Le code du travail est trop compliqué, illisible. Il faudrait donc le « simplifier » et ce, dans l’intérêt même des salariés. C’est le « bon sens » proclamé en cette rentrée par Emmanuel Macron à l’université d’été du MEDEF, puis par Manuel Valls, une fois l’université du PS passée. Dans le même sens, le syndicaliste Laurent Berger de la CFDT et bien d’autres comme Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen qui nous avaient pourtant habitués à plus de rigueur juridique du côté du monde du travail. Enfin François Hollande en rajoute une dernière couche dans sa conférence de presse.
Les grosses ficelles
En chœur, chacun avec son ton, ils reprennent le besoin d’inverser la hiérarchie des normes : priorité à la base, c’est-à-dire à l’accord d’entreprise, qui doit primer sur la loi. Bref, la démocratie de base contre l’État. De quoi séduire les autogestionnaires peut-être?
Et bien non. Certes, qui dit complexité, dit pouvoir des spécialistes pour décortiquer, interpréter. Encore faut-il savoir pourquoi ce serait le code du travail qui serait pris pour cible et pas les autres, pourtant souvent plus volumineux. Regardez les codes civils, de commerce, pénal !
Ensuite les tenants de la « simplification » du code du travail qui préfèrent les accords collectifs de branche ou d’entreprise omettent de signaler que ces accords et conventions peuvent être complexes, détaillés, précis, soumis également à interprétations, à recours et enfin à jurisprudence. Et surtout les accords d’entreprises suppriment la protection de la loi qui est la garantie des plus faibles.
L’entreprise, ce n’est pas la démocratie
L’accord d’entreprise pouvant déroger au code du travail (sur la durée du travail, les embauches et licenciements, les modalités de rémunérations) ne sera nullement le « pouvoir à la base ». Car nos « démocrates » oublient que l’entreprise, ce n’est pas la démocratie, que dans la négociation l’employeur pèse autant que ses dizaines, centaines ou milliers de salariés. Dans l’entreprise, le salarié est juridiquement soumis, subordonné. La négociation est un rapport de forces et nous savons que celui-ci est défavorable aux salariés en période de crise quand ils ne disposent pas de garanties légales. En Russie, dans les années 1990, on a ainsi vu des syndicalistes libres dénoncer les conventions collectives qui rajoutaient au texte « le salarié est payé à la fin du mois » de la loi, la phrase « si c’est possible »…
Il serait plus juste que les responsables de ce système en faillite laissent la place
Or, ce n’est pas le code du travail qui est responsable de la crise, du chômage, de la précarité. Les responsabilités se situent du côté du patronat. Et il serait plus juste que les responsables de ce système en faillite laissent la place.
Si l’on veut sérieusement donner la parole à la base pour élaborer des règles communes, il faudrait que les entreprises soient la propriété collective de celles et de ceux qui y travaillent. Si l’on veut sérieusement donner aussi bien du travail que du temps à toutes et tous, c’est la réduction du temps de travail qui s’impose. Si l’on veut la citoyenneté, y compris dans l’entreprise, la précarité (du contrat, du logement, des moyens matériels et culturels) doit être éradiquée.
Plutôt que de renverser la hiérarchie des normes, il faudrait se donner les moyens de les appliquer. Ce qu’il y a à renverser, ce n’est pas cette hiérarchie là, mais la domination du capital sur le travail. L’autogestion commence par là.
La lettre du mois de septembre
Bonjour
Je lis toujours avec intérêt les articles proposés par la lettre « AUTOGESTION ». On
y trouve effectivement des informations tues tant par les partis de gauche que par les
syndicats au plan national.
Mais l’éditorial de la dernière lettre (n° 42 – septembre 2015) me laisse perplexe.
1*- Perplexe devant une certaine méconnaissance juridique, et aussi sociale
quand la loi est appliquée :
Depuis plus de 10 ans la hiérarchie des normes est battue en brèche par la loi du 04
mai 2004 n° 2004-391 et de la loi du 20 août 2008. La loi de 2004 a pour objectif de
donner une certaine marge d’autonomie à chaque niveau de négociation. Elle permet
qu’un accord de niveau inférieur, puisse déroger défavorablement aux clauses d’un
accord de niveau supérieur, à moins que les signataires de l’accord de niveau
supérieur aient expressément interdit la possibilité d’y déroger. Ainsi, un accord
régional peut déroger défavorablement à une convention collective nationale dès lors
que cette dernière ne l’interdit pas. Seul bémol, la loi de 2004 n’est applicable qu’aux
accords conclus postérieurement à la promulgation de celle-ci (promulgation le 7 mai
2004).
2*- Perplexe devant les raccourcis :
Il y a suffisamment à s’interroger sur la CFDT et son secrétaire général pour ne pas
être obligé de forcer le trait. Si le titre de l’interview de Laurent Berger parue dans Le
Monde du 2 septembre 2015 était effectivement «Le code du travail est illisible »
(titre de 6h48), très vite il a été changé par « Non au statu quo sur le code du
travail » (titre de 11h16). Cette formulation est plus conforme à la lettre et l’esprit de
l’interview de Laurent Berger qui déclare : « Ma vision m’amène à dire clairement
non au statu quo, car le code du travail est illisible pour les salariés et, du
coup, il n’est plus respecté. Mais faire croire qu’il faudrait casser le code du
travail parce qu’il serait responsable de tous les maux de l’économie et que
cela permettrait de recréer de l’agilité pour les entreprises, c’est archifaux. La
voie de passage est de voir comment on articule les différents niveaux de
régulation. Il n’est pas interdit de dire que l’entreprise est un de ces niveaux à
condition qu’on préserve une norme sociale minimale si l’entreprise ne joue
pas le jeu de la négociation. »
3*- Enfin perplexe et surtout inquiet quand je lis :
Pas d’autogestion tant que « la domination du capital sur le travail » subsiste,
puisque « Ce qu’il y a à renverser, ce n’est pas cette hiérarchie là, mais la
domination du capital sur le travail. L’autogestion commence par-là » ; ou
encore : « Si l’on veut sérieusement donner la parole à la base pour élaborer
des règles communes, il faudrait que les entreprises soient la propriété
collective de celles et de ceux qui y travaillent ».Donc si je comprends bien
il faut attendre le grand soir,
en attendant la « propriété collective » la « base » n’aurait pas son mot à dire,
car elle risque de faire les mauvais choix.
Et pourtant la réalité me paraît bien plus complexe.
Ce qui vient de se passer chez SMART en Lorraine doit nous faire réfléchir. Radios
et patrons mettent en avant un vote historique : contre l’avis de 3 syndicats sur 4 1 ,
une participation de 93% et 56% de OUI à la proposition patronale.
A y regarder de plus près ce sont les cadres et techniciens qui ont fait basculer le
vote en faveur du OUI. Chez les cadres et techniciens, le OUI a été majoritaire à
74 % ; en revanche, dans le collège ouvrier, le OUI est resté minoritaire, à 39 %.
Incontestablement les techniciens et cadres sont des salariés comme les autres et à
ce titre ont droit à la parole. En revanche on doit s’interroger sur la pertinence d’un
vote de certains membres de l’encadrement lorsqu’ils sont au forfait horaire et donc
en rien impactés par un retour éventuel aux 39 heures !
La suite de ce vote n’est pas évidente pour des autogestionnaires.
doit-on privilégier le pouvoir de véto des syndicats : des organisations
représentant 50% des voix aux élections peuvent s’opposer à un retour aux 39
heures ?
doit-on privilégier la « vox populi » contre des appareils syndicaux
minoritaires ?
Ce vote montre en creux que, sans attendre le grand soir, l’autogestion commence
déjà par une pratique autogestionnaire. Les syndicats en sont loin, eux qui,
conformément à la loi -même modifiée et améliorée en août 2008- se pensent
comme les représentants de l’ensemble des salariés en tout lieu et surtout de tout
temps. Survient un problème grave dans l’entreprise, ils ont leurs positions, même si
ce problème n’a donné lieu à aucune discussion et vote lors des élections
professionnelles. C’est comme nos députés. Les syndicats sont dans la pure et
seule « démocratie représentative ». Une fois élus, ils sont omniscients !
Rêvons un peu.
Nous sommes syndicalistes chez SMART et savons par nos représentants au CE et
dans les autres instances de représentativité que l’avenir de l’usine lorraine est
menacée. Alors nous n’attendons pas le référendum patronal. Nous débattons en
interne du syndicat ; nous élaborons les prémices d’une politique industrielle
1
La CGT (38 % des voix aux dernières élections professionnelles), la CFTC (20 %) et la CFDT (12 %)
s’étaient prononcés contre avant le vote, tandis que la CFE-CGC (20 %) était pour.alternative ; nous élaborons une campagne d’explication et de questionnement des
salariés ; nous capitalisons les résultats de la campagne d’explication et
questionnement en les confrontant à nos positions de départ ; nous consultons les
salariés parfois tous ensemble, parfois par catégorie (exemple un cadre au forfait n’a
pas à voter sur le retour aux 39 heures d’un technicien ou d’un ouvrier, en revanche
il a son mot à dire sur d’autres aspects industriels ou sociaux).
Cette démarche ne garantit en rien que les salariés ne seront plus du tout sous
l’influence de leur direction patronale. C’est un risque démocratique à prendre ! Mais
il sera d’autant plus petit que ce sont les syndicats qui seront à l’origine de la (ou
des) consultation(s) avec des propositions élaborées conjointement avec leurs
mandants. Si les salariés choisissent une voie contraire au syndicat, il ne reste alors
que deux solutions :
après réflexions et débats sur la position des salariés, le syndicat change sa
position car il estime que ce sont les salariés qui sont dans le « vrai »,
ou le syndicat maintient sa position initiale, mais, comprenant la position
(même erronée à ses yeux) des salariés, il ne s’oppose pas à la position
majoritaire des salariés ; le droit à l’expérimentation et à l’erreur doit être
accepté.
Le fonctionnement des syndicats est aujourd’hui loin de ce « rêve ».
Cette pratique autogestionnaire est pour moi le seul clivage qui a un sens.
L’autogestion n’est pas qu’un type d’organisation pour « l’après grand-soir », mais
aussi une pratique de tous les jours.
C’est à cette aune qu’il nous faut regarder les syndicats d’aujourd’hui. La CGT et
SUD ne sont pas plus « révolutionnaires » que la CFDT et la CFDT n’est pas plus
« réformiste » que les deux autres : « L’accompagnement de la crise » par la CFDT
n’est en rien pire que l’acceptation de fait de la crise par la CGT et SUD faute, pour
elles, d’envisager des alternatives démocratiques et sociales crédibles. Il me semble
que le seul critère pertinent pour juger telle ou telle prise de position syndicale est le
suivant : dans un contexte donné, en tenant compte du rapport de forces du moment,
la position prise va-t-elle dans le sens de plus d’éducation et plus d’organisation
autonome des salariés ?
Les statuts de fondation de la 1 ère internationale de 1864 ne disent pas autre chose
quand, dans leur première ligne, ils soulignent que « l’émancipation des
travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Amicalement