Les sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) font le point après dix ans d’existence. Si le nombre de SCIC reste modeste (190), leur progression régulière marque un intérêt évident pour cette forme coopérative associant usagers, producteurs et autres parties prenantes. Ce multi-sociétariat est un moyen intéressant d’envisager le dépassement du marché dans une perspective autogestionnaire.
Jeudi 9 février 2012, les SCIC célébraient leurs dix années d’existence par un colloque qui se déroulait à l’espace du centenaire de la RATP à Paris. Instituées par la loi du 17 juillet 2001 et le décret du 21 février 2012, les SCIC sont les premières coopératives multi-collèges en France.
La situation
Une SCIC est une entreprise qui a pour objet « la production de biens et de services d’intérêt collectif, qui présentent un caractère d’utilité sociale ». Elle doit avoir au minimum trois collèges dont deux obligatoires : celui des salariés et celui des bénéficiaires (usagers). Les autres collèges peuvent être des collectivités locales, des financeurs, des bénévoles, des fournisseurs, des fondateurs… Fidèle à la logique coopérative, les décisions se prennent sur la base d’une voix par individu pour chaque collège.
Jusqu’à présent, le mouvement coopératif regroupait deux grandes catégories d’entreprises : les coopératives de producteurs et les coopératives d’usagers. Dans la première catégorie, ce sont des producteurs qui sont membres et dirigent la coopérative : on peut classer dans cette catégorie nos Scop françaises et la coopération agricole. Dans la seconde, ce sont les usagers qui se regroupent pour répondre à un besoin social. C’est ce schéma qui a été adopté par les coopératives bancaires, les coopératives de logement ou encore de consommation (voir notre article 2012 : année internationale des coopératives).
L’intérêt d’une coopérative multi-collèges est de dépasser le marché par la rencontre dans une même structure de parties prenantes aux intérêts souvent contradictoires. Si quelques coopératives de Mondragón ont expérimenté de telles formes dans les années 60, c’est en Italie que le multi-sociétariat sera pratiqué à grande échelle avec les coopératives sociales instituées en 1991. On compte à ce jour près de 12 000 coopératives de ce type réunissant 267 000 membres dont 223 000 sont salariés.
Dix ans après leur création, les SCIC se portent bien. Au 31 décembre 2010, on comptait 190 SCIC dans le paysage économique français. 34% d’entre elles ont été créées il y a moins de deux ans. Une des originalités du statut SCIC est d’autoriser l’investissement des collectivités territoriales à une hauteur maximale de 20% du capital. Ces collectivités sont aujourd’hui présentes dans plus de 40% des SCIC. Si la plus grande SCIC emploie 304 personnes (AlterEOS), la moyenne est de 13,6 salariés par entreprise.
Les secteurs d’activité sont divers et variés. 22% des SCIC travaillent dans l’environnement, 19% dans l’agriculture et l’alimentation, 17% dans le conseil et développement d’entreprises ou de territoires. Au service du développement local, 48% d’entre elles travaillent à l’échelon de la commune ou de la communauté de communes, 35% à l’échelle d’une région.
Le colloque
Ce colloque était organisé par les deux structures portant les SCIC, la CG-SCOP et la Fédération nationale des CUMA (Coopérative d’utilisation de matériel agricole). Hugues Sybille, ancien délégué ministériel à l’économie solidaire et inspirateur de cette loi est revenu sur les motivations de celle-ci. Il a émis quelques regrets (la complexité de l’agrément SCIC, le manque d’avantages fiscaux) et a rappelé combien le « multi-sociétariat était un outil de modernité ».
Ce colloque a permis de connaître les expérimentations en cours dans d’autres pays. Outre l’Italie avec ses 12000 coopératives sociales, le Québec a créé les coopératives de solidarité dès 1997 sur des formes analogues. Celles-ci sont aujourd’hui au nombre de 569 sur un total de 3300 coopératives et mutuelles. En Angleterre, un statut d’entreprise particulier (CIC : Community Interest Company) permet d’exercer une activité économique pour un intérêt social. En Belgique, les sociétés à finalité sociale (SFS) sont des entreprises sans but lucratif. A noter que dans ces deux pays, ces entreprises n’ont pas nécessairement un statut coopératif (c’est même quasi impossible au Royaume-Uni).
Quelques SCIC ont pu présenter leur activité. Replic, basée à Montpellier est spécialisé dans le développement des SCIC et la duplication d’expériences locales réussies. A ce jour, celle-ci a été à l’initiative de six autres SCIC. Eole, dans les Landes, est un projet né de la volonté d’une communauté de communes d’avoir un restaurant inter-entreprises. Cette SCIC emploie quarante-huit salariés, dont quatorze en insertion et distribue 5000 repas par jour. A la Réunion, Run Enfance est une crèche résultat de la fusion de deux associations. Le statut SCIC a permis de pérenniser une activité par l’implication des trente-huit salariés dans la coopérative aux côtés des parents. Enercoop, société de commercialisation d’électricité à base d’énergie renouvelable, regroupe 12 000 usagers dont 8 000 sont sociétaires. Afin de décentraliser la production, Enercoop a initié des SCIC locales en région Champagne-Ardennes, Rhône-Alpes, Pas-de-Calais et Languedoc.
Autour de deux tables-rondes, des débats ont eu lieu sur le rapport des SCIC avec les territoires et l’apport des SCIC aux enjeux sociétaux. A noter l’intervention de Gérard Poujade, maire du Séquestre dans le Tarn, qui a renoncé à adopter un statut SCIC pour mettre en place un service public et participatif de l’eau dans lequel les habitants seraient intéressés à économiser la ressource. Les raisons ? la limite de participation des collectivités locales dans une SCIC à hauteur de 20% et l’obligation de recourir à une mise en concurrence (ce qui n’est pas le cas d’une SPL, société publique locale). Des pistes intéressantes d’évolution du statut SCIC.
Ce colloque a ainsi mis en évidence la réalité des SCIC dans notre pays. Si la progression de ces sociétés dans l’économie n’est pas aussi forte qu’en Italie, sa croissance régulière et la diversité de ses secteurs d’activité montrent un intérêt évident pour ce type de coopérative. On peut regretter que la présence des salariés se réduise à la portion congrue dans certaines d’entre elles. La pondération moyenne du collège de salariés est de 21% alors que la CICOPA (Organisation internationale des coopératives de production industrielle, d’artisanat et de services ) recommande que cette part soit au minimum de 30%. Dans la même veine, si le dépassement de la coopérative de production est indispensable pour sortir des relations marchandes, on peut se demander si la répartition du pouvoir en pourcentage entre les collèges a réellement du sens et s’il ne vaudrait pas mieux accorder des pouvoirs différents à chaque collège de la coopérative… Débats qui progresseront avec la multiplication de ces expériences alternatives.
Quelques exemples de SCIC :
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