CoopcontrecapitalismeL’histoire nous a montré que les possédants sapaient souvent les progrès sociaux en pratiquant la « grève des investissements ». Comment l’affronter demain si d’aventure un gouvernement progressiste venait aux affaires ? Nous allons donc ici rappeler quelques fondamentaux du fonctionnement des entreprises privées.

La propriété d’une entreprise est validée par la détention d’un titre financier qui est une action de celle-ci. En soi, détenir un titre financier n’apporte rien d’autres que l’espérance de recevoir des flux de trésorerie : les coupons annuels et son remboursement à échéance dans le cas de l’obligation, les dividendes dans le cas de l’action. C’est donc la perspective de recevoir ou pas des dividendes dans le futur qui valorise l’action  et conditionne les plus- ou moins-values.

Les financiers expliquent savamment que la valeur d’une action est égale à la valeur actualisée des dividendes futurs : on réalise un scénario probable de dividendes futurs et pour chacun d’entre eux, on donne une valeur « actualisée », à savoir dévalorisée par une prime de risque en fonction de l’incertitude du scénario et par le temps (plus le dividende est loin dans le temps, plus il est dévalorisé en fonction du taux d’intérêt).

En soi, le dividende est un versement totalement parasitaire. Une entreprise peut très bien fonctionner sans versement de dividendes. Une entreprise est avant toute chose un rassemblement d’hommes et de femmes qui par leur travail « ajoutent » de la valeur à des marchandises achetées en vue de cette production. À ce travail correspondent les salaires. Les dividendes peuvent donc aussi bien amputer les salaires que renchérir des prix de produits qui pourraient être moins chers pour les consommateurs.

Supposons que demain un gouvernement abroge le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi : ce sont des possibilités de versements de dividendes qui s’en trouvent réduites. Supposons que la loi El Khomri soit supprimée et que nous revenions à l’ancien code du travail : ce sont des facilités à la disposition du patronat pour licencier ou réduire les salaires qui disparaissent entraînant, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation des salaires dans la part ajoutée. Supposons que nous rajoutions une sixième semaine de congés payés ou que nous allions vers une réduction du temps de travail à 32 heures sans perte de salaires : c’est une quantité de travail moindre contre le même salaire. Tout ceci concoure à la baisse des perspectives de dividendes et donc de la valorisation des entreprises.

En soi, une baisse de valorisation est une bonne nouvelle et ne saurait nous attrister. Pour forcer le trait, on pourrait même dire que si les mesures sociales dévalorisent complètement les entreprises, alors celles-ci fonctionneraient aussi bien et sans dividendes.  Oui, mais pour cela, il faut que la direction de l’entreprise ne soient plus assurée par des actionnaires car face à cette nouvelle situation, ceux-ci seront tentés de ne plus investir et aucune mesure, y compris de restriction de circulation des mouvements de capitaux, n’y fera obstacle. En clair, les actionnaires préféreront ne pas renouveler les équipements pour préserver leurs trésoreries pour des distributions de dividendes ou des jours meilleurs.

L’économiste James Tobin a publié une théorie sur un coefficient Q dans lequel le numérateur est la valeur boursière des entreprises et le dénominateur, la valeur comptable de celles-ci. Autrement dit d’un côté, la valeur que le marché donne aux investissements et de l’autre, la valeur de remplacement de ceux-ci. Il nous a montré par des séries statistiques que lorsque ce coefficient est inférieur à 1, les entreprises peinent à réaliser des investissements puisque ceux-ci seront immédiatement dévalorisés par le marché. Pour se convaincre de la validité de cette théorie, il suffit de se souvenir de la grande crise économique de 2009 qui a succédé à la crise boursière de 2008.

Donc une politique gouvernementale d’augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée peut provoquer une « grève des investissements » de la part des possédants. Si tel était le cas, les salariés devraient alors avoir la possibilité d’y opposer des contre-plans et de se passer des actionnaires qui freinent le développement de l’entreprise. Cela suppose donc d’étendre le droit de préemption des salariés sur leur entreprise en cas de vente de celle-ci à d’autres cas de figure et tout particulièrement lorsqu’il y a divergence entre salariés et actionnaires. Ceci suppose de fournir à grande échelle les crédits nécessaires au fonctionnement de ces entreprises nouvelles.