Hier, jeudi 20 octobre à 14h, le tribunal de commerce de Grenoble rendait son jugement sur l’appel des salariés d’Ecopla pour la reprise de leur entreprise. Pour mémoire, cette entreprise de fabrication de barquettes alimentaires avait déposé le bilan dans des conditions douteuses provoquant l’intervention de l’AGS – le régime de garantie des salaires – pour 1,5 million d’euros.
Les salariés ont immédiatement monté un projet de reprise, soutenu par l’Union régionale des Scop pour un montant de près de 2,4 millions d’euros. Point délicat : l’offre de reprise des actifs est de 100 000 euros alors qu’un concurrent italien, Cuki, a fait une offre de 1,5 million. Son objectif affiché est de déménager ce matériel de l’autre côté des Alpes sans qu’aucun des salariés ne soit repris. Le 16 juin, le tribunal de commerce choisit Cuki. Jugement à courte vue car ce que les AGS gagnent équivaut à peu près à ce que la reprise en Scop économiserait à l’Assédic, sans compter la perte irrémédiable d’un savoir-faire industriel dans le pays.
Il est intéressant de constater que ce 20 octobre, la présidente du tribunal de commerce s’est dite désolée d’avoir à rendre un tel jugement qui porte sur une cession d’actifs et non sur un fonds de commerce, ce que les salariés demandaient au gouvernement pour prendre en compte l’emploi. Elle a expliqué que les pouvoirs publics auraient dû faire appel du premier jugement, comme ils l’avaient fait pour l’entreprise SET en décembre 2012. Pourquoi le gouvernement ne l’a-t-il pas fait à temps ?
Cela fait pourtant plus de deux ans que les salariés ont exercé leur droit d’alerte. Cela fait huit mois qu’ils demandaient à être reçus par Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, vous savez celui qui, pour sa première visite en entreprise, avait choisi Acome, une Scop fondée en 1932 qui emploie plus de mille salariés et leader européen dans le marché de la fibre optique. Il vantait alors le modèle des Scop comme étant une harmonieuse association du capital et du travail (sic !). Ça, c’est pour les médias. Dans le silence des bureaux, il ignore des syndicalistes qui ont un projet sérieux et intégralement financé. Une fois qu’il a démissionné, le voilà qui les reçoit à son QG de campagne et s’offre même le luxe de les visiter chez eux à Saint-Vincent-de-Mercuze pour les « soutenir ».
Que va maintenant faire Michel Sapin ? Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, avait indiqué qu’ils interviendraient si nécessaire après le jugement du 20 octobre. Ah oui, et comment ? En attendant, la justice « commerciale » fait son travail. Après la visite de nombreux candidats à l’élection présidentielle durant le mois de septembre, les huissiers ont placé un scellé sur l’usine interdisant aux salariés de rentrer. Cet exécutif va-t-il ordonner le déménagement des machines pour l’Italie ? Une chose reste certaine ce 20 octobre : les salariés sont plus que jamais décidés à ne pas lâcher le morceau.
On est en pleine hypocrisie. Côté pile, on vante le modèle des Scop qui « responsabilisent » les salariés. On se met en scène au côté de Scop qui sont connues médiatiquement. Côté face, on freine des deux pieds pour entraver cette économie des travailleurs qui aspire à émerger. On abandonne sans vergogne et dans le silence médiatique le plus total les 80 salariés de la plus vieille papeterie de France, celle de Docelles, qui eux aussi avaient un plan de reprise intégralement financé par le mouvement coopératif et deux banques. On n’a jamais respecté une promesse de campagne, la loi Florange, qui aurait imposé à une entreprise qui ferme une unité de production de la céder. Au lieu de cela, en pleine période électorale, on capitule face au chantage du groupe Alstom de fermer un site de production de 400 personnes en lâchant des commandes dont l’utilité est questionnable : les actionnaires d’Alstom peuvent les remercier d’améliorer ainsi leurs futurs dividendes. Pourquoi, face à une direction qui veut déménager des salariés sans s’occuper des conséquences familiales, n’exigerions nous pas la reprise de cette entreprise par les salariés pour qu’ils décident eux-mêmes de leurs lieux de travail et des investissements afférents en lien avec un débat citoyen sur les besoins réels de notre réseau ferroviaire (cf. notre édito du mois dernier) ?
Plus que jamais l’exigence d’une économie gérée par les travailleurs et orientée par les usagers, d’une économie débarrassée d’actionnaires parasites se fait jour. Nous défendons la reprise d’Ecopla par ses travailleurs comme nous le sommes pour l’ensemble des entreprises. N’est-ce pas la perspective de voir de plus en plus reprises par les salariés qui fonctionnent qui explique aujourd’hui ce double langage d’une grande partie de la classe politique ?