Tout au long de l’année tumultueuse de 2020, les gens de nombreuses régions du monde ont été amenés à redécouvrir l’importance de compter les uns sur les autres. Cependant, les Portoricains ont depuis longtemps compris le pouvoir de l’entraide comme un moyen de survie et de résistance. Après que l’ouragan Maria qui a dévasté l’île en septembre 2017, faisant près de 3 000 morts, détruisant des milliers d’abris et laissant des millions de personnes sans électricité, sans eau courante et sans téléphone, les Portoricains se sont organisés au niveau local pour répondre aux besoins immédiats des uns et des autres, compte tenu des réponses très insuffisantes des gouvernements locaux et fédéral.
Les Centros de Apoyo Mutuo
Les groupes de militants ont occupé des bâtiments vacants dans toute l’île, les transformant en centres de secours et de reconstruction. Aujourd’hui, ces Centros de Apoyo Mutuo (centres d’aide mutuelle, ou CAM) constituent un réseau d’organisations communautaires, soutenu par les dons et les efforts de solidarité des membres de la communauté locale et des Portoricains de la diaspora. Bien que chaque communauté ait ses propres besoins et objectifs, les CAM partagent un objectif commun qui a évolué de la satisfaction des besoins de survie de base au renforcement de la résilience au milieu d’une décennie de dépression économique et de crises telles que le tremblement de terre de janvier 2020. Ces efforts audacieux et optimistes s’inscrivent dans un objectif plus large et plus complet, celui de l’autonomie d’un archipel qui a subi plus de 500 ans de colonialisme et qui reste actuellement une colonie des États-Unis 1.
Avant que l’ouragan Maria ne touche l’île principale le 20 septembre 2017, deux semaines après que l’ouragan Irma ait causé d’importants dégâts sur les îles du large, un certain nombre de facteurs d’origine humaine avaient convergé pour rendre Porto Rico vulnérable à une crise humanitaire qui a suivi cette catastrophe naturelle. En 2006, le gouvernement américain a supprimé les subventions fiscales fédérales qui avaient attiré les entreprises du continent sur l’île. Le départ de ces sociétés a entraîné une perte massive d’emplois qui a plongé près de la moitié de la population dans la pauvreté, déclenchant un déclin économique constant au cours des dix années suivantes. […]
Face à l’ouragan Maria de 2017
Une expression portoricaine courante était souvent répétée à cette époque : Solo el pueblo salva al pueblo (« Seul le peuple sauve le peuple »). Affligés par le nombre croissant de morts et confrontés à l’incompétence et à l’indifférence de l’État, les habitants de l’archipel et de la diaspora n’avaient d’autre choix que de se sauver mutuellement. Les groupes de base existants se sont mis en action, coordonnant les efforts pour distribuer les ressources nécessaires pour maintenir les gens en vie à court terme. «La prérogative de guérir le traumatisme de la colonisation revient aux gens, dans leurs propres communautés», explique Lourdes Hernández, qui coordonne le PRAM [réseau régional] avec Daniel et qui est également coordinateur du CAM de Carolinas.
Lourdes et Daniel ont fait partie du Centre pour le développement politique, éducatif et culturel, une organisation de base formée en 2012 par des étudiants et des anciens élèves de l’université de Porto Rico en réponse aux injustices exacerbées par le programme d’austérité mis en œuvre par le gouvernement. Le groupe a lancé son premier projet social, appelé Comedor Social («Salle à manger sociale»), sur le campus de l’UPR [Université de Porto Rico] à Cayey pour distribuer de la nourriture en solidarité avec les étudiants et les travailleurs affamés, et en protestation contre les prix élevés de la cafétéria. Inspirés par cette initiative, les étudiants de plusieurs autres campus de l’UPR ont créé des cuisines communautaires pour cuisiner et partager la nourriture avec leurs camarades étudiants, le tout soutenu par des dons et du travail bénévole. Le Comedor Social du campus principal de Río Piedras s’est révélé inestimable pour les étudiants qui ont participé à la grève étudiante qui a duré 72 jours au printemps 2017. Les étudiants des 11 campus se sont barricadés à l’intérieur des portes du campus et ont créé des camps de résistance pour protester contre la réduction du budget de 450 millions de dollars de l’université proposée par la junte 2, ainsi que contre la menace d’une augmentation des frais de scolarité.
Leur travail sur ce projet a préparé Lourdes et Daniel à proposer l’auto-organisation à plus grande échelle après l’ouragan Maria. De plus, explique Daniel, parce que l’absence de téléphone et d’internet dans les semaines qui ont suivi a rendu impossible toute communication sur de longues distances, leur proximité à Caguas avec les camarades avec lesquels ils avaient travaillé à l’UPR les a mis dans une position avantageuse pour pouvoir se coordonner. Il se souvient qu’ils faisaient tous des allers-retours entre Caguas et Río Piedras pendant cette période, laissant des messages sous la porte de chacun afin de se rencontrer et de discuter de l’initiative d’entraide qu’ils allaient mettre en place dans leur communauté.
Six jours après l’ouragan Maria, ils ont installé une cuisine communautaire dans le centre de la municipalité de Caguas, servant le petit-déjeuner à 150 personnes et le déjeuner à 300. Cette initiative a été la première apparition des Centros de Apoyo Mutuo [Centres de soutien mutuel, CAM]. Après environ un mois de fonctionnement, le CAM a invité des camarades de toute l’île à le visiter et a proposé que ce soit la nouvelle orientation des mouvements radicaux de Porto Rico. Le CAM de Caguas est devenu le modèle utilisé par les habitants pour construire de nouveaux CAM dans toute l’île, chaque communauté adaptant le modèle à ses propres besoins. Comme le CAM de Caguas qui est installé dans une école abandonnée que les camarades ont occupée et réaménagée pour répondre aux besoins de la communauté en ce moment de crise, d’autres CAM ont suivi le modèle consistant à occuper des bâtiments et des espaces publics vacants. L’ouragan Maria a frappé au lendemain de l’été 2017 au cours duquel Julia Keleher [ministre à l’éducation, inculpée de multiples accusations fédérales de fraude ] avait fermé 183 écoles, les laissant vides et inutilisées. Les gens ont saisi l’opportunité de reprendre certaines de ces écoles pour leur communauté.
Écoles occupées socialement utiles
Un groupe de femmes ayant participé au CAM Caguas a observé de près les occupations que ce groupe organisait, et s’en est inspiré pour créer un centre d’entraide à Las Carolinas, un quartier de Caguas. «Quand elles ont réalisé qu’elles pouvaient aussi prendre en charge un bâtiment – l’école de leur propre communauté qui avait été abandonnée – elles nous ont appelées», se souvient Lourdes. Cela fait maintenant trois ans que ces femmes ont ouvert la porte du CAM de Carolinas. Au début, explique Lourdes, les camarades du CAM de Caguas géraient une cuisine communautaire en partageant les dons de nourriture ; après un mois, elles ont également commencé à proposer des services de thérapie de relaxation pour leur bien-être, y compris l’acupuncture auriculaire. Au bout de deux mois, le nouveau CAM a commencé à collecter des dons et a ouvert un magasin gratuit. En août 2018, elles avaient commencé un programme d’art-thérapie pour les personnes âgées, dans une communauté où la majorité des 3 000 habitants ont plus de 65 ans. Quatre-vingt-quinze pour cent des bénévoles du CAM de Carolinas sont des femmes âgées de 35 à 80 ans, bien que depuis le début de la pandémie Covid-19, sont arrivés 20 bénévoles supplémentaires âgés de 16 à 30 ans, dont la plupart sont des hommes.
Un autre projet inspiré du CAM de Caguas est le CAM de Jíbaro, composé de trois centres, dont deux à Lares, un village rural dans les montagnes centrales. L’un d’entre eux est situé dans le quartier de Bartolo, où les habitants ont rénové une école abandonnée le mois suivant afin d’y accueillir des familles non logées. Le CAM-JI de Bartolo héberge actuellement six familles dans des appartements temporaires et sert de cuisine communautaire. L’autre initiative est organisée par le Centre d’études transdisciplinaires d’agro-écologie (CETA), un collectif qui défend les pratiques agricoles traditionnelles, dont Pluma est cofondatrice. Le CAM-JI CETA vise à construire une souveraineté alimentaire dans la région en utilisant les méthodes agricoles des Jíbaro, un groupe indigène et une culture de paysans ayant ses racines au centre de l’île.
Sociologue de formation et activiste indigène, Pluma est un précurseuse dans la lutte pour le droit des paysans du Jíbaro à utiliser leurs terres pour la culture de nourriture et de médicaments. Dans le sillage de l’ouragan Maria, qui a anéanti 80% des cultures agricoles de l’île, elle affirme qu’il était évident que le CETA devait changer d’orientation pour répondre à la crise. Pendant deux ans, ils ont organisé des brigades, des ateliers et d’autres événements pour promouvoir l’agroécologie, la production d’aliments sans impact négatif sur l’environnement, en donnant la priorité à l’assainissement des sols, à la diversification et à la lutte contre les parasites sans utiliser de produits chimiques. En collaboration avec d’autres organisations de base impliquant un large éventail de groupes d’âge, y compris des étudiants de l’UPR, ils développent des projets d’agriculture coopérative qui seront autogérés par des communautés qui veulent satisfaire leurs propres besoins alimentaires, médicinaux et économiques grâce à l’agriculture jíbara. Le CAM représente l’une des nombreuses initiatives du mouvement agro-écologique populaire de Porto Rico, qui a cultivé ces dernières années ce que Pluma appelle une «revendication des pratiques traditionnelles».
Le problème sous-jacent pour les agriculteurs de jíbara, souligne Pluma, est qu’ils ne possèdent pas la terre. Bien que l’État refuse de reconnaître les peuples indigènes de Porto Rico, ces communautés continuent de plaider pour la reconnaissance de leurs droits ancestraux de manière diverse et créative. Les livres d’histoire enseignent que les peuples indigènes de l’île – appelés Borikén par le peuple Taíno qui a habité à l’origine les îles des Caraïbes, et aujourd’hui par les peuples de l’héritage des Nations premières – ont été exterminés à la fin du 15e siècle après l’arrivée de Christophe Colomb et la colonisation espagnole qui s’en est suivie. [..] Aujourd’hui, les groupes Taíno et Jíbaro persistent à résister au colonialisme en s’opposant au récit de leur extinction et en luttant pour la restitution des terres qui appartenaient à leurs ancêtres.
L’école que le CAM-JI CETA occupe depuis une dizaine de mois se trouve à l’intérieur d’un projet de logement public, et ce sont les résidents qui ont affirmé qu’eux, les habitants, devaient reprendre le bâtiment fermé parce qu’il appartenait à la communauté. En ce moment, des personnes de tous âges qui étudiaient à l’école aident à la reconstruire. Les coordinateurs travaillent en étroite collaboration avec la communauté pour savoir ce qu’ils veulent et pour créer les services qui seront les plus utiles. Tout le monde, y compris les enfants de la communauté, est impliqué dans les prises de décision concernant les services que le centre fournira. Pluma explique que les enfants ont proposé une salle de gym avec un terrain de basket, des cours d’arts martiaux et des ateliers sur la pêche et l’agriculture. Parmi les nombreuses collaborations du CAM figurent des personnes qui travaillent dans le domaine des arts et du théâtre, des organisations qui se concentrent sur les questions psychologiques et émotionnelles, et des avocats qui souhaitent fournir une aide juridique à la communauté.
Eau, électricité, bien mises en commun
Les CAM ont également servi de plaque tournante pour les besoins en énergie et en eau de leurs communautés en s’associant à d’autres initiatives d’entraide pour installer des systèmes modulaires dans les centres. Mutual Aid Disaster Relief (MADR), un réseau basé sur la solidarité qui a soutenu les efforts de secours et de reconstruction menés par les communautés dans les zones touchées par les catastrophes depuis l’ouragan Katrina, s’est rendu à Porto Rico par groupes de volontaires immédiatement après Maria pour soutenir les secours autonomes [de l’Etat] qui avaient déjà commencé dans les communautés locales. Rain, un animateur du MADR ayant une formation en ingénierie environnementale, se souvient que lors de leur premier voyage, ils avaient apporté un système modulaire de filtration de l’eau comme alternative aux filtres à eau plus petits qui étaient proposés à l’époque, et qui, selon Rain, n’étaient pas particulièrement aptes à éliminer toutes les bactéries causées par des facteurs tels que les animaux morts présents dans les cours d’eau. Ils ont transporté le système modulaire à travers l’île dans deux grandes valises, traitant l’eau dans des zones difficiles d’accès, comme les régions montagneuses. Tant qu’il y avait une source d’eau à proximité, explique Rain, ils pouvaient la traiter en introduisant le tuyau dans la rivière ou le ruisseau et en pompant l’eau dans le système avec la pompe manuelle, au bout de laquelle elle était chlorée dans un bac en plastique. Le système de filtration modulaire est actuellement stocké par un militant local à San Juan, que les autres membres du réseau du CAM contactent dès qu’ils en ont besoin.
Comme les CAM sont devenus des centres de distribution et des lieux où les membres de la communauté allaient se soutenir les uns les autres, le MADR a pu s’associer avec des militants dans des endroits comme Caguas et Lares qui avaient des idées similaires sur les centres énergétiques. Ensemble, ils ont commencé à installer des systèmes de panneaux solaires donnés par des partenaires communautaires du MADR. Améliorant le système d’assistance rapide avec lequel les gens collectaient l’eau filtrée dans des cruches aux sources, les organisateurs ont finalement installé des citernes et des barils pour le stockage de l’eau de pluie dans les CAM, qui sont devenus des endroits où les gens peuvent faire leur lessive et mais aussi accéder à internet et au téléphone.
Ce que Pluma appelle la crise politique de l’ouragan Maria n’a pas seulement uni le peuple de Porto Rico dans la solidarité, elle a également exprimé des décennies de frustration croissante contre leur gouvernement colonial, déclenchant une chaîne de crises politiques et de révoltes populaires successives. Raul Maldonado, qui était à l’époque le ministre des Finances de Porto Rico, a été contraint de démissionner en juin 2019 après avoir fait des commentaires à une station de radio locale alléguant une corruption rampante au sein de l’administration de Rosselló [gouverneur de Porto Rico]. Début juillet, la bloggeuse Sandra Rodríguez Cotto a publié des messages provenant d’un chat privé entre Rosselló et onze proches collaborateurs, divulgués par une source anonyme, dans lesquels les hommes partageaient des commentaires misogynes, homophobes et racistes. Le 10 juillet, plusieurs hauts fonctionnaires et entrepreneurs de l’administration Rosselló, dont Keleher, ont été arrêtés par le FBI pour détournement de fonds fédéraux américains. Quelques jours plus tard, le Centre du journalisme d’investigation de Porto Rico, un site d’information indépendant, a publié 889 pages de textes ayant fait l’objet d’une fuite, révélant un réseau de corruption de plusieurs milliards de dollars par lequel les copains du gouverneur dans le secteur privé ont influencé les contrats et détourné des fonds publics pour leur propre bénéfice financier. Les messages montraient également le gouverneur et d’autres membres du groupe, dont plusieurs de ses ministres et conseillers, en train de discuter de l’utilisation des fonds publics pour influencer la presse et employer des trolls sur les médias sociaux, et de faire des blagues calomnieuses sur les décès causés par l’ouragan Maria.
La rage que ces révélations ont déclenché, a catalysé deux semaines de mobilisation soutenue au cours desquelles des centaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues, exigeant la démission de Rosselló. Lorsque le gouverneur a atterri à l’aéroport de San Juan le 11 juillet, après avoir interrompu ses vacances à Paris suite à la fuite des messages, il a été accueilli par près de 100 manifestants réunis par le Colectiva Feminista en Construcción, un groupe de femmes qui avait récemment mené des manifestations pour demander à Rosselló d’agir contre les violences sexistes à Porto Rico. Les manifestations de masse qui ont suivi, devant le palais du gouverneur à San Juan et dans les municipalités de tout l’archipel, ont été l’aboutissement d’années d’organisation autonome en réponse à la crise économique, aux mesures d’austérité draconiennes imposées par la junte, à l’incompétence du gouvernement fédéral et local dans le processus de redressement du pays après Maria, et à l’oppression et à la violence inhérentes au colonialisme américain, qui a rendu Porto Rico dépendant d’un gouvernement contrôlé par des intérêts des entreprises en premier lieu. Rosselló, le fils de 40 ans d’un ancien gouverneur qui avait grandi au sein de l’élite de l’île et avait été élu à sa tête sans presque aucune expérience politique, était devenu un symbole de toutes ces injustices.
Le 21 juillet, il a réitéré son refus de démissionner, tout en concédant qu’il quitterait la présidence du Nouveau parti progressiste et ne chercherait pas à se faire réélire en 2020. Le lendemain, une grève générale a eu lieu dans toute l’île, exigeant que le gouverneur démissionne ou soit destitué. Plus de 500 000 personnes [pour une population de 3,194 millions d’habitants. NdT] ont participé à ce qui est devenu la «Marche du Peuple», en bloquant l’autoroute principale de San Juan, en portant des pancartes indiquant le numéro 4645 pour signifier le nombre de victimes de l’ouragan Maria selon une étude de Harvard. Les manifestants ont marché jusqu’au palais du gouverneur, où la police de San Juan a tiré des gaz lacrymogènes sur la foule rassemblée cette nuit-là. Les manifestants n’ont cependant pas été dissuadés et ils ont continué jusqu’a la résidence du palais de Rosselló. Finalement, après la démission d’une grande partie de son cabinet et de ses cadres supérieurs, et en réponse à d’autres reponsables de son parti politique qui l’ont pressé de quitter ses fonctions, Rosselló a annoncé sa démission sur Facebook Live vers minuit le 24 juillet, provoquant l’explosion de joie de la foule massée à l’extérieur, qui s’est mise à applaudir, chanter et danser. Alors que l’administration Trump et certains membres du Congrès s’emparaient du scandale de la corruption pour justifier une diminution de l’aide financière après l’ouragan et faire avancer leur programme de privatisation, le peuple de Porto Rico développait un récit différent pour son avenir politique. La légitimité du gouvernement local étant irrémédiablement compromise et la nature coloniale des relations de l’archipel avec les États-Unis mise à nu, il était clair pour tous que la mobilisation ne devait pas se terminer que par l’éviction d’un gouverneur corrompu. Les questions demeuraient : quelle nouvelle structure politique les gens souhaitaient-ils voir ? Quelles mesures permettraient de les y amener ?
Les manifestants qui ont forcé le départ du gouverneur Ricardo A. Rosselló à Porto Rico ont montré comment on peut forcer une figure politique à quitter le pouvoir. N’attendez pas une enquête du FBI ou les prochaines élections. Créer une crise par l’action directe. Que tout le monde en prenne note.
Faire face à l’avenir
«Dans le cas des CAM, notre travail est un outil important sur le chemin de la libération explique Lourdes, les CAM offrent des services et fournissent des produits de première nécessité que l’État ne propose pas, et éduquent constamment les gens sur la façon de s’organiser. Nous comprenons que l’auto- organisation est une voie vers la décolonisation, afin que les personnes qui participent à ce genre de travail puissent avoir des expériences de survie sans dépendre de l’État et construisent des alliances».
Récemment, le CAM-JI et le CAM de Carolinas se sont joints à deux autres initiatives d’entraide pour former le réseau régional connu sous le nom de PRAM, dont Lourdes et Daniel sont les coordinateurs, dans le but de se soutenir mutuellement. Le PRAM comprend également le Centro de Apoyo Mutuo Bucarabones Unido, situé dans le quartier de Bucarabones, dans la municipalité de Las Marías, qui gère une cuisine et un cinéma communautaires et propose des activités récréatives pour les adultes âgés et des programmes éducatifs pour les jeunes, notamment des ateliers artistiques et un projet de production audiovisuelle communautaire. La quatrième initiative au sein du réseau est la Brigada Solidaria del Oeste («Brigade de solidarité de l’Ouest»), un groupe de personnes de l’ouest de Porto Rico et de la diaspora. Formé immédiatement après l’ouragan Maria pour soutenir les communautés en nettoyant les gravats et en distribuant des articles essentiels, le groupe a poursuivi sa mission de solidarité en apportant des fournitures essentiels et un soutien logistique aux réunions d’organisation politique et des communautés touchées par les tremblements de terre de 2020.
Actuellement, quatorze projets à travers l’île sont engagés dans un réseau plus large de soutien mutuel, dont le CAM de Caguas et la cuisine communautaire de Río Piedras. En plus de renforcer la résilience pour faire face aux crises actuelles et futures, le réseau s’attache à établir des structures pour contrer les façons dont le colonialisme rend ses « sujets » dépendants du colonisateur. À cette fin, Pluma et les bénévoles du CAM-JI continuent de soutenir le développement de projets agro-écologiques visant à créer une souveraineté alimentaire à Porto Rico. Avant même que Maria ne détruise la plupart de ses cultures agricoles, Porto Rico importait la grande majorité de sa nourriture. Pluma pense que la solution réside dans un retour aux méthodes agricoles traditionnelles utilisées à l’origine par les populations indigènes de l’île. «Sur une île colonisée, dit-elle la seule façon de survivre est de continuer les méthodes traditionnelles».
«À Porto Rico, nous importons en gros plus de 80% de ce que nous mangeons, relève Daniel, des projets comme CAM-JI sont cruciaux pour l’indépendance de cette île, en termes de souveraineté alimentaire, mais aussi pour notre indépendance politique. Nous voulons construire des structures de pouvoir pour les travailleurs, afin qu’à terme nous puissions défier la classe dominante». La racine même de ce problème pour les peuples indigènes, explique Pluma, est qu’ils ne possèdent pas la terre. Pour l’instant, la CETA continue de travailler avec l’aide juridique et les groupes d’agriculteurs pour mettre en œuvre la réforme agraire, à la fois par une action directe et en poussant l’État à reconnaître leurs droits.
«À Lares, nous avons un gros problème de déplacement [de population], ajoute Pluma, nous allons nous en occuper, et nous allons le résoudre.» La communauté de Lares se compose principalement de personnes âgées et d’enfants, mais pas de jeunes. Comme il n’y a pas de développement économique ou social, la plupart des jeunes ont dû quitter la région pour trouver du travail. Pluma, qui est née et a grandi à Lares, a elle-même fuit la région à un moment donné parce qu’il n’y avait pas d’emplois. Pendant des années, elle a fait l’aller-retour entre San Juan, où elle travaillait, et Lares, où elle participait des projets agricoles pour aider sa communauté.
Aujourd’hui, elle est revenue et elle est de retour depuis trois ans. «Beaucoup d’entre nous qui ont été obligés de quitter leur région pour trouver du travail en ville ou en dehors de l’île reviennent». En ce moment, dit-elle, quatre de ses collègues sont en train de revenir à Lares parce qu’ils veulent réaliser leurs projets là où ils sont nés et ont grandi, et ils continuent à agir pour ramener d’autres camarades dans la région.
Une autre façon pour les communautés portoricaines de se reconstruire pour acquérir plus d’autonomie, plutôt que de revenir au statu quo, consiste à mettre en place des alternatives aux infrastructures d’énergie et d’eau qui étaient déjà défaillantes avant Maria. Le CAM de Carolinas a installé un système de panneaux solaires avec le soutien du MADR il y a environ un an, ce qui, selon Lourdes, a parfaitement fonctionné ; d’autres centres sont en pourparlers avec leurs communautés pour créer des systèmes de distribution d’énergie et d’eau appartenant à la communauté. «Il est tout à fait possible de créer un micro-réseau dans une communauté qui fournira toute l’énergie nécessaire à tout le monde, déclare Rain. Cependant, il faut aussi que cette communauté soit suffisamment soudée pour avoir des discussions sur la manière dont l’énergie sera distribuée équitablement et sur la manière dont chacun va contribuer au système afin de se l’approprier collectivement».
Certains des CAM continuent également à entretenir leurs réservoirs de stockage d’eau en tant que systèmes de captage des eaux de pluie. Rain estime que, comme toute énergie, les systèmes d’eau fonctionnent mieux à petite échelle, par opposition aux systèmes plus importants sur lesquels la plupart des villes fonctionnent. «Les systèmes modulaires, ajoute Rain, sont le meilleur moyen de conserver la ressource, et de s’assurer que les gens comprennent comment l’énergie ou l’eau leur parvient, afin qu’ils puissent aussi en comprendre les limites». Si l’on dispose d’un système de collecte des eaux de pluie, explique Rain, on reste attentif à la quantité d’eau disponible et on sait comment la conserver. Il est également important que chacun sache comment le système fonctionne afin de pouvoir l’entretenir. Avec les systèmes de panneaux solaires, les organisateurs de MADR ne se sont pas contentés de les installer, les communautés ont aidé à les mettre en place et ont appris tout ce qu’il fallait savoir pour les entretenir.
«Lorsqu’une catastrophe se produit, il y a un vide à plusieurs niveaux : connaissance, pouvoir, etc. Si vous pouvez apporter des informations différentes, et proposer un exemple différent, vous pouvez présenter un monde alternatif». La plupart des gens, selon Rain, n’ont pas le temps d’imaginer cela et d’y travailler immédiatement parce qu’ils sont trop occupés à essayer de survivre au quotidien. «Quand vous avez un collectif de personnes qui sont prêtes à travailler dur ensemble dans leur propre communauté pour imaginer quelque chose de différent, et quand d’autres personnes peuvent venir soutenir cette imagination et les aider à la reconstruire, cela soulage le travail et le poids que peut représenter le projet pour la communauté qui souffre déjà de la catastrophe. Ils peuvent alors atteindre cet objectif un peu plus rapidement. Ils peuvent voir une sorte de récompense pour ce travail, de sorte qu’ils ne s’épuisent pas aussi vite. Donc si vous pouvez combler ce vide avec de l’imagination et de la solidarité dès le début, vous avez alors l’opportunité de changer le récit et de modifier la structure de la façon dont nous, en tant que communauté humaine sur cette planète, fonctionnons».
Comme le CAM de Carolinas qui continue à offrir ses programmes originaux (cuisine communautaire, magasin gratuit et thérapie par l’art), les organisateurs prévoient de faire un recensement dans la communauté pour savoir quels autres services seraient utiles. «Il y a encore douze pièces vides dans l’école qui pourraient être utilisées », dit-elle. Les idées qu’ils envisagent actuellement pour les années à venir comprennent une boulangerie artisanale, des services d’obstétrique, une salle pour la fermentation des aliments, une autre salle pour l’art-thérapie pour les enfants de tous les sexes, un espace pour la danse et une salle pour les services civiques – apporter une aide pour remplir les formulaires gouvernementaux pour les personnes qui ne savent pas lire ou écrire ou qui ne sont pas familiarisées avec l’informatique. «Ce ne sont là que quelques possibilités, car nous voulons continuer à parler avec la communauté et à comprendre ce qu’elle veut et quels types de services lui seraient utiles».
Rester indépendant de l’État
Alors qu’ils poursuivent ce travail, les CAM restent conscients de la nécessité de rester indépendants. «Tout cela s’est fait grâce à un travail bénévole non rémunéré, et nous n’avons jamais reçu de fonds publics d’aucune sorte», explique Lourdes. «Tout a été fait par du travail bénévole ou des dons individuels de personnes qui se soucient du projet». La plupart des dons monétaires et en nature que les projets reçoivent de l’extérieur de l’île proviennent de Portoricains de la diaspora. La formation de ce réseau régional est également une étape clé pour que les CAM puissent se maintenir. «L’idée d’unir le CAM de Carolinas avec trois autres CAM est d’unir les forces pour être mieux à même d’obtenir les dons et les ressources financières nécessaires au projet. Nous envisageons également des options comme un plan d’adhésions, mais l’essentiel est de s’assurer de rester indépendant des fonds gouvernementaux».
«La stratégie derrière toutes ces CAM est de gagner en indépendance, explicite Daniel. C’est pourquoi nous réfléchissons à la manière dont nous pouvons créer certains projets qui peuvent obtenir des financements». L’une des idées qu’ils ont envisagées est de créer une coopérative de travailleurs autour de la boulangerie artisanale, ce qui permettrait de fournir des emplois aux jeunes de la communauté tout en apportant de l’argent pour soutenir le centre. Cette idée, ainsi que celle d’une cuisine communautaire pouvant servir de traiteur pour des événements, sont des exemples des différentes façons dont ils envisagent le réseau pour favoriser une économie solidaire.
Pluma affirme que le CAM-JI est également ferme dans sa position contre l’acceptation de fonds fédéraux. «Il est clair que pour être décolonisés, nous devons construire nos propres voies de décolonisation, et celles ne passent pas par s’allier avec les choses qui ne sont pas justes». Leurs projets pour soutenir l’école occupée sont tous basés sur l’agriculture : production, vente et échange de nourriture, et production et vente d’engrais organique à base de compost, dont le besoin est grand actuellement à Porto Rico. Comme le gouvernement est allié à des entreprises agrochimiques comme Monsanto, ces entreprises ont obtenu des accords par lesquels le gouvernement donne leurs produits agrochimiques aux agriculteurs. Selon elle, les agriculteurs de leur région comprennent maintenant que les produits agrochimiques sont destructeurs pour la terre et que la seule solution est de revenir à «nos façons traditionnelles de travailler la terre». Pluma pense également que ce réseau entre quatre CAM, ainsi qu’un réseau plus large de CAM à travers toute l’île, va créer une économie interne – une économie qui ne dépend pas autant des ressources provenant de l’extérieur de Porto Rico, mais qui relie les CAM et les communautés environnantes et les soutient. Par exemple, elle prévoit qu’à l’avenir, le CAM-JI fournira ses engrais organiques au CAM de Carolinas pour son jardin, et peut-être que le CAM-JI obtiendra du pain de sa boulangerie.
Ces expériences collectives d’entraide ont permis aux Portoricains de mieux résister aux crises de 2020, dont le tremblement de terre de magnitude 6,4 qui a frappé le sud-ouest de l’île en janvier, suivi de plus de 1 000 répliques qui se sont poursuivies en mai, ainsi que la pandémie Covid-19. Lorsque le principal tremblement de terre a frappé aux premières heures du 7 janvier, détruisant ou endommageant quelque 3 000 maisons dans les municipalités du sud-ouest et des montagnes centrales et provoquant une panne d’électricité généralisée, les gens savaient déjà qu’ils ne pouvaient pas s’attendre à recevoir de l’aide de l’État et ont immédiatement organisé leurs propres opérations de secours à la base. «Les groupes d’entraide existants, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des zones touchées, avaient été préparés par les catastrophes précédentes, explique Pluma, et ils ont commencé à sonder les habitants locaux pour identifier leurs besoins et pour collecter et distribuer les biens nécessaires tels que la nourriture, l’eau en bouteille et les vêtements. En raison des répliques, de nombreux habitants ont dormi dehors de peur que leur maison ne s’effondre la prochaine fois que le sol tremblerait ; il a donc fallu distribuer des fournitures, notamment des tentes, des lits de camp, des matelas pneumatiques et des réchauds à gaz. De nouveaux groupes d’entraide se sont également formés en réponse à cette crise ; de nombreux voisins continuent à se soutenir mutuellement à mesure que de nouvelles crises apparaissent. »
Auto-défense sanitaire face au Covid-19
Daniel explique que le CAM de Carolinas n’a pas été durement touché par la pandémie. Il attribue cela au fait que les gens réagissent différemment à la Covid-19 à Porto Rico qu’aux États-Unis. Presque tout le monde porte un masque, dit-il, et prend toutes les précautions recommandées par l’Organisation mondiale de la santé. Au début, ils ont suspendu leurs activités au CAM et ont suivi de près les informations pour savoir comment ils devaient procéder. Une fois qu’ils ont compris qu’ils pouvaient contrôler les risques en utilisant des équipements de protection individuelle et en prenant diverses mesures sanitaires, ils ont su qu’ils n’avaient pas à arrêter le travail. En fin de compte, ils n’ont été fermés que pendant un mois environ. «Même si nous ne sommes pas les premiers intervenants, nous le sommes en quelque sorte, d’une certaine manière. Certains des services que nous offrons à la communauté sont essentiels».
Il se souvient que lors de leur réouverture, 20 nouveaux jeunes sont arrivés au CAM, désireux de faire du bénévolat. Davantage de personnes voulaient aider la communauté, précise-t-il, parce qu’elles comprenaient que la pandémie signifierait plus de pauvreté et que l’État et le secteur privé ne répondraient pas aux besoins essentiels. «Les jeunes cherchent de nouveaux moyens politiques pour manifester leur colère. Ils veulent contribuer à leur pays d’une manière peut-être différente de celle qu’ont vécue leurs parents».
«À Lares, nous avons arrêté le travail, dit Pluma à propos du stade précoce de la pandémie. Nous étions sur le chantier de la reconstruction de l’école, et nous nous sommes arrêtés pendant un mois ou deux, puis nous avons recommencé». Ils ont également constaté une augmentation du bénévolat, car les gens s’inquiétaient de la manière dont les besoins de base seraient satisfaits une fois que tant d’institutions seraient fermées. Comme les gens s’y attendaient, le gouvernement n’a pas répondu à la crise. Alors que les autorités ont adopté des lois obligeant les gens à porter des masques, à se laver les mains et à rester chez eux à certaines heures, elles n’ont pas fourni aux résidents l’équipement de protection individuelle (EPI) et les autres articles essentiels dont ils avaient besoin. Le CAM-JI a commencé à distribuer des EPI, a organisé un atelier sur la fabrication de désinfectant pour la communauté, et a distribué de la nourriture. «Seule la communauté sauve la communauté», rappelle Pluma. Pendant les deux mois où ils ont cessé de travailler, le CAM a organisé des débats et des conférences virtuelles avec la communauté agricole. L’une de ces conférences portait sur la façon dont ils pouvaient répondre à cette question en tant qu’agriculteurs ; ils ont tenu plusieurs conférences sur la questions indigène. Au cours de toutes ces conversations, ils ont constamment souligné «l’abandon permanent des communautés par le gouvernement».
Alors que les participants à chaque CAM affirment fermement que les écoles appartiennent à la communauté et que celle-ci les soutient, l’occupation de ces bâtiments comporte le risque constant que l’État tente de les expulser. «Dans les relations avec les autorités, les choses sont un peu bloquées en ce moment», dit Pluma. Au CAM-JI, ils ont soumis les documents légaux nécessaires pour «demander» l’école, selon la procédure du gouvernement local. L’agence qui prétend être propriétaire du bâtiment n’a cependant pas encore répondu, car on se demande à quel organisme d’État le bâtiment appartient réellement. Pour la communauté, il n’y a pas de question concernant sa propriété. Pluma explique qu’elle continuera à l’occuper quel que soit le résultat de la procédure légale. La reconstruction du bâtiment se poursuit sans relâche, et ils ont déjà un calendrier d’événements. «Nous le défendrons, peu importe comment, dit-elle. La communauté est très soucieuse que personne ne nous prenne notre école. Ces écoles sont à nous».
Toutes les écoles publiques ne sont pas «détenues» par le ministère de l’Éducation de Porto Rico, ce qui rend confuse la question de savoir qui a le droit légal de décider de ce qu’il faut faire des bâtiments. Par exemple, explique Daniel, l’école de Las Carolinas est officiellement la propriété de l’Administration des routes et des autoroutes, tandis que d’autres écoles sont la propriété des municipalités. Dans le cas du CAM de Carolinas, dit-il, l’administration n’a pas montré beaucoup d’intérêt pour l’utilisation de l’école précédemment vacante, bien que certaines entreprises aient manifesté leur intérêt pour l’achat du bâtiment à des fins commerciales. Chaque fois que ces entreprises envoient quelqu’un pour dire aux femmes qui coordonnent le CAM qu’elles occupent le bâtiment illégalement, les femmes réaffirment simplement que l’espace leur appartient et qu’elles n’ont aucune intention de partir. Jusqu’à présent, les compagnies ont préféré pour l’instant ne pas insister.
Lourdes souligne que les gens sont fermement résolus à ne pas être expulsés des bâtiments qui abritent leurs CAM. «Les communautés impliquées dans le projet sont solides, dit-elle. Peu importent les contrecoups que ce soit dans un avenir proche ou à tout moment, nous allons rester sur place. Cela doit être clair, donc chaque fois que nous disons cela aux gens, que peu importe qui vient, soyez sûrs que c’est à vous».
Daniel dit qu’il n’a pas vu de tentatives de répression de la part des politiciens locaux ces derniers temps, et affirme que cela est le produit de la nouvelle réalité politique reflétée dans les élections locales de 2020. «C’est un nouveau Porto Rico. Notre mentalité collective a changé de manière progressive. Il va donc être très, très, très difficile – voire suicidaire, politiquement parlant – pour tout politicien d’essayer de soustraire ce projet aux communautés». Il ose espérer qu’ils pourront trouver des alliés dans cette nouvelle arène politique, et peut-être même obtenir les titres de propriété pour les écoles.
Bien que les résultats des élections de 2020 à Porto Rico semblent à première vue refléter peu de changement par rapport au statu quo, plusieurs facteurs jettent une lumière différente sur ces résultats. Le gouverneur sortant Wanda Vázquez, qui a pris ses fonctions en août 2019 suite à la démission de Rosselló, n’a pas été désigné par Nouveau parti progressiste (PNP) lors des primaires au profit de Pedro Pierluisi, qui l’avait précédée au poste de gouverneur du 2 au 7 août. Rosselló avait nommé Pierluisi ministre et l’avait déclaré gouverneur au moment de sa démission, mais son poste de gouverneur a été déclaré inconstitutionnel et annulé par la Cour suprême de Porto Rico parce qu’il n’avait pas été confirmé par le Sénat comme ministre. Le 3 novembre 2020, Pierluisi a remporté l’élection au poste de gouverneur avec seulement 32,9 % des voix, le pourcentage le plus faible jamais enregistré à ce jour pour un gouverneur élu sur l’île. Le PNP, dont Rosselló est également membre, plaide pour que Porto Rico devienne le 51e État des États-Unis. L’un des deux principaux partis politiques, le Parti démocratique populaire (PPD), préconise le maintien du statut politique actuel de territoire non rattaché aux États-Unis.
Pourtant, cette dernière élection a montré que la majorité des électeurs ne sont pas intéressés par aucune de ces options. Trois autres partis plus petits, dont le Parti de l’indépendance de Porto Rico, ont remporté près de 35 % des voix au total et ont obtenu six sièges à la Chambre des représentants et au Sénat. […]
«Dans une colonie», explique Daniel, il n’y a pas de démocratie du tout, car elle est contrôlée par les marionnettes impériales». Il continue à être très sceptique quant à la politique électorale comme voie vers l’indépendance, tout en notant ce qu’il décrit comme le «nouveau spectre» de la gauche radicale est présent dans l’arène politique. Daniel attribue cela au fait que la jeunesse de Porto Rico est devenue plus radicale politiquement que les générations précédentes, et que les gens en général sont «malades et fatigués» de la corruption. «Certaines personnes voient, dans l’arène politique, une façon pour nous d’exprimer notre colère, dit-il. Mais l’importance de nos projets est que nous ne comptons pas seulement sur l’arène électorale. Nous créons des structures de pouvoir pour les travailleurs dans nos propres communautés».
Pluma a observé que l’un des rôles de l’entraide dans la voie pour la décolonisation est de donner aux gens le pouvoir de développer les connaissances et les talents qu’ils possèdent déjà, ce que la colonisation avait étouffé. «Ce qui est intéressant dans le fait que nous soyons une colonie, c’est qu’il y a des gens qui ont beaucoup de choses qu’ils veulent faire. Ils veulent créer, mais les conditions sociales et politiques ne sont pas là. Nous facilitons un lieu de pouvoir, où les gens peuvent trouver les outils pour surmonter ce contexte colonial, cette frontière coloniale. Notre développement économique a été pris en otage. Notre développement social a été pris en otage. Nous sommes donc ici pour faciliter ce qui existe, juste pour faciliter toute cette sagesse, toutes ces capacités, tous ces projets formidables et les choses que notre peuple veut faire. Mais il y a une frontière là, la frontière de la colonisation qui essaie de nous arrêter».
Daniel théorise que ce type de travail résonne davantage auprès des gens en ce moment en raison du vide politique qui existe. «Les gens n’ont pas de rapport avec l’État affirme-t-il. Nous, en tant que peuple, n’avons pas de relation avec l’État parce qu’il n’est pas là. C’est comme un fantôme». Pour cette raison, il pense que notre stratégie consistant à «créer des espaces permettant aux gens de s’auto-organiser et de se considérer comme les éléments clés de notre survie en tant que communauté peut conduire à l’autonomie qu’ils recherchent. Nous sommes en train de créer le pays que nous voulons. Nous créons les structures de ce nouvel État, de la base au sommet».
«Nous sommes définitivement sur la voie de la décolonisation, sur tous les plans politique, économique, social, conclut Pluma. Nous sommes là, et nous ne nous arrêterons pas.»
Traduction de Patrick Le Tréhondat – Titre et intertitres de la rédaction de l’Autogestion l’encyclopédie internationale. Titre original « Disaster Relief, Mutual Aid, and Revolt».
Article original : https://fr.crimethinc.com/2021/02/08/puerto-rico-the-road-to-decolonization-disaster-relief-mutual-aid-and-revolt
Notes:
- Porto Rico es un Etat indépendant, mais associé aux États-Unis. Il n’est pas membre de l’Organisation des nations unies (ONU) ni de la plupart des organisations internationales. Les habitants de Porto Rico ont la nationalité américaine et peuvent voter pour la désignation des candidats démocrates et républicains à l’élection présidentielle américaine lors des primaires, mais pas à l’élection elle-même. NdT. ↩
- Pour Daniel Orsini, l’un des coordinateurs du réseau régional d’entraide de Porto Rico (PRAM) et un organisateur du CAM à Las Carolinas. « Nous, en tant que partie de l’Amérique latine, avons adopté ce terme parce que c’est une junte civile. Elle dicte les termes de notre politique fiscale : combien d’argent va à l’université, combien va aux soins de santé, combien va aux communautés. Cette dictature civile impose plus d’austérité à notre peuple ». ↩