Nous publions cet article de Luis Hernández Navarro paru dans l’édition du prestigieux journal mexicain La Jornada en date du 12 décembre 2023. Il traite de la situation du Syndicat mexicain des électriciens (SME), qui s’illustre dans une lutte depuis 14 ans contre l’état fédéral mexicain. Il démontre que la solidarité des organisations de travailleur-se-s n’est pas un vain mot, y compris de la part d’un syndicat qui a subi une des pires attaques. La Coopérative « Luz y Fuerza del Centro » qu’il a créé pour gérer les centrales électriques est à la pointe de cette solidarité. Nous côtoyons les animateurs du SME et de cette coopérative au sein du réseau international de l’économie des travailleur-se-s dans lequel ils ont également très actifs. (RN)
Par Luis Hernández Navarro, La Jornada, 12 décembre 2023
Loin des projecteurs, fidèles à une longue tradition de solidarité avec ceux d’en bas, sans rien attendre en retour, les travailleurs du Syndicat mexicain des électriciens (SME) se sont rendus à Acapulco pour soutenir les victimes de l’ouragan Otis.
Le 4 novembre, un camion de la coopérative Luz y Fuerza del Centro, formée par le syndicat, est arrivé dans les bureaux de la Coordination estatale des travailleurs de l’ éducation de Guerrero (Ceteg), chargé d’aliments et de produits de première nécessité offerts par des résistants et des retraités.
Acapulco est plongée dans l’obscurité. Il n’y a pas de téléphone, pas d’internet, pas de communications. Le 11 novembre, une brigade de 10 équipages de coopérateurs, appuyés par des ingénieurs, des opérateurs et des mécaniciens, est arrivée au port. Ils ont voyagé dans 11 véhicules, dont trois avec des paniers. Leur objectif était d’aider au rétablissement du service d’électricité.
La planification, l’exécution et la supervision des travaux incombaient à la Commission fédérale de l’électricité (CFE). Les membres de la coopérative du SME ont agi conformément aux normes et réglementations de l’entreprise. Ils ont électrifié la zone hospitalière, la zone hôtelière et les quartiers proches de Pie de la Cuesta et du centre-ville.
Pendant 13 jours, les 22 électriciens ont travaillé plus de 12 heures par jour sous une chaleur étouffante. Ils ont déjeuné sur les sites où ils travaillaient, se sont reposés et ont fait leur toilette dans un hôtel qui leur a servi de camp. Malgré les graves pénuries qui sévissaient dans le port à cette époque, de nombreux habitants d’Acapulque leur ont offert de l’eau potable et de la nourriture, et même de l’argent. Les équipages refusent toute aide financière. Ils ont électrifié les écoles, les magasins, le palais municipal, les maisons et les routes. Près de 2 500 habitants ont eu de l’électricité grâce à leur travail.
Ce n’est pas la première fois de son existence que le SME se montre solidaire de mouvements populaires. Un exemple parmi tant d’autres : en 2019, à El Guayabal, municipalité de Rayón, Selva Negra, Chiapas, ses affiliés ont donné des cours de formation sur les transformateurs à des Zoques et des Tseltales, en résistance contre les tarifs élevés pratiqués par la CFE. Au cours de ces ateliers, ils ont électrifié les maisons de 280 familles. Ces ateliers ont également été organisés dans des communautés des municipalités de Jitototol, Bochil, Pueblo Nuevo et Ixapa. En outre, ils ont fait don d’outils pour leur permettre d’entretenir l’infrastructure électrique de leurs villages.
Le 14 décembre 2023, le SME célèbre son 109e anniversaire. C’est le syndicat le plus ancien du pays.. Au cours des 14 dernières années, il a survécu à contre-courant. Il a également fait l’objet de toutes sortes de campagnes de stigmatisation.
Le 10 octobre 2009, le président (élu grâce à une scandaleuse fraude électorale) Felipe Calderón, a lancé la police fédérale et l’armée pour occuper préventivement les installations de Luz y Fuerza del Centro (LFC), avant que le décret de liquidation de l’entreprise n’entre en vigueur. Quelques heures plus tard, le gouvernement fédéral a décrété la disparition de l’organisation et annoncé le licenciement de ses travailleurs.
Ce décret est arbitraire et illégal. Une infamie pour anéantir un syndicat combatif, une digue contre la privatisation du système électrique national. Calderón n’avait pas le pouvoir de supprimer l’entreprise. Pour ce faire, il a outrepassé les droits du Congrès de l’Union fédérale. Le service d’électricité n’était pas en danger et il n’y avait pas de menace de grève. Le gouvernement aurait dû engager un procès pour conflit collectif de nature économique afin d’éliminer LFC, ce qui n’a pas été fait. Au moment du coup d’État, le SME comptait 44 000 travailleurs actifs et 22 000 retraités. Deux mois plus tard, 18 000 d’entre eux ont été licenciés. Comme l’explique Jorge Herrera, en 2015, sous la présidence d’Enrique Peña Nieto, afin d’éviter sa disparition avec la suppression de son enregistrement en tant que syndicat industriel national, le SME a signé un protocole d’accord. Dans le cadre de cette négociation, le gouvernement lui a accordé une concession de 30 ans pour les centrales électriques qui appartenaient à Luz y Fuerza et lui a remis une série de biens en guise de paiement des dettes salariales. Ces actifs restent la propriété de la nation, même s’ils sont maintenant sous concession.
Ainsi, dans le cadre de la loi sur l’industrie électrique, une société a été créée en association avec une filiale de l’entreprise portugaise Mota-Engil, appelée Generadora Fénix. Le syndicat détient 49 % des actions et Mota-Engil 51 %. Ainsi, le syndicat a survécu, quelque 1 200 travailleurs de la coopérative et du syndicat ont été employés et, avec les bénéfices de la production d’énergie, une coopérative a été créée. L’entreprise produit 1 % de l’électricité nationale.
Le coup de force de Calderón contre le SME a eu des effets dévastateurs sur les membres du syndicat. Du jour au lendemain, des milliers de familles ont perdu leurs moyens de subsistance. Divorces, bagarres, maladies, perte d’estime de soi, maladies et même suicides se multiplient. L’absence de services de sécurité sociale (IMSS) pour les résistants ne fait qu’aggraver le problème.
Le SME exige que ses membres soient embauchés par le CFE, dans les mêmes emplois que ceux qu’ils occupaient dans l’entreprise Luz y Fuerza del Centro (LFC), c’est-à-dire dans des emplois similaires. Le personnel est, comme le prouve la solidarité dont il a fait preuve dans l’affaire Otis, qualifié et efficace. Leur embauche n’implique pas de coûts élevés.
En tout état de cause, le conflit que connaît le SME reste sans solution pour l’instant. 109 ans après sa création, il reste utile.
(Traduction Richard Neuville)