances ». Même, Laurent Berger de la CFDT se déclare déçu car il espérait en contrepartie de ces reculs un début de cogestion à l’allemande. De nombreuses sections de cette centrale appellent déjà à la mobilisation. L’union de l’ensemble du monde salarié contre le patronat et le gouvernement serait-elle en route ?
La raison officielle de cette réforme du droit du travail est la baisse du chômage. Il suffirait de baisser le coût du travail – donc les aléas autour des licenciements éventuels – pour que les patrons embauchent. Le CICE coûte aujourd’hui 20 milliards d’euros de budget public par an et il n’y aurait – selon le comité de suivi du CICE – que « 100.000 emplois sauvegardés ou créés sur la période 2013-2015. » Vous n’avez pas rêvé : chaque emploi créé ou sauvegardé coûte au budget public 200 000 euros par an ! Personne ne peut croire que cette nouvelle réforme du droit du travail permettra de créer des emplois.
Le capitalisme est aujourd’hui pris dans une contradiction insoluble : d’un côté, faire gagner de l’argent aux actionnaires en poussant les valorisations des entreprises à la hausse et pour cela, il faut qu’elles crachent des dividendes de plus en plus forts, ce qui réduit d’autant les salaires qui conditionnent la demande adressée aux entreprises. En clair, on optimise le rendement du capital en automatisant, en précarisant, en délocalisant et en faisant cela, c’est la base même de la demande aux entreprises qu’on rétrécit, contrariant ainsi toute forme de reprise.
On ne peut pas tirer indéfiniment sur la corde et les syndicats enclins au compromis ont de moins en moins de « grain à moudre ». Doit-on dès lors se limiter à une simple opposition à la loi travail ? Si le capitalisme nous montre aujourd’hui qu’il n’est plus capable d’apporter le moindre progrès social, pourquoi vouloir négocier avec le patronat ? N’est-ce pas à la société seule de définir elle-même le contenu d’une loi qui encadrerait les relations de travail ?
S’opposer aux ordonnances n’implique pas que le code actuel est parfait, loin de là ! Mais qui ne peut défendre sa position ne pourra aller vers de nouvelles conquêtes. C’est d’abord par la résistance aux ordonnances que la confiance dans l’action collective pourra revenir, et c’est dans ce combat que les alternatives prendront force. La tenue d’assemblées générales associant largement les salarié–es à la lutte donnera à la fois une plus grande force à la mobilisation, et sera un des cadres de ces débats d’avenir.
Une des justifications de la loi El-Khomry était la complexité du code du travail. Un groupe de 22 juristes se sont alors réunis dans le GR-PACT (Groupe de recherche pour un autre code du travail) pour réaliser une proposition de code du travail largement plus simple, favorable aux salariés, qui a été publiée par les éditions Dalloz. Ils n’étaient pas tous d’accord entre eux et la résultante est le fruit de divers compromis. Mais leur méthode est la bonne : une discussion libre et totalement indépendante du patronat. Ce n’est pas à un gouvernement élu par défaut de légiférer par ordonnances sous couvert d’un prétendu « dialogue social ». La vraie démocratie, c’est de permettre aux citoyen-nes de s’approprier les termes d’un débat pour trancher ensuite par diverses consultations.
Ce sont les limites mêmes du capitalisme qui provoquent un rejet de la Loi travail par l’ensemble des organisations syndicales. La mobilisation dans l’unité contre la Loi travail est possible. Cette unité doit se prolonger pour une autre Loi travail que les citoyen-nes décideraient sans la médiation du patronat. Ce serait à coup sûr le premier pas vers une société émancipée qui prendrait alors à bras le corps la question d’un emploi pour toutes et tous.