En septembre 2019, 2 300 professionnel·les de santé fondaient un collectif pour réclamer des Etats généraux de l’hôpital public et s’organisaient dans un Collectif Inter-Hôpitaux. Ils et elles réclamaient, sept mois avant la crise sanitaire provoquée par le Covid19 « la réévaluation des filières de soins, nécessitant l’ouverture de lits pour l’aval des urgences », « l’embauche en nombre suffisant de personnels soignants, de travailleurs sociaux et de secrétaires », et une « revalorisation des salaires ». Depuis, de nombreux Collectifs Inter Hopitaux (CIH) se sont créés dans toute la France. Plus récemment, le CIH a produit un véritable contre-plan très détaillé de propositions de réorganisation de l’hôpital et du système de santé qui est consultable sur son site https://www.collectif-inter-hopitaux.org/. Nous proposons ci-après des extraits de ce contre-plan. Au moment du Ségur de la santé de juillet 2020 qui s’est achevé sur une grave défaite des personnels soignants sur leurs revendications, ce contre-plan constituait une contribution importante pour des objectifs unifiant de lutte, une base pour la construction d’une alliance de mobilisation personnels soignants, administratifs et d’entretien – usagers sur laquelle qui aurait pu pour faire plier le gouvernement. Cette chance n’a pas été saisie. Le système de santé poursuit son effondrement.

Organisé en 5 documents, transformation et valorisation des métiers soignants, les personnels médicaux, investissement et financement, simplification et organisation du quotidienne et fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers, le contre-plan détaille dans chaque chapitre diagnostic et propositions du Collectif. Concernant l’organisation de l’hôpital, le CIH indique que

La hiérarchie hospitalière doit évoluer vers moins de strates, de transversalité et vers un recentrage sur les services. La gouvernance doit pouvoir redonner la parole et l’expertise aux professionnels de terrain aux personnels médicaux et paramédicaux, avec une direction tripartite administrative, médicale et paramédicale. Le cadre de santé est un interlocuteur privilégié au centre de l’organisation de travail aux côtés du chef de service. A l’interface de tous les métiers de l’hôpital, il doit retrouver son leadership et sa plus-value réelle sur le terrain des soins, aux côtés des équipes de travail, avec les outils adéquats pour mener à bien sa mission. La responsabilité du service est assurée par un binôme médical et paramédical élu (pas obligatoirement un U en CHU) pour un mandat de 4 ou 5 ans, avec une formation adaptée et du temps dédié. L’organisation du service est définie par le conseil de service élu. Participer à la gouvernance hospitalière suppose de recevoir une formation sur le fonctionnement du système de santé et de l’hôpital et que les compétences liées à cette participation soient reconnues. L’auto-gestion d’équipes stabilisées doit être recherchée dans les tâches administratives (planning, renseignement de l’activité etc.). En responsabilisant les équipes dans la vie du service et en dégageant les encadrants de tâches chronophages sans plus-value, les cadres de santé pourront se concentrer sur ce qui fait sens en management : exercer son leadership clinique, accompagner et évaluer les compétences, promouvoir les carrières, proposer des organisations efficaces et parfois innovantes, favoriser la communication et le débat d’idées, participer à la veille documentaire et à la construction de données probantes, etc.

Plus loin, le CIH précise que :

  1. La gouvernance de l’hôpital est assurée par un trio: directeur d’hôpital, directeur médical, directeur paramédical d’une part en lien avec un représentant élu des usagers et le doyen pour les CHU, d’autre part. La gouvernance travaille en lien étroit avec le président de la commission des usagers. Le représentant des usagers aura voix consultative sur les questions managériales et budgétaires.
    1.1. Le président de CME [commission médicale d’établissement] devient « directeur médical », le président élu de CSIRMT [Commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques] devient « directeur paramédical ». Ils ont des moyens dédiés pour l’exercice de leurs missions.
    1.2. Les présidents de toutes les commissions sont élus (CME, CSIRMT, CDU)
    En cas de désaccord au sein de la gouvernance persistant malgré la concertation, l’arbitrage est fait par une tutelle externe (conseil de surveillance). La loi donnant systématiquement la décision au directeur et non au président
  2. Rénover le management
    2.1. La direction du service est assurée par un binôme responsable médical élu pour un mandat de 4 ou 5 ans/ responsable paramédical, médecin / cadre de santé avec une formation adaptée et du temps dédié
    2.2. L’organisation du service est définie par le conseil de service élu
    2.3. Prendre en compte les propositions du binôme responsable pour la construction du tableau des emplois et la détermination du nombre de soignants nécessaires permettant de fidéliser les équipes et avoir des effectifs stables en décorrélant le nombre d’agents au nombre de lits pour favoriser le lien ville / hôpital et l’émergence de nouvelle prise en charge et en prenant en compte l’absentéisme qui désorganise et la formation des personnels tout au long de leur carrière, avec du temps dédié.
  • Le pouvoir décisionnaire doit être équilibré entre gestionnaires, médecins, personnels hospitaliers et représentants des usagers. Son objectif ne doit pas être déterminé par la logique financière ou d’activité.
  • Les organisations doivent être centrées sur la mission de soin. Elles doivent valoriser l’humanisation des soins et être simplifiées.

La question du mode de gestion démocratique de l’hôpital est encore discutée plus loin :

  • La démocratie participative doit être le processus privilégié pour prendre les grandes décisions dans un objectif de bien commun partagé au sein de l’hôpital. Le management doit être bienveillant et la communication renforcée et transparente. Chaque projet doit être présenté aux personnels et représentants des usagers qu’il concerne puis une clause de « revoyure » à distance de la mise en place du projet doit être systématique.
  • La gouvernance hospitalière doit partir du principe que la seule unité pertinente pour définir et mettre en œuvre la politique médicale est le service de spécialité constitué de l’ensemble de son personnel qui s’organise autour d’une même activité clinique, médico-technique ou technique (blanchisserie, cuisines, informatique, sécurité,…). Les pôles et strates médico-administratives supplémentaires engendrent de la démotivation par leur absence de cohérence clinique et en éloignant le terrain de la décision.
  • Les services doivent être gérés comme des collectifs interprofessionnels à la fois solidaires et créatifs, respectueux de chaque professionnel. L’autonomie des professionnels doit être respectée. Les soignants doivent avoir un rôle dominant dans l’organisation de leur travail. Source d’innovation, le travail collaboratif avec les associations des usagers doit être engagé.
  • Les services doivent être gérés comme des collectifs interprofessionnels à la fois solidaires et créatifs, respectueux de chaque professionnel. L’autonomie des professionnels doit être respectée. Les soignants doivent avoir un rôle dominant dans l’organisation de leur travail. Source d’innovation, le travail collaboratif avec les associations des usagers doit être engagé

Sur la question de la qualité de vie au travail :

Nul besoin de réexpliquer ici la dégradation de la qualité de vie au travail des hospitaliers. La qualité de vie au travail d’un soignant est intimement lié à la qualité perçue de son travail, aux conditions dans lesquelles les compétences et expertises peuvent s’exercer, aux possibilités d’exprimer ses idées, ses opinions, ses difficultés. Beaucoup d’autres facteurs peuvent avoir une influence sur cette qualité de vie au travail et recoupent, en transversal, toutes les propositions de cette contribution. La question de l’environnement de travail et de la qualité du mobilier et du matériel est aussi un facteur essentiel de travail effectué dans de bonnes conditions. La question de l’évaluation de cette qualité de vie au travail reste majeure, particulièrement la méthode d’évaluation, ses fondements et l’établissement des critères de « bon travail », le plus souvent extraits du contexte dans lequel il est produit. La démocratie sanitaire passera par la discussion des critères de réalisation des soins par l’ensemble des intervenants, travailleurs et patients. Les critères de qualité de vie au travail et de qualité du travail doivent être définis par les professionnels et faire l’objet d’une auto-évaluation tous les ans.

Suivent des propositions :

  1. Le temps des réunions d’unité et de service doit être inclus dans le temps de travail. Chaque corps de métier doit pouvoir y participer et exprimer son point de vue librement. Les horaires de réunion doivent respecter la qualité de vie des personnels et ne pas dépasser le cadre de 8h30 à 18h30.
  2. Les projets d’unités de soins et de service sont discutés et votés par tous les membres du service (cf pilier 3).
  3. Un budget “équipes” doit pouvoir permettre d’organiser des activités d’équipes à même de participer au bien être au travail, au team building, à l’intelligence collective.
  4. Le personnel de tous les établissements hospitaliers est appelé à se prononcer sur ses conditions de travail, sur la qualité du management, sur les possibilités de formation et de développement professionnel, sur sa motivation et satisfaction au travail, sur la gestion des erreurs et incidents, sur la qualité des soins délivrés.
  5. Évaluation qui doit se faire tous les ans et intégrer les critères de certification des hôpitaux, avec un label type “magnet hospital” qui oblige les établissements à être performant dans ces domaines: conditions de travail, attractivité, QVT, Qualité perçue du travail, offre sociale d’accompagnement des agents…
  6. Le télétravail doit respecter aussi la qualité de vie en définissant avec le professionnel des horaires strictes, fournir le matériel nécessaire, particulièrement un téléphone professionnel. De même le droit à la déconnexion doit être reconnu avec absence d’obligation de lire ses emails en dehors des horaires de travail.

Sur la gestion de la Sécurité sociale :

L’État est le garant de la Sécurité sociale mais non le gestionnaire. La «gouvernance» doit être revue en donnant une place aux professionnels de santé et aux usagers qui devront siéger de plein droit au conseil de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie (CNAM) et dans les instances et comités qui en dépendent. Une de ces instances, réunissant les représentants des assurés sociaux, des associations d’usagers et des représentants des professionnels de ville et de l’hôpital, sera dédiée à la définition et à la réévaluation régulière du panier de prévention, de soins et de services. Ce «panier solidaire 100% » prendra en compte les données scientifiques présentées par la Haute Autorité de Santé (HAS) et les sociétés savantes. De même les représentants des usagers devraient participer aux négociations conventionnelles avec les organisations professionnelles. Les dépassements d’honoraires des professionnels sont actuellement justifiés par la sous-valorisation des tarifs officiels remboursés par la Sécurité sociale. Il convient de revoir les tarifs des actes et honoraires.

Dans les documents du CIH, la question des médicaments est également abordée :
La transparence est nécessaire
Il faut fixer pour des médicaments vitaux innovants, un prix public permettant un accès universel en recourant si besoin à la clause de la licence d’office (autorisant un pays à faire fabriquer un médicament sous licence à un prix adapté à ses moyens).
Il faut obtenir la transparence des coûts de recherche, développement et production, la traçabilité des financements publics et privés tout au long du circuit de recherche et développement et production des produits de santé.
Il faut mettre en place une clause du « juste prix » lors des négociations entre unités de recherche publiques et industriels pour le développement de nouveaux médicaments et d’exiger le respect rigoureux des critères de brevetabilité des inventions en santé quand les conditions de santé publique l’exigent.
Il faut exiger la transparence et la publicité dans les négociations au niveau du comité économique des produits de santé (CEPS)…..

Contrôles de la production et des stocks de médicaments et dispositifs médicaux :

  • Constitution de stock de six mois pour les médicaments vitaux
  • Établissement public de santé permettant la production
  • Déclaration du coût de la recherche et développement pour toute nouvelle molécule disponible
  • Évaluation postAMM [autorisation de mise sur le marché] par une structure publique indépendante

Dans le chapitre « Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers », la proposition de maison de santé est avancée :

Enfin il est primordial d’intégrer tous les patients et usagers dans des pratiques de santé communautaires, et les inclure dans les débats de la démocratie sanitaire :

Refonte des modes de décision du financement à tous les échelons (de l’Assurance Maladie jusqu’au niveau de recours aux soins), en y associant professionnels de santé et usagers, avec notamment un changement de la gouvernance de l’hôpital pour une direction équilibrée associant personnel médical et non médical, administratifs et usagers.

Développement des maisons de santé pluri professionnelles libérales et centres de santé salariés, qui doivent avoir un même « cahier des charges ».

Il s’agira de développer des maisons de santé pluri professionnelles libérales et centres de santé salariés, pour répondre aux besoins de la population, satisfaire les aspirations des professionnels à travailler en groupe et avec différents professionnels de santé ou du secteur médico-­‐social. Cette activité d’équipe permet la mise en œuvre de politiques territoriales de santé.
Ces nouvelles structures doivent avoir un même « cahier des charges ». En cas de rémunération à l’acte, la prise en charge à 100% par l’assurance maladie obligatoire, la pratique du tiers payant et l’absence de dépassement doit en être la règle pour éviter les renoncements aux soins, actuellement évalués à 30% dans les populations les plus socialement vulnérables. L’activité de ces structures de soins primaires doit répondre aux besoins de leur patientèle, mais également aux besoins de la population de leur territoire, assurant notamment des missions de prévention et de promotion de la santé. Elles doivent également assurer la permanence des soins pour désengorger les urgences. Elles doivent être un lieu de formation des professionnels de santé, ainsi qu’un lieu de recherche en santé primaire

Contribution à paraitre dans le volume 9 de Autogestion, l’encyclopédie internationale.