Quatrième, puis cinquième, et puis… énième « nuit debout » Place de la République à Paris, qu’il pleuve ou qu’il vente et cela malgré l’État d’urgence, malgré le défaut d’autorisation. Déjà pour le deuil après le 13 novembre la foule avait bravé les interdictions, désormais c’est pour un nouveau printemps que la place est investie.
On objectera que ce ne sont pas les places de Madrid, les agoras d’Athènes, les « occupy wall street » de New York, ni Hyde Park de Londres. Et alors ! En vérité, c’est un peu de tout cela et c’est tout simplement Paris. Il n’y a pas des modèles à dupliquer, mais les expériences sont connues, elles circulent, et chacun y puise et trouve sa voie en fonction de la situation, y compris des contraintes urbaines. Sans oublier que les expériences sont aussi ancrées dans la mémoire des mouvements sociaux, une mémoire qui se transmet et se transforme de génération en génération. Les lits un moment à sec peuvent redevenir torrents. Il y a un air de 1789 avec les « cahiers de doléance » et l’idée d’états généraux ou de nouvelle constitution ; une parenté avec la Commune de Paris puisque même la nuit la ville « a pris pour tribune les terrasses de café » comme le dit la vieille chanson « Paris en fête », et même un petit parfum de mai 68 quand quelqu’un met une affiche et l’on s’attroupe autour pour commenter, discuter ou bien, comme dans l’Odéon occupée en ce même Printemps 68 ou l’un commence à parler et toutes et tous s’y mettent.

Certes, quelques milliers de personnes se rassemblent, mais plusieurs dizaines de milliers suivent et participent en direct par les réseaux sociaux. Et ce n’est pas qu’à Paris mais dans une vingtaine de villes le débat va dans la rue. Hélas, il faut partir le matin, mais on se donne rendez-vous le soir, après le travail, après la fac ou le bahut, après la manif…

Car il y a une relation : cela a commencé en continuité des manifestations contre le projet de loi travail, avec le désir de prolonger le mouvement revendicatif aux objectifs par essence limités par des sujets plus vastes où chacune, chacun peut émettre des propositions. Une organisation où le nouveau et l’ancien se mêlent, les moyens matériels et l’expérience des militants aguerris, les apports des associations, mouvements s’amalgamant avec celles et ceux qui font ici leurs premières armes.

Pendant longtemps, il y a eu décalage entre des mouvements sociaux de protestation – car c’est d’abord dans le regroupement de défense face aux attaques que cela commence – et les propositions alternatives, qu’on discutait avant, ou après au sein de groupes plus restreints. Peut-être que la longue durée prévisible de la bataille sur la loi travail – le calendrier est prévu jusqu’en juillet – permettra pour une fois que la masse mobilisée s’attaque à la fois aux tâches de défense contre les menaces, et prennent pleinement en mains l’élaboration des alternatives. Cela continuera-t-il sous la forme d’occupation des places ? Ou bien par d’autres occupations de facs et lycées, d’immeubles, et pourquoi pas d’entreprises ? Ou bien d’autres formes encore ? L’enjeu est là : que des millions de personnes qui refusent de se soumettre s’approprient l’avenir. Il faut rester debout!

La lettre du mois d’avril