Quelques éléments des exposés introductifs

Autogestion par Catherine Samary

Autogestion et communs sont deux notions qui remettent en cause la propriété privée.

L’autogestion est un principe d’organisation d’une autre société. Elle est incompatible avec un système capitaliste car elle met en cause la nature de la propriété, qui doit être socialisée, les rapports de domination liés au salariat, le rôle de la monnaie et la forme de financement qui ne doivent pas donner un pouvoir sur la gestion et sur l’organisation du travail.

Cette incompatibilité ne signifie pas qu’il faille attendre le Grand Soir, tout en sachant que toute expérience dans un cadre capitaliste risque de se terminer par un enlisement et une intégration dans le mode dominant.

En Yougoslavie à l’ère titiste, on peut distinguer trois phases et « systèmes » où les formes et le contenu de la « propriété sociale » ainsi que les droits de gestion ont évolué:

1- 1950-1965 : La « propriété » était « sociale ».L’ autogestion (conseils ouvriers, assemblées) portait sur la gestion courante de la faible part du « surplus » attribué aux entreprises. Le reste du surplus était affecté à des « Fonds d’investissements ». La planification « stratégique » appartenait au parti.Etat.

2- 1965-73/76 : « Socialisme de marché » : le surplus est désormais distribué aux banques et aux entreprises augmentant le droit de gestion de ces dernières. Mais les banques captent rapidement une part prépondérante du surplus, le marché de son côté accroissant inégalités et chômage.

3- 1973-1980 : Les banques sont mises sous le contrôle des entreprises autogérées, les grosses entreprises découpées en « organisations de base du travail associé » (OBTA).Sont instaurées des communautés d’intérêt autogestionnaires (travailleurs, usagers, instances locales de l’Eta), des Chambres de l’autogestion (communales et républicaines), une planification autogestionnaire par contrats entre OBTA. Le caractère confédéral du pays est renforcé. Le contrôle des devises du commerce extérieur est confié aux Républiques.

Le système s’est heurté à l’impact du marché international et du marché interne, occasionnant conflits entre salariés et managers et instaurant la concurrence entre les entreprises, sans que la planification ne permette une appropriation autogestionnaire des choix par les usagers/ travailleurs/ citoyens.

Rôle/bilan double du parti : il a introduit et élargi les droits de l’autogestion comme nulle part ailleurs mais a gardé le monopole de décision et finalement joué un rôle répressif démobilisateur.

Les communs par Benoît Borrits

On ne peut aborder la discussion sur les communs sans mentionner les « enclosures » en Angleterre des champs par les grands propriétaires terriens pour y développer l’élevage à grande échelle qui entraînera l’expulsion des paysans anglais. Ceux-ci cultivaient précédemment ces terres sous le régime des « commons » et migreront alors vers les centres urbains. On peut considérer cette expropriation des « commons » comme l’acte fondateur du capitalisme britannique.

Les libéraux justifieront cette expulsion au nom de la surexploitation des terres utilisées en commun sur la base du « syndrome du passager clandestin » : chacun individuellement aurait intérêt à faire paître un maximum de bêtes au mépris du renouvellement de la ressource. Selon eux, seul un propriétaire sera motivé à préserver la ressource, ce qui justifie l’établissement de droits de propriété exclusifs.

Plusieurs auteurs ont contesté cette vision, notamment Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, qui a démontré tout au long de sa vie que certains biens communs peuvent être gérés de façon efficace à la condition que les différentes parties prenantes définissent ensemble des règles d’utilisation et d’exploitation comprises par tous. Si elle s’est immédiatement intéressée aux ressources naturelles (nappe aquifère, pêcherie…), elle travaillera à partir de 1990 sur les biens communs immatériels (connaissance, informatique) en tant que biens non rivaux. A noter qu’Elinor Ostrom s’inscrit dans la théorie de la propriété comme faisceau de droits qui s’incarne dans le droit et conteste le droit « naturel » de la propriété.

Benjamin Coriat, utilise le terme « commun » (en lieu et place de « bien commun ») : toute ressource collective ne constitue pas un « commun ». Il met l’accent sur les mécanismes de délibération démocratique autour des ressources à gérer.

Pierre Dardot et Christian Laval considèrent le « commun » comme un ensemble de pratiques auto-instituantes qui s’appuient sur le droit des usagers face aux propriétaires qu’ils soient privés ou publics. Divers exemples de contestation des droits de propriété illustrent cette pratique du Commun : luttes contre la privatisation de l’eau (Cochabamba, Naples…), des services publics, de la connaissance (contre les brevets et pour le « libre »), contre les fermetures d’entreprises débouchant sur la reprise d’entreprises par les travailleur.se.s, les mouvements des places (Madrid, Tahir, Zyntagma…). Le Commun devient alors un horizon politique d’organisation de la société.

Si ces luttes débouchent souvent sur des formes institutionnelles de type collectif (étatique ou coopérative), il convient cependant d’en noter la contradiction potentielle avec la pratique du commun dans laquelle travailleur.se.s et usager.e.s sont amenés à délibérer en commun : l’État en tant que propriétaire peut à nouveau exclure travailleur.se.s et usager.e.s (exemple du service public de l’eau à Naples) et la coopérative reste une forme privée à l’égard de qui n’est pas membre de celle-ci.

Si le Commun est une conception de la société incompatible avec le capitalisme, se pose alors la question d’une fédération des communs. Doit-on les concevoir comme une double fédérations de communs politiques et de communs sociaux-économiques ou une articulation de communs entre des communs construit sur une base associative (adhésion volontaire) et d’autres sur une base géographique (adhésion sur la base de la résidence) (cf. Emmanuel Dockès) ?

Débats

Ces introductions, amènent à se poser un certain nombre de questions : Y a-il des communs par nature ? L’autogestion, comme les communs, réclament-ils des formes particulières de propriété ? Peuvent-ils constituer les fondements d’un projet de société ? Nécessitent-ils une certaine forme d’organisation et de gestion ?

1) La propriété : que possède-t-on ? Qui possède ?

a) Existe-il des communs par nature ?

Définir les communs semble bien compliqué.

Un intervenant commence par affirmer qu’il n’y aurait pas de communs en France. Et pourtant, d’autres citent la gestion de l’eau par les communes ou la gestion de l’irrigation en Roussillon depuis le 13e siècle.

D’ailleurs, pourquoi se limiter au territoire national ? Il existe des biens communs mondiaux comme les océans.

L’eau est-elle automatiquement un commun ? Non, il ne faut pas confondre « collectif » et « commun » : l’eau est bien une ressource collective, mais elle peut être utilisée par une collectivité locale au détriment des autres.

On ne peut pas dire que ce qui est commun (comme la défense nationale) relève du bien commun. Peut-on mettre dans la même catégorie des communs, les ressources « traditionnelles » et les nouveaux communs informationnels ?

Si Benjamin Coriat se réfère à la notion de ressource, il met l’accent sur les mécanismes de délibération démocratique autour de celles-ci.

b) Commun et autogestion : une forme collective de propriété ?

Une chose fait consensus : pas plus que l’autogestion, la notion de communs n’est compatible avec la propriété privée. Mais peut-on considérer que cette notion s’accommode d’une appropriation de type étatique, fût-elle au niveau local.

Ne faut-il pas se demander, comme le signale une intervenante, qui investit et comment se distribuent les bénéfices attendus de la gestion des communs ?

Dans le même ordre d’idée, Benoît Borrits considère que la dégénérescence d’une coopérative tient à la logique de propriétaire qu’ont (collectivement) les coopérateurs. A leur propriété collective du capital, devrait se substituer un droit d’usage de ce capital.

On sort d’un mode capitaliste d’utilisation des ressources mais peut-être rejoint-on ainsi la notion de communs des sociétés traditionnelles, des biens pouvant appartenir à un propriétaire mais dont tout habitant pouvait user?

Communs et autogestion s’inscrivent donc dans un projet d’organisation sociale bien différent de la société capitaliste. C’est plutôt cela qui les définit.

2) Un projet de société

Un intervenant met les pieds dans le plat : « Quel intérêt opérationnel existe-il dans la notion de commun ? Certaines ressources sont gérées en commun même si le Capitalisme tend à remettre en cause ce mode de gestion. »

Or, répond Benoît Borrits, « A travers les communs, se déploie une conception de la société incompatible avec le capitalisme :
– la forme de propriété et l’organisation sont collectifs (étatique ou coopérative)
– ils s’organisent sur une base géographique ou associative
– la gestion commune implique usagers et travailleurs sans domination des premiers sur les seconds. »

Il s’agit ainsi d’un vrai projet de société. Tout comme l’autogestion, « principe d’organisation d’une autre société » précise Catherine Samary, ce projet est politique. Car la politique est en soi un commun (dans le domaine stratégique) : «  C’est être et agir en commun. L’initiative venant d’en bas. »

L’exemple de Notre Dame Des Landes et de sa ZAD n’en sont-ils pas une illustration ?

Il s’agit, comme le dit Catherine Samary : de « lutter dans le système, contre le système au-delà du système. Transformer l’État, les institutions en général, en communs. »

Mais sans attendre le Grand Soir. Il s’agit de construire ici (dans un espace local et planétaire) et maintenant. « Affronter le Capital maintenant dans une perspective future » dit l’un des participants.

3) Une société démocratique et solidaire

« Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, démontre que certains biens communs peuvent être gérés de façon efficace à la condition que les différentes parties prenantes définissent ensemble des règles d’utilisation et d’exploitation comprises par tous. » est-il écrit dans le carton d’invitation.

Un intervenant résume ainsi les enjeux : « La forme de propriété n’est pas l’élément essentiel bien qu’une appropriation collective soit indispensable. C’est plutôt le mode de gestion, de prise de décision, de contrôle qui sont importants. Se pose, au niveau d’une collectivité large, la question de la coordination entre les différents communs, d’une fédération des organes de gestion des communs, et de leur contrôle. »

Ce qu’une intervenante traduit ainsi : « quel rapport avec la loi ? Quelle égalité de traitement ? »

Rapport avec la loi : comment est prise la décision ? Par un vote majoritaire ? Par consensus ? Ou encore par vote majoritaire sans que les minoritaires s’opposent à sa mise en œuvre ?

La mise en œuvre peut créer des conflits entre usagers et entre les différents communs. Il s’agit de mettre en place des structures et des procès pour les régler.

Qui la construit ?

Les « différentes parties prenantes », concernant les communs, ce sont les salariés et les usagers.

Quelle égalité de traitement ?

Très rapidement se pose la question de la solidarité entre les différents communs, entre les différents collectifs locaux. Doit on aller vers une fédération avec sa complexité de gestion et d’organisation mais aussi ses biais démocratiques? « une fédération ça ne peut pas fonctionner. » dit l’un d’entre nous.

Ce sont des questions qu’il nous reviendra de discuter dans nos prochaines séances. Catherine Samary fixe quelques enjeux :

  • solidarité en place de la domination, et démocratie active ;
  • mise en cause des rapports de domination liés au salariat ;
  • la monnaie et le financement ne doivent pas donner un pouvoir sur la gestion et sur l’organisation du travail.

On peut conclure avec Benoît Borrits « Dans toutes nos interventions, il y a un parallèle entre les notions de communs et d’autogestion. C’est bien de la base que ça vient mais il y a nécessité de fédérer. »