Cette reprise en demi-teinte tant annoncée par l’exécutif ne semble pas freiner l’avalanche de mauvaises nouvelles sur le front des entreprises. 6 novembre, Fagor-Brandt, filiale de la coopérative espagnole Fagor Electrodomésticos, déposait le bilan engendrant une incertitude pour les 1900 salariés de l’entreprise. Le 25 novembre, c’était au tour de Mory Ducros : 5200 personnes menacées de perdre leur emploi. Deux événements qui frappent les premiers concernés mais qui donne chair à cette crainte de voir une reprise pauvre en emplois.
A l’inverse des licenciements boursiers dans lesquels un groupe profitable ferme volontairement une usine pour être encore plus rentable, on a ici affaire à des secteurs sinistrés. Fagor-Brandt, c’est l’électroménager. Un secteur en crise dans lesquels les leaders licencient aussi à tour de bras (cf. Electrolux), un secteur en situation de surcapacité. Mory-Ducros, c’est le secteur de la messagerie. C’est une entreprise qui est le résultat d’une fusion, qui ne remonte qu’à un an, entre Ducros express (ex DHL France) et Mory, un transporteur déjà en redressement judiciaire en 2011. La stratégie retenue par l’actionnaire principal, consistait à créer des synergies entre les deux entreprises permettant des économies d’échelle. Elles n’ont pas permis d’annuler le déficit pro forma des deux entreprises de 105 millions en 2010 : il est resté de 65 millions en 2012. Il s’avère très difficile de rentabiliser ce secteur qui a été largement ouvert à la concurrence ces dernières années.
Le ministre du Redressement productif a annoncé mercredi un « plan de résistance économique ». Il s’agirait d’activer un vieux fonds, le FDES (Fonds de développement économique et social) qui existe depuis 1948 et qui serait actuellement doté de 80 millions. Arnaud Montebourg promet de le monter à 380 millions d’euros pour soutenir des entreprises en difficulté comme Fagor Brandt ou Mory Ducros. 380 millions d’euros ? On ne va pas vraiment aller loin avec cela. A moins que l’Etat ne recherche des partenaires capitalistiques avec lesquels il investira conjointement… Qu’est-ce qui nous garantit que les stratégies à venir seront plus payantes que celle du passé ? On peut en douter tant il est difficile de bâtir une stratégie dans un secteur sinistré livré au marché. En attendant, dans le cas de Mory Ducros, on parle de sauver 3000 emplois. Entendons par là que plus de 2000 seront supprimés et que le réinvestissement passe par cette cure d’amaigrissement. Du fait de la fusion, on avait supprimé 600 emplois et des emplois en moins sont aussi de la richesse en moins. Ce n’est pas forcément ce qui rendra l’entreprise rentable.
Il ne s’agit plus de bâtir de nouvelles stratégies capitalistes dans lesquelles l’État serait impliqué. Il s’agit au contraire de se saisir de ces difficultés pour sortir du capitalisme. Nous défendons souvent comme élément partiel de rupture la reprise en coopérative. Dans cette forme d’entreprise, les salariés s’approprient le profit certes, mais subissent aussi les aléas de la gestion de l’entreprise. Dans le cas de Mory-Ducros, répartir une perte actuelle de 65 millions d’euros, signifie amputer chaque salaire annuel net d’environ 8000 euros. Insupportable pour ces travailleurs qui n’ont certainement pas des salaires de ministre. En pourtant la mise en coopérative est sans doute la meilleure voie pour se réapproprier son travail et interdire que demain celui-ci ne soit délocalisé pour raisons financières. Que faire ?
Une solution serait de promouvoir un partage de la valeur ajoutée entre les entreprises. Que les entreprises riches transfèrent aux entreprises pauvres ; qu’une partie de la valeur ajoutée soit répartie en fonction des emplois et non des règles du marché. Si ce qui compte dans les entreprises de capitaux est le profit, à savoir ce qui reste une fois payés les fournisseurs et les salaires. Dans les coopératives de travail, c’est la valeur ajoutée qui prime : ce qui reste, une fois payés les fournisseurs, va intégralement aux travailleurs. C’est cette logique de la valeur ajoutée qu’il convient d’imposer aujourd’hui aux entreprises de capitaux pour permettre qu’éclosent de multiples initiatives. Dans le cas de Mory Ducros, ce sera la possibilité pour les salariés de cette entreprise d’obtenir de l’argent pour leur permettre de reprendre leur entreprise.
Bien sûr, l’activité de messagerie mérite d’être questionnée tant elle est génératrice de pollutions et d’émissions excessives de carbone. Cette urgente reconversion de l’économie ne pourra se faire que dans une société apaisée, une société où toutes et tous auront la possibilité d’avoir un emploi, une société dans laquelle l’écologie ne sera plus l’otage de la question sociale. Tout ceci nous montre que l’autogestion ne se limite en aucun cas à la reprise d’entreprises en coopérative mais constitue un projet politique global dans lequel l’humanité sera maître de son destin et capable d’aborder sereinement les défis qui se pose à elle.