25 juin 2015, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (Front de gauche + divers Outre-Mer) à l’Assemblée nationale tenait un colloque sur le thème de l’emploi. Face aux conséquences de la Loi de Sécurisation de l’Emploi votée en 2013 et des incidences du projet de loi Macron, ce colloque était l’occasion d’ébaucher des contre-propositions législatives. Il s’est tenu avec la participation de juristes, d’économistes, de syndicalistes et de représentants de nombreuses entreprises en lutte ainsi que de SCOP récemment créées.
Ce colloque s’inscrivait dans la suite de la proposition de loi sur le droit de préemption des salariés sur leur entreprise en cas de cession déposée par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) et débattue le 7 mai 2015 (voir notre article à ce sujet). André Chassaigne, député PCF du Puy-de-Dôme, a introduit le débat en rappelant le projet de loi qu’il a déposé en mars 2013 sur l’interdiction de licenciements boursiers ainsi que sur la bataille législative qui se mène actuellement sur le terrain de la loi Macron. Un premier panel de juristes a exposé les incidences des nouvelles lois sur le maintien des emplois et les possibilités offertes aux salariés pour élaborer des plans alternatifs. Josépha Dirringer, juriste universitaire, a souligné le glissement qui s’est effectué avec l’introduction de la Loi de sécurisation de l’emploi (LSE). Désormais, les salariés ne disposent plus de la faculté de se prononcer en amont et d’étudier la validité économique des licenciements, ceux-ci étant invités dans le cadre du « dialogue social » à négocier les conditions de ceux-ci, le tout sous le couvert de juges administratifs poussés à traiter rapidement chaque « dossier » dans une optique de rendement. Elle estime cependant que la démocratie économique et le droit d’information des salariés inscrites dans la constitution devrait permettre de d’envisager des contre-offensives. Son collègue, Morgan Sweeney, a rappelé que l’objectif initial des Plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) était de limiter l’impact et le nombre des licenciements et de contrecarrer l’arbitraire de l’employeur. Cette mesure s’inscrivait dans une logique de relations de long terme entre le salarié et l’entreprise. La LSE a soumis l’approbation des PSE à des juges administratifs formés dans une « logique gestionnaire ». La loi Macron renforce ce dispositif en réduisant les périmètres de responsabilité des entreprises tant en terme de groupe que de catégories de postes. Amine Ghénim, l’avocat des ex-Fralib et des ex-Pilpa, qui avait innové en attaquant les PSE au tribunal d’instance et avant que les salariés ne soient licenciés, s’est montré très pessimiste quant aux possibilités de bloquer des licenciements collectifs et de créer des plans alternatifs comme l’ont fait les ex-Fralib et ex-Pilpa. Il a souligné que les nouvelles procédures législatives visent à marginaliser le comité d’entreprise au profit d’accords collectifs avec des syndicats parfois minoritaires. Le droit d’information économique des salariés est bafoué par des délais très courts interdisant à un juge des référés de statuer sur la régularité de la procédure. Alors que les anciens débats autour d’un PSE s’inscrivaient dans une logique de lutte des classes, les actuelles « négociations » ne portent plus que sur l’aménagement de ceux-ci, ce qui l’amène à interroger le rôle des organisations syndicales dans l’élaboration de tels accords.
Un second panel des entreprises en lutte a permis de donner corps aux discussions techniques de la première partie. Emmanuelle Riani, déléguée CFDT de Petitjean, société de fourniture d’éclairage public, dont les salariés font face à une première procédure collective depuis juillet 2014, a exposé la situation. Elle a confirmé que le Tribunal d’instance a refusé de statuer sur un deuxième PSE, laissant le juge administratif se prononcer, lequel a validé celui-ci cette semaine. Alors que ces salariés souhaitaient former une SCOP pour maintenir les activités que Petitjean abandonnait, leur seule possibilité reste aujourd’hui d’obtenir des indemnités au Tribunal des prud’hommes qui ne statuera que trop tard, au moment où les licenciements seront effectifs. Sylvie Boonar de Necsis, nous a fait part de la fermeture de son entreprise menée tambour battant. Filiale de Recherche et Développement d’EDF, cette entreprise a développé des verres photovoltaïques permettant à des vitres transparentes de produire de l’énergie. Pour des raisons mystérieuses, EDF ne souhaite pas exploiter les brevets de l’entreprise alors que les salariés ont trouvé un partenaire qui pourrait dès maintenant passer à la phase de commercialisation du produit. Les nouvelles procédures de la LSE permettent à EDF d’envisager une fermeture au 15 juillet alors qu’il faudrait prévoir une durée de 6 à 12 mois pour réaliser la levée de fonds nécessaire à la viabilité d’une solution alternative. Nicolas Prévôt, délégué CFE-CGC de la papeterie de Docelles dans les Vosges a expliqué la situation inadmissible dans laquelle les salariés se trouvent. Le propriétaire, le groupe UPM, a décidé de fermer la plus vieille papeterie de France détruisant ainsi 160 emplois. Les salariés ont développé un plan de redémarrage de la papeterie en SCOP en assurant une levée de fonds de 12 millions d’euros. Alors qu’UPM déclarait jusqu’à maintenant que la papeterie pouvait être cédée aux salariés à l’euro symbolique, voilà qu’elle en exige 10 millions alors qu’aucun acheteur n’est en vue et que les salariés sont dans l’impossibilité de réunir une telle somme. Depuis plus d’un an, les salariés mènent une bataille juridique aux prud’hommes et au tribunal de commerce pour obtenir gain de cause. Le 29 septembre, le tribunal de commerce rendra son jugement. Danielle Montel, déléguée CGT de Sanofi a présenté la lutte des salariés contre les fermetures de centres de recherche et de développement de cette multinationale aux profits records. Celle-ci a expliqué comment ces luttes s’inscrivent dans la perspective d’une appropriation sociale de cette entreprise du médicament en vue d’un nouveau type d’entreprise associant salariés, usagers et professionnels de la santé dont l’objectif est de concourir à ce bien commun qu’est la santé.
Jean-Claude Mamet, représentant le Front thématique des luttes du Front de gauche, a rappelé les quatre propositions que celui-ci avait récemment élaboré : permettre à un juge de contrôler en amont le motif du licenciement économique ; droit de suspension des licenciements pour les salariés ; droit de proposer des solution alternatives ; ébauche d’une Sécurité sociale professionnelle généralisant à l’ensemble des entreprises les obligations de reclassement en cas de licenciements. André Chassaigne est alors revenu sur l’importance du droit de préemption des salariés sur l’entreprise en cas de cession.
Un débat a alors eu lieu atour de l’articulation des différentes propositions de loi – loi Florange obligeant une entreprise qui souhaite fermer une unité de production à rechercher un repreneur, loi de préemption de la part des salariés en cas de cession, droit d’information et de contestation des licenciements – comme solutions concrètes pour préserver les emplois et favoriser les initiatives alternatives des salariés.
Après la pause-déjeuner, la seconde partie du colloque a permis d’exposer la situation de la Fabrique du Sud (ex-Pilpa) et de la Société coopérative ouvrière provencale des thés et infusions (SCOP-TI, ex-Fralib). S’il existe de nombreuses analogies entre ces deux expériences – secteur agro-alimentaire, même syndicat FNAF CGT, même stratégie juridique et médiatique – elles diffèrent par la durée de leur conflit. Celui des ex-Fralib a démarré très tôt – septembre 2010 – pour déboucher un an après celui des ex-Pilpa. Spécialisée dans le conditionnement des thés et des infusions, Fralib était une filiale d’Unilever. Cette multinationale avait décidé de fermer cette unité de production employant 180 personnes pour délocaliser la production en Pologne. Refusant les licenciements, les salariés de l’entreprise ont obtenu par trois fois l’annulation du Plan de sauvegarde de l’emploi au Tribunal d’instance bloquant ainsi les licenciements. Ils ont élaboré comme alternative une relance de l’entreprise en SCOP avec une orientation clairement éthique de la production : refus des produits chimiques, relance de filières de productions locales, commerce équitable. Olivier Leberquier, ancien délégué CGT aujourd’hui président de SCOP-TI, a évoqué les différents enjeux de la lutte ainsi que l’apport essentiel de Maître Amine Ghénim dans l’élaboration de la stratégie et dans leurs démêlées judiciaires. Après 1336 jours de conflit, un accord était signé avec Unilever dans lequel la multinationale payait 20 millions d’euros pour terminer le conflit et financer le démarrage de la SCOP. Regroupant cinquante salariés-sociétaires, SCOP-TI vient d’annoncer ses deux gammes de produits et sera présent dans les supermarchés à l’automne prochain. Rachid Aït-Ouakli, ancien délégué CGT de Pilpa, est revenu sur la lutte des salariés pour maintenir la production de crèmes glacées sur Carcassonne. Aujourd’hui La Fabrique du Sud, qui regroupe 19 anciens salariés de Pilpa, s’est recentrée sur la création de glaces artisanales de qualité, réalisées à partir de produits naturels et si possible locaux. La production a redémarré en avril 2014 et la première saison a permis un dépassement des objectifs initiaux. Les coopérateurs prévoient d’atteindre le point d’équilibre en 2016 avec 2,5 millions d’euros.
François Longérinas, Président de la SCOP EMI-CFD, école de formation de journalistes, a évoqué le parcours de son entreprise depuis plus de 20 ans. Il a expliqué combien le modèle coopératif constitue une alternative de fait au pouvoir actionnarial tout en rappelant que le statut ne fait pas tout et que la recherche permanente de la démocratie dans l’entreprise est un combat qui doit être mené au jour le jour. Le juriste Emmanuel Dockès a ensuite rappelé que le modèle des coopératives de travail, que nous appelons SCOP en France, est ancien et n’a pas su se présenter en alternative au capitalisme. Selon lui, une des raisons provient du fait que la forme coopérative n’est pas de nature à susciter l’engagement entrepreneurial du fait de la non-prise en compte des efforts initiaux réalisés par les fondateurs. Il propose donc une nouvelle forme d’entreprise dans laquelle ces efforts seraient valorisés en tant que créance sur l’entreprise, lesquels seraient remboursés progressivement aux fondateurs sur la base d’un modèle mathématique décidé en amont laissant au final le pouvoir aux salariés dans une optique démocratique. Yves Dimicoli, économiste, a rappelé l’importance de développer un pôle financier public qui financerait des investissements en fonction de critères de création d’emplois, alternative de fait aux politiques régressives de la Banque centrale européenne.
Trois représentants de différentes composantes du Front de gauche (Ensemble !, Parti de gauche, Parti communiste français) ont conclu le colloque en rappelant la nécessité de populariser ces différentes expériences alternatives de façon à ce qu’elles deviennent l’affaire de tous, de poursuivre le débat sur les initiatives législatives qu’il conviendra de développer à l’avenir de façon à permettre aux salariés et aux citoyens de s’approprier l’économie dans une démarche de défense et de développement des emplois. Dans cette optique et pour ses différents participants, ce colloque aura été une étape indispensable de confrontation des points de vue et d’élaboration politique.