À peine l’ouragan Katrina (2005) avait-il cessé de semer la dévastation et la ruine sur les côtes du Golfe du Mexique (Louisiane, Texas, Alabama et Mississippi) que les populations s’organisaient pour proposer leurs propres conceptions de la reconstruction opposées à celles des firmes et des autorités promptes à se saisir des opportunités offertes par les catastrophes pour leurs propres fins (voir Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein, L’Ouragan Katrina : un désastre annoncé, Paris, Syllepse, 2005).
Quelques années plus tard, en 2008, à Jackson, la capitale du Mississippi (180000 âmes dont 80% d’Africains-Américains), la coalition citoyenne mise en place aux lendemains de Katrina donnera naissance, sous l’impulsion du Malcolm X Grassroots Movement (MXGM), à la Jackson People’s Assembly qui mettra en œuvre un « Plan pour Jackson ».
Objectifs affichés: «autodétermination, démocratie participative, justice économique et sociale, développement durable, organisation populaire». Il s’agit, selon ses promoteurs, «d’approfondir la démocratie et de construire une solidarité économique populaire qui donne du pouvoir aux Noirs et aux opprimés».
Décliné en plusieurs «piliers», le Plan pour Jackson s’enracine dans les diverses formes de résistance mises en œuvre par les Africains-Américains. Le MXGM rappelle les principes d’autodétermination qui sous-tendent ces luttes depuis le temps de l’esclavage jusqu’aux années 1960. Partisan du Black Power comme forme d’autodétermination, le MXGM fait référence aux mobilisations des esclaves libérés à la suite de la défaite des États confédérés: «Les “Negro Peoples Conventions” ont développé des formes d’actions autonomes afin que les Noirs puissent déterminer eux-mêmes les conditions de leur liberté et les relations qu’ils souhaitaient établir avec l’Union.» C’est de cette tradition dont s’est emparé le mouvement pour les droits civiques dans le Mississippi des années 1960 : «Cette forme de pouvoir populaire s’est exprimée à nouveau à la fois comme une forme de résistance à l’exploitation et à la terreur exercée par le suprématisme blanc et pour exercer et déployer un certain degré d’autodétermination.» La création d’un «espace démocratique propre aux Africains-Américains» est conçu par le MXGM comme une forme d’auto-organisation nécessaire à la résistance.
Les assemblées populaires sont destinées à être le «support de l’autodétermination des Noirs et de la construction d’un pouvoir politique autonome des populations et des communautés opprimées». Les assemblées désignent des «groupes de travail» qui se mettent en place pour mettre en œuvre les propositions ayant émergé de l’assemblée.
Le MXMG considère que le mouvement noir doit être réorienté vers la construction et l’exercice de ce qu’il appelle un «double pouvoir»: «Un pouvoir qui soit à la fois construit à l’extérieur de la sphère du pouvoir d’État […] sous la forme d’assemblées populaires et qui soit engagés dans une politique électorale […] qui permette l’élection de candidats issus des rangs des assemblées». Les assemblées populaires doivent donc s’attacher à remettre en cause «les pouvoirs répressifs de l’État» et à contrer «l’influence grandissante des multinationales dans les communautés » par une politique économique, sociale et écologique basée sur la stratégie d’autodétermination.
Le Plan pour Jackson s’attache donc favoriser les conditions politiques de l’émergence de coalitions reposant sur des «plateformes larges visant à la restauration des “communs”, à la création de nouveaux services publics […] et à la transformation démocratique de l’économie ». C’est parce qu’elle combine «offensive et défensive» que la politique électorale préconisée est qualifiée de «globale».
La construction d’une économie solidaire locale est au centre de la stratégie politique préconisée. Conçu comme un «engagement à long terme», cet axe consiste à construire et développer les liens avec les réseaux locaux, régionaux et nationaux engagés dans la lutte pour la «démocratie économique». L’économie solidaire étant conçue comme un «processus» articulant «une large palette de coopératives ouvrières et de réseaux solidaires de voisinage» :
« Notre conception de l’économie solidaire s’inspire de la Fédération des entreprises coopératives de Mondragon du Pays basque espagnol ainsi que des diverses expériences d’économie alternative en Amérique latine et aux États-Unis mêmes. Nous travaillons à rendre ces pratiques et ces expériences pertinentes pour Jackson et pour renforcer les liens avec les coopératives existant dans l’État et dans la région afin d’élargir leur impact sur l’économie locale et régionale. »
Parmi les nombreuses orientations et campagnes proposées aux assemblées populaires, nous n’en retiendrons que quelques-unes : mise en place d’un réseau de coopératives de travailleurs, de coopératives de consommateurs et de coopératives de résidents en lien avec des organismes de crédits mutualistes ; mise en œuvre d’un «(re)-développement vert et soutenable (fermes urbaines, «agriculture régionale coopérative », marchés fermiers); reconstruction des «communs» en «déprivatisant» l’espace et l’habitat » ; budget participatif.
Pour conclure, le document rappelle que seules l’organisation populaire et la construction de larges alliances des diverses organisations où se retrouvent les diverses composantes sociales, ethniques, culturelles, etc. de la population états-uniennes permettront au Plan pour Jackson de devenir réalité.