Le 4 novembre 2023 a eu lieu l’inauguration de l’École populaire d’autogestion (EPA). Elle a été organisée par la Fédération des coopératives de travail (Trasol) du Chili, avec le soutien financier du Service de Coopération Technique (Sercotec) et la participation physique ou en ligne des organisations autonomes : Tierra Húmeda, Cooperativa Cabras de Cerro, Asamblea Popular por la Dignidad, Colectivo Yugo Organizada, Coocrear, Cooperativa Kincha, Cooperativa Centroalerta, Cooperativa de Trabajo las Treilas de Isla Mocha Ltda., Cooperativa Energía Comunitaria Peñalolén, Cooperativa Pangea, Fundación Nudo de Agua, Espacio Santa Ana, Asamblea de Trabajadores/as del Colegio Paulo Freire, De Todos los Rincones, Cooperativa Mapuche Kume Mogen, Correvuela, Centro Cultural Ex Fábrica Barrios Bajos de Valdivia, Comité por el Derecho a la Vivienda Luchadores y Luchadoras de Barrancas, Cooperativa de Trabajo Red Genera, Cooperativa de Trabajo Auxilio Te Limpio, Artífices de Barrancas, Pan y Orgasmo, Centro Cultural El Arca, Fipancu, Academia de Música Satélite, Junta de Vecinos Tierras Rojas, Con+Sustenta, PanQuinoaNativaFermentada, Hampy, Acción Errante, La Ruta de La Lata, Cooperativa de Vivienda Violeta Parra, Movimiento Valparaíso Ciudadano, Comité Ecológico Ampliación Villa Dulce, y GAFA. Elle s’est déroulée de manière impeccable.
L’activité d’auto-éducation, d’éducation populaire et de correspondance mutuelle des connaissances, qui aura lieu entre le 4 novembre 2023 et le 13 janvier 2024, a commencé par un moment de réflexion spirituelle et de rassemblement des énergies des participants, typique des cultures d’Abya Yala, pour ensuite passer aux salutations à distance d’importants amis de l’initiative.
Jorge Larenas est le directeur de la Faculté d’architecture et d’urbanisme (FAU) de l’Université du Chili, une institution d’enseignement supérieur avec laquelle Trasol a conclu une alliance dans le but que l’organe de la principale université publique du pays accrédite et certifie la participation des membres de la coopérative à l’APE. En fait, à la fin de l’école, chacun des participants recevra un diplôme approuvé par Trasol et l’université du Chili.
La plus haute autorité de la FAU a souligné la valeur d’un engagement juste au milieu d’un monde et d’une contingence pleins d’incertitudes et de changements dramatiques. Jorge Larenas a rappelé que « l’Institut du logement que nous avons créé il y a 40 ans est né en pleine dictature d’un projet du professeur Edwin Haramoto, qui consistait à penser le logement non pas comme un objet, mais comme un processus. Il s’agissait d’intégrer dans nos travaux toutes les tensions politiques, sociales, culturelles et économiques de la société, ce qui a favorisé les liens avec les secteurs critiques à l’égard de la dictature militaire. L’Institut du logement a maintenu cette tradition et ce lien avec la reconfiguration du mouvement populaire jusqu’à aujourd’hui ».
Larenas a souligné que, loin de tout paternalisme, « en tant qu’université publique, nous sommes une ressource disponible pour les besoins et le développement des organisations sociales afin qu’elles acquièrent leur autonomie ».
Par la suite, et toujours par le biais de zoom, l’ingénieur de production brésilien, spécialiste en économie solidaire et en technologie sociale, et également coordinateur de la première école internationale d’autogestion, Flavio Chedid, a exprimé la nécessité de « renforcer les réseaux internationaux que nous avons tissés, en maintenant une communication fluide de nos activités locales et en prêtant attention à la diversité des personnes et des initiatives qui se sont réunies lors de cette première rencontre que nous avons tenue en 2019, avant la pandémie ; une diversité qui a également été sa richesse ».
De même, Flavio Chedid a expliqué qu’au moment de l’évaluation de la prochaine réunion, trois ans après la pandémie, « nous devons faire notre autocritique, surtout en ce qui concerne le fait de ne pas rendre académiques les présentations et les espaces de nos consultations, mais plutôt de mettre l’accent sur leurs aspects pratiques et productifs, et de parvenir à mieux organiser les analyses de la situation actuelle, en comprenant que nos réunions sont suivies par des participants de différents pays. En réalité, nous ne savons pas vraiment ce qu’est l’autogestion, mais nous savons qu’il s’agit d’une pratique. Cela peut nous amener à formuler la pédagogie de l’autogestion comme un défi.
Pour sa part, la dirigeante argentine représentant l’économie sociale et présidente de la Federación Cooperativismo y Trabajo, Edith Encina, a rappelé la 9e Rencontre internationale de l’économie ouvrière, qui s’est tenue à Puerto General San Martín, Rosario, entre le 28 et le 30 septembre.
« Pour moi, les écouter est déjà un apprentissage », dit Encina, « nous avons commencé cette autogestion en 2006 en Argentine, lorsque nous avons repris l’usine, sans savoir ce qu’était le coopérativisme. Nous n’avons pas de manuel qui nous indique les étapes à suivre. Mais nous laissons des empreintes sur ce grand chemin que nous parcourons tous. Cependant, au fur et à mesure que nous avançons, je pense que nous devons nous interroger et repenser ce que nous voulons en tant que société ».
Edith Encina a déclaré que « si nous devenons des leaders en matière d’autogestion, nous devons également être très critiques quant à la manière dont nous construisons nos projets. Bien sûr, il est difficile pour nous d’être reconnus comme un secteur spécifique et d’échapper à la stigmatisation d’être une économie de pauvres, et pour notre part, une économie de piquets, de marcheurs, et que nous ne travaillons pas, alors qu’en réalité nous travaillons tous les jours, produisant et générant des emplois décents. Le système a fait en sorte que seules les mauvaises choses que nous faisons soient visibles, jamais les bonnes. Que faisons-nous de mal lorsqu’il s’agit de nous montrer en tant que secteur ?
La dirigeante argentine a déclaré que « sur le plan politique, nous avons très peu de dirigeants qui occupent un espace institutionnel. Et lorsqu’ils le font, ils oublient vite leurs racines et leurs origines », ajoutant que « c’est pourquoi je pense que la formation est si importante. En fait, nous entretenons des relations étroites avec les universités. La question est que lorsque nous allons dans les universités et que nous faisons une présentation aux étudiants qui sont sur le point de terminer leur diplôme et que nous leur demandons ensuite si quelqu’un envisage de travailler dans nos secteurs, personne ne lève la main. Comment rendons-nous notre secteur plus visible, en tendant à nous mettre sur un pied d’égalité avec le reste des économies ?
Lors de la deuxième partie de l’inauguration de l’APE, le représentant de Trasol, Marcelo Reyes, a expliqué que l’autogestion « est une pratique historique qui est déterminée par le contexte dans lequel elle se développe. Aujourd’hui, au Chili, notre environnement est ultra-néolibéral, les relations de concurrence prennent le pas sur les relations de solidarité et les conditions dans lesquelles opèrent nos unités de production sont affaiblies ».
« Nous n’avons jamais considéré le coopérativisme comme une fin en soi, mais comme un outil d’organisation qui nous permet d’avoir un statut juridique et donc d’être visibles aux yeux de l’État. À cet égard, il convient de noter qu’il existe des coopératives pour tous les goûts. Bien entendu, à Trasol, nous sommes guidés par l’horizon d’un type de coopérativisme qui va à l’encontre de la logique d’entreprise et favorise la transformation de la réalité, et qui donne la priorité aux besoins des personnes plutôt qu’au profit », a précisé Marcelo Reyes, avant d’ajouter que « l’économie populaire fonctionne pour nous comme un cadre de référence qui dessine notre identité anticapitaliste ». En d’autres termes, lorsque nous parlons d’économie populaire, nous entendons « économie non capitaliste », c’est-à-dire que, dans sa pratique, elle tente de rompre avec les relations de répression, d’exploitation et d’oppression de certains sur d’autres ».
« L’économie populaire et solidaire nous amène à projeter un marché opposé au marché capitaliste, opposé au marché du profit où dominent les agents monopolistiques et dont la tendance est de constituer diverses industries super-concentrées, comme cela se produit dans le système bancaire ou le commerce de détail. Par conséquent, nous imaginons un marché où il n’y a pas d’acteurs prédominants ; nous pensons à des marchés locaux et collaboratifs dans lesquels les fournisseurs et les demandeurs sont placés sur un pied d’égalité », a déclaré M. Reyes, ajoutant que « nous plaçons ces comportements dans des territoires spécifiques, dans lesquels des relations commerciales équitables peuvent se développer ».
Le membre de Trasol a évoqué les débuts de l’organisation, en se concentrant sur l’étude collective du travail de l’économie solidaire de Luis Razzeto, et plus tard sur les visites des expériences de production autogérée en Argentine, où ils ont vu concrètement les efforts du travail autonome.
« C’est pourquoi nous ne devons jamais cesser de nous reconnaître comme des travailleurs et comme une partie importante du mouvement populaire, et comme ceux qui produisent la richesse sociale. Le travail humain est la base de tout développement et de tout bien-être », a déclaré M. Reyes, avant d’ajouter : « C’est de là que viennent nos idées d’économies sans patrons, horizontales et collectives. Nous avons donc créé la Fédération Trasol, car chaque initiative autogérée, séparément des autres, a un plafond très bas. En outre, nous avions besoin de construire une identité, de créer une manière distinctive d’être en relation avec le monde. Cela nous a sans aucun doute permis de mieux travailler et d’atteindre des objectifs associatifs et de croissance, ainsi que le dialogue avec l’État, ce qui aurait été impossible autrement. Nous caressons le rêve d’un réseau collaboratif d’économie populaire et solidaire, où se développent dans un même espace des coopératives de travail productif et de services, ainsi que des réseaux d’approvisionnement alimentaire en contact direct avec les producteurs ; un lieu où nous nous lions entre nous de manière associative, et où la couverture des besoins de base, tels que le logement et l’énergie, est envisagée ».
Traduction Richard Neuville