Un flot continu de client·es a afflué à White Electric, le seul café géré par une coopérative du Rhode Island, lors de sa grande réouverture le 1er mai, journée internationale des travailleurs. Des visages familiers ont félicité les nouveaux copropriétaires tout en commandant un café, des bagels, des sandwiches et des desserts tant appréciés du magasin. Un billet de 5 dollars, offert par un habitué de longue date qui se fait appeler Toy juste avant l’ouverture, est accroché au mur arrière du magasin.
«Ils nous félicitent, mais moi j’ai envie de les féliciter parce que c’est nous tous ensemble, un effort communautaire collectif», a déclaré Chloe Chassaing, copropriétaire et barista [ personne spécialisée dans la préparation de boissons au café à base d’expresso] depuis 16 ans du café.
«Je me sens vraiment encouragé de voir que tout le monde est venu», a déclaré Chassaing. «Les gens nous ont dit beaucoup de choses très gentilles et encourageantes. C’est agréable pour nous, parce que nous connaissons beaucoup de ces personnes, que ce soit en tant qu’ami·es ou même en tant que client·es au fil des ans, alors ça fait vraiment chaud au cœur.»
Un autre copropriétaire, Danny Cordova, a déclaré qu’il avait du mal à croire qu’il possédait désormais une partie du commerce qu’il fréquentait lorsqu’il était étudiant à la Central High School, de l’autre côté de la rue. «C’est vraiment irréel», a déclaré Cordova.

En tant que coopérative non hiérarchique – sans patron – huit copropriétaires prennent désormais les décisions d’embauche ensemble. Ils ont reçu une soixantaine de candidatures dans les premiers jours qui ont suivi l’annonce de leur recrutement sur Instagram et Facebook et ont embauché cinq d’entre elles ; si elles leur conviennent après une période intérimaire de six mois, elles se verront proposer de prendre part à la copropriété.
Pour être une coopérative, une entreprise doit être détenue conjointement et contrôlée démocratiquement par ses travailleurs. Le statut de coopérative de White Electric s’inscrit dans une tendance croissante, suscitée par la crise financière de 2008, la stagnation des salaires et les critiques anticapitalistes inspirées par Occupy Wall Street. En 2013, on comptait moins de 300 coopératives.
En 2019, leur nombre est passé à au moins 465 dans des secteurs tels que l’édition, les services de taxi, le nettoyage à domicile et la construction, selon un rapport produit par la Fédération américaine des coopératives de travail (USFWC) et l’Institut de la démocratie au travail, des organisations de base soutenant les coopératives de travail.
Les travailleurs des coopératives sont en moyenne 62,5 % de femmes, 37,9 % de Latinos et 12,7 % de Noirs, et le salaire de départ moyen est de 19,67 dollars de l’heure, selon le rapport. Pour les sociétés américaines traditionnelles, l’écart de rémunération entre le PDG le mieux payé et le travailleur le moins bien payé est de 303 pour 1, contre 2 pour 1 pour la majorité des coopératives.
En tant que café, il peut être difficile d’égaler certains de ces chiffres. Cordova explique qu’il était la seule personne de couleur dans le personnel pendant un certain temps, mais une fois que le café est devenu une coopérative, la plupart des nouveaux employé·es de White Electric ne sont pas blanc·hes. Le nouveau personnel gagnera 14 dollars de l’heure, plus les pourboires, ont déclaré les copropriétaires Joelle Plante, Amanda Soule et Chassaing. Le salarié ·e le mieux payé·e gagnera 17,50 dollars de l’heure, plus les pourboires.
«Aucun individu ne va s’enrichir, et c’est ce que nous voulons», a déclaré M. Chassaing. «Nous voulons cependant garantir des salaires décents, et nous sommes convaincus que sans un seul patron ou propriétaire, nous pourrons redistribuer les fonds pour mieux rémunérer le personnel pour notre travail, tout en espérant avoir assez pour faire des dons à la communauté et soutenir nos objectifs d’organisation.»


La transition de White Electric vers la propriété coopérative n’a pas été un processus passif. Inspirés par les appels urgents à la justice raciale de l’été 2020 et les conversations avec plusieurs ancien·ness employé·es au franc-parler, Chassaing et plusieurs autres ont rédigé en juin 2020 une lettre à l’ancien propriétaire Tom Toupin, exposant leurs griefs et suggérant des solutions.
«La barre a toujours été plus haute pour les critères [d’embauche] et impossible à atteindre pour les candidat·es noir·es, même les qualifié·es», ont-ils écrit. «Depuis que vous avez acheté le café il y a 13 ans, parmi les dizaines d’employés, vous n’avez jamais embauché ou sérieusement envisagé d’embaucher quelqu’un de noir et vous n’avez embauché que 3 personnes de couleur.»
Dans une interview, Toupin a déclaré que la lettre était mensongère, trompeuse et «écrite dans le but de la rendre public et de me discréditer tout en essayant de prendre le contrôle de l’entreprise».
«La communauté qui travaillait là était soudée et je comptais souvent sur mon équipe pour faire des recommandations pour le nouveau personnel», a-t-il déclaré. «Malheureusement, cette communauté est presque entièrement blanche et je vois maintenant que j’aurais dû être plus rigoureux et intentionnel dans mon processus d’embauche.»
Trente-neuf employé·es actuel·less et ancien·nes de White Electric ont signé la lettre, tandis que deux employés de l’époque ont refusé, selon Mme Chassaing. «Cela a été vraiment difficile, d’autant plus que nous avions auparavant de bonnes relations avec ces collègues», a-t-elle déclaré. «Il y a une forte prédisposition dans la culture du travail américaine à se ranger du côté de son patron, ou de celui qui, selon vous, a ‘le pouvoir’ de protéger votre emploi. C’est compréhensible, mais cela reste décevant car, en fin de compte, les collègues de travail ont probablement plus en commun et se soucient davantage du gagne-pain de chacun.»
Un mois plus tard, Toupin a fermé temporairement White Electric et a demandé aux employé·es de rendre leurs clés. Les ancien·nes employé·es ont lancé une pétition publique, ont été réembauché·es et ont décidé de former un syndicat indépendant, le Collaborative Union of Providence Service-Workers (CUPS).
Mais le soir où ils et elles ont réussi à faire valider leur carte syndicale, en septembre 2020, Toupin a mis l’entreprise en vente, avec la préférence déclarée de la vendre à ses anciens travailleurs.
«Notre première réaction a été de penser qu’il s’agissait d’une forme de démantèlement syndical présentée comme une offre positive. Mais même si c’était le cas, nous avons décidé de l’accepter», a déclaré M. Chassaing. «Nous avons définitivement changé d’objectif puisque nous nous préparions à travailler sur notre première convention collective syndicale, pour codifier et améliorer certaines des concessions que nous avions déjà obtenues, et nous avons plutôt suivi un cours intensif sur les coopératives de travail, en déterminant qui voulait s’engager à en faire partie, en se constituant en coopérative de travail, en recherchant des prêts, en négociant avec les propriétaires actuels.»
Maintenant que le café a rouvert ses portes, les habitués du White Electric ne doivent pas s’attendre à des changements majeurs dans le menu. Les copropriétaires sont impatients d’ouvrir l’espace pour des expositions d’art, des programmes communautaires, de la musique et d’autres événements. Et une fois que les choses seront réglées, ils et elles espèrent fournir des conseils et des informations sur le CUPS à d’autres travailleurs de cafés locaux qui sont curieux de se syndiquer.
«Les choses peuvent changer et changeront, il suffit de s’y mettre, d’y croire et de faire le saut», a déclaré Mme Plante à propos de leurs efforts d’organisation.
«Je suis inspiré de voir toute l’organisation des travailleurs du secteur de la restauration qui a lieu dans le pays en ce moment», a déclaré Chassaing. «Je pense que les travailleurs et les clients sont prêts à ce que les emplois du secteur de la restauration soient traités avec plus de respect.»

Site de la coopérative : http://whiteelectriccoffee.com/

Traduction Patrick Le Tréhondat