thessa-water1Thessalonique est une métropole vivante et en expansion du nord de la Grèce. Comme le reste du pays, elle est affectée par un chômage croissant et une pauvreté causée par les politiques du gouvernement dictées par la Troïka qui ont plongé l’économie dans une profonde récession.

En Grèce, comme dans bien d’autres pays dans le passé, le capitalisme a utilisé la crise de la dette souveraine – qu’il a lui-même produite – comme prétexte pour pratiquer un pillage systématique : remise en cause des droits sociaux, politiques et syndicaux, démantèlement du système d’éducation et de santé, expropriations au profit d’exploitations minières géantes et privatisation de tout ce qui constitue la richesse publique. De nouveau, et comme dans bien d’autres cas, gouvernement comme médias répètent à l’envie le mot d’ordre favori du néolibéralisme : « il n’y a pas d’autre alternative ».

C’est dans le contexte des mesures préconisées par le terrible “mémorandum” imposé par le FMI, que le gouvernement a annoncé en 2011 la privatisation d’EYATH, la société nationale fournissant l’eau et l’assainissement aux 1,5 millions d’habitants de la ville. Suez, le géant de ce secteur a rapidement montré son intérêt pour cette société rentable. En mai 2014, le processus de privatisation est en cours avec une deuxième offre de vente des actions pour laquelle deux sociétés, le français Suez et l’israélien Mekorot, se sont portés candidats.

En dépit du chantage et de la propagande, les citoyens de Thessalonique et leurs organisations se sont opposés depuis trois ans aux plans de privatisation du gouvernement. Ils ont réussi à mettre cette question sur le devant de la scène en démontrant combien les privatisations de services d’eau ont, partout dans le monde, généré des augmentations de tarif, des détériorations de l’infrastructure, des baisses de la qualité de l’eau et l’exclusion d’une grande partie de la population à l’accès à ce bien commun pourtant essentiel.

À travers leur participation au mouvement mondial et européen de défense de l’eau, les organisations de la société civile grecque ont mis en évidence combien le modèle de privatisation que le gouvernement essaye maintenant d’imposer par la force a failli dans des dizaines de villes à travers le monde. Elles urgent les autorités municipales à faire machine arrière en leur faisant connaître la longue liste des villes qui reprennent à leur compte la gestion de l’eau, véritable lame de fond mondiale en faveur de la remunicipalisation.

Dans les faits, les citoyens de l’Union européenne sont maintenant convaincus que la gestion de l’eau doit être publique, démocratique et transparente. Pas loin de deux millions de personnes de 28 pays ont approuvé l’Initiative des citoyens européens contre la privatisation de l’eau Right 2 Water. Les résultats de cette Initiative ont été présentés au Parlement européen le 17 février 2014 forçant les euro-députés de tous bords à admettre  que la privatisation de l’eau est extrêmement impopulaire au sein de l’Union et obligeant la Commission européenne à l’exclure de la directive sur les concessions.

Avec cette vague mondiale contre les privatisations, le gouvernement grec reste isolé et a les plus grandes difficultés à convaincre les citoyens qu’« il n’y a pas d’autres alternatives ». En réalité, il y a beaucoup d’alternatives qui sont proposées concernant la gestion de l’eau à Thessalonique, toutes ayant comme objectif la sauvegarde de ce bien vital dans une perspective de justice sociale et d’égalité d’accès.

De nombreux citoyens et organisations veulent défendre la gestion étatique qui a, jusqu’à présent, garanti des prix raisonnables. D’autres pensent que la gestion de l’eau relève plutôt de la municipalité. La communauté régionale de communes a ainsi exprimé son intérêt pour créer une agence inter-communale de gestion de l’eau. Une troisième proposition innovante vient d’Initiative 136, un mouvement populaire qui organise les citoyens de Thessalonique en coopératives sociales de gestion de l’eau qui s’uniront pour gérer la société des eaux selon les principes de démocratie directe, de justice sociale, de participation et de transparence.

Mais avant d’ouvrir le dialogue démocratique sur le modèle le plus efficace, socialement et écologiquement, de gestion de l’eau, les citoyens de Thessalonique doivent repousser la menace de la privatisation. Une pression sociale, politique et juridique s’exprime de plus en plus fortement contre la vente de la société et les sondages, locaux comme nationaux, montrent que 75% de la population est opposée à cette mesure. Avec l’attente d’une décision du Conseil d’État concernant la constitutionnalité de cette privatisation, le processus est maintenant à l’arrêt en dépit de l’opiniâtreté de ce gouvernement néolibéral.

thessa-water2Dans ce contexte politique, les nombreux collectifs et associations qui défendent l’eau en tant que bien commun et droit humain (SOSte To Nero, Initiative 136, le syndicat des travailleurs d’EYATH, les Combattants de l’eau, l’Assemblée ouverte des citoyens pour l’eau et la communauté régionale de communes, pour n’en nommer que quelques uns…) ont décidé de faire monter la pression en organisant un référendum à l’échelle de la ville sur la privatisation de EYATH. Ce référendum est indicatif dans la mesure où le système constitutionnel grec n’autorise pas la consultation de la population sur les décisions politiques à moins qu’elle ne soit décidée par décret présidentiel ou par une majorité élargie au Parlement. Cependant, ses organisateurs sont persuadés qu’il va mettre en évidence l’opposition écrasante de la population à l’égard de la privatisation et qu’il servira à exprimer la volonté populaire.

La date choisie est le 18 mai 2014, au moment même du premier tour des élections régionales et municipales et une semaine avant les élections européennes. C’est une véritable mobilisation populaire qui regroupe des milliers de bénévoles qui vont mettre en place les urnes à côté des bureaux de vote de la zone métropolitaine de Thessalonique. En dépit de moyens limités et de l’hostilité déclarée des grands médias, les opposants ont réussi à mettre un coup d’arrêt au désespoir, à la résignation et à l’apathie que quatre années de remises en cause des acquis sociaux ont produit. Soutenu par la solidarité internationale, les opposants ont informé et mobilisé la population de Thessalonique et c’est cette frénésie créative qui a permis l’organisation de ce référendum crédible et transparent.

Comme l’action économique du gouvernement s’éloigne de plus en plus des intérêts de la population qu’il est censé représenter, il appartient aux citoyens de défendre leurs droits élémentaires, de réinventer la démocratie et de protéger les biens communs par des initiatives populaires. La Grèce, dernier champ d’expérimentation de l’accumulation par expropriation du capitalisme mondialisé, préfigure le triste futur que le monde des affaires dessine pour la population européenne. Mais les organisations et mouvement sociaux grecs ne restent pas inactifs face à ce pillage. À la répétition désormais bien émoussée du « Il n’y a pas d’alternative », ils réfutent qu’ « il y a beaucoup d’alternatives » à la condition, bien sûr, que la société organisée déploie sa créativité et se lève pour défendre ses droits et ses biens communs.

Article paru en anglais sur autonomias.net : http://www.autonomias.net/2014/05/18-may-thessalonikis-water-referendum.html

Traduit par Benoît Borrits

Pour compléter : un article du site de février 2013 sur l’Initiative 136