Les 25 et 26 octobre 2018 était organisée à Bruxelles, avec l’aide de l’Alter Summit et de l’association REACT, la première rencontre des livreurs ou riders européens qui travaillent pour les plateformes de livraison telles que Deliveroo, Foodora, Glovo ou Uber Eats. Elle a compté une soixantaine d’entre eux, venus de douze pays différents (de l’Espagne à la Norvège, les pays de l’Est étant absents) et une trentaine d’observateurs, chercheurs ou syndicalistes.

Ce qui prédomine pour améliorer la condition de ces travailleurs, c’est une approche fondée sur la voie légale dans les pays du Nord et une autre sur la mobilisation dans ceux du Sud. A ce titre, l’Angleterre conjugue les deux aspects : d’un côté, l’organisation de grèves simultanées dans plusieurs villes le 4 octobre dernier, en lien avec les salarié-es de la restauration rapide, dont les livreurs sont le fer de lance avec leur statut d’indépendant qui leur permet de contourner une législation qui corsette le droit de grève (nécessité d’un préavis, interdiction des piquets). De l’autre, les actions victorieuses en justice menées par le syndicat IWGB qui vise à faire reconnaître le statut intermédiaire, dont l’obtention d’un salaire minimum, de worker à ces travailleurs uberisés.

La situation française peut être résumée de la sorte :

– Une (auto)organisation des livreurs qui va crescendo :

La faillite de Take Eat Easy en 2016 a servi de déclencheur et a abouti à la première grève nationale l’an dernier dont l’écho médiatique a obligé la direction de Deliveroo à recevoir à plusieurs reprises les collectifs et syndicats à son origine. En 2018, l’instauration de la tarification au kilomètre a provoqué une mobilisation encore plus importante ces dernières semaines et renforce la coopération entre les syndicats CGT, CNT-SO et SUD et le CLAP.

– Le syndicalisme, c’est l’école de guerre des travailleurs :

Seule l’organisation syndicale est à même d’assurer la pérennité entre deux luttes, que ce soit en fournissant un soutien juridique, financier, international et une formation aux méthodes traditionnelles de la lutte des classes que sont la manifestation, la grève, le blocage et l’occupation.

– « C’est le fait qui fait le droit » :

Les plateformes comme le gouvernement pourront difficilement esquiver plus longtemps la nécessité de la reconnaissance de l’expression collective, de fait ou de droit, de ces travailleurs : par exemple, Deliveroo compte 10.000 travailleurs en France, cela veut dire que la principale plateforme fait partie des 4 % des grandes entreprises que compte notre pays (le seuil pour une grande entreprise est fixé à 5.000 salarié-es ; à titre de comparaison, Carrefour compte elle 120.000 salarié-es).

Le soir, un débat intitulé « Deliveroo du mal » était organisé : outre un sociologue et des livreurs/euses français, italien et norvégien, un juriste a pointé les limites de l’intervention de l’Etat, prenant exemple sur l’amendement du député français Aurélien Taché qui vise à cadenasser toute requalification de contrat en salarié, et des juges, renvoyant aux conditions d’exploitation du 19ème siècle et à la nécessité de l’action collective pour y remédier.

Le lendemain, une rencontre a eu lieu entre la dizaine de syndicats présents la veille soient la FGTB, avec plusieurs de ses composantes régionales et sectorielles, la CGT, représentée par ses fédérations des bureaux d’études et du commerce, la CISL italienne, des syndicats du Nord de l’Europe (Allemagne, Autriche, Norvège et Suisse) ainsi que la CES et sa branche de l’alimentation, l’EFFAT.

Les points suivants ont été abordés :

– la nécessité, partagée par tous, de pouvoir organiser ces travailleurs prétendument indépendants mais dépendants économiquement,

– dès lors, la question de leur rattachement aux branches du transport, de l’alimentation (mais les services des plateformes ne se limitent pas à la restauration, à l’instar de Stuart en France) ou des services (il existe une directive européenne) se pose,

– pour être audible et leur être utile, il s’agit de se mettre à hauteur de coursier, c’est-à-dire partir de leurs revendications, le plus souvent éloignées de la reconnaissance d’un travail salarié, et des formes d’organisation qui sont les leurs.

Un état de la représentation collective de ces travailleurs va être fait dans nos pays respectifs, qu’elle soit de fait ou de droit (exemples : une convention collective a été mis en place en Norvège, il existe un comité d’entreprise Foodora en Allemagne, une charte a été mise en place par la ville de Bologne et des discussions ont commencé avec le ministre italien du travail). Une liste d’échanges va être mise en place pour permettre d’informer les riders des évolutions à l’œuvre dans les autres pays, de peser sur nos gouvernements et les politiques et surtout en direction des plateformes, qui sont les mêmes partout.