Une loi sur l’Économie sociale et solidaire (ESS) est en préparation dans le cabinet de Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre des finances. Bien que non encore publiée, il y a de fortes chances qu’elle reprenne les préconisations du groupe de travail sur l’ESS qui s’est réuni autour de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann. Sans vouloir réduire l’autogestion à « économie sociale et solidaire », il va de soi que cette loi aura une incidence, positive ou négative, sur l’avancée de l’autogestion dans notre pays.

Le périmètre de l’économie sociale et solidaire correspond à celui des coopératives, mutuelles, associations et fondations. Ce qui caractérise cet ensemble est que l’initiative économique n’est plus déterminée par la valorisation du capital : c’est la volonté d’individus de répondre à un besoin social qui justifie l’activité. S’il s’agit donc d’une rupture fondamentale avec le règne du capital, l’ESS n’est pas non plus l’autogestion, loin de là.

Le statut n’est pas neutre

Ces derniers temps, une offensive de plus en plus forte s’est faite sentir pour intégrer dans le champ de l’ESS des entreprises de capitaux qui auraient un rôle social ou écologique : l’important ne serait pas la forme juridique de l’entreprise mais son activité. C’est dans cet esprit qu’une des propositions du groupe de travail initié par Marie-Noëlle Lienemann était la création d’un label ESS pour ce type d’entreprises.

Pour nous, comme pour le mouvement coopératif, le statut n’est pas être neutre : à un objectif d’activité sociale ou écologique doit correspondre un statut démocratique. Le Conseil Économique, Social et Environnemental, dans son avis rendu le 28 janvier 2013, « considère que ce sont les statuts qui définissent le périmètre de l’ESS. » Espérons qu’il sera entendu sur ce point.

Faciliter la reprise des entreprises en SCOP

En ce qui concerne les coopératives de travail, le projet prévoit de faciliter la reprise des entreprises en SCOP avec deux mesures. La première autoriserait que, dans le cadre d’une reprise et pour une période temporaire, les salariés d’une SCOP soit minoritaires en capital pour une période de cinq à dix ans. Pourquoi pas puisque l’application du principe coopératif « une personne, une voix » garantirait la démocratie dans cette période de transition.

La seconde porte sur un droit de préférence donné aux salariés lors de la cession de l’entreprise. Ce serait en quelque sorte la version « soft » du droit de préemption préconisée par l’AP2E : en cas de cession de l’entreprise, les salariés ont la possibilité de se substituer à l’acquéreur pour acheter l’entreprise et la transformer en coopérative. Sauf que droit de préemption et droit de préférence, ce n’est pas exactement la même chose. Dans le premier cas, les salariés ont la garantie de pouvoir se substituer à l’acquéreur. Dans le second cas, l’affichage d’une préférence sans aucune garantie que la solution de reprise par les salariés soit celle qui sera adoptée… Souhaitons bonne chance au projet de l’AP2E dans de futurs débats parlementaires, projet qui ne pourra que renforcer les côtés positifs de la future loi Hamon sur l’ESS.

Quel prix de cession ?

Mais droit de préférence ou droit de préemption, la question du prix de cession reste essentielle. Est-il normal que des salariés qui, des années durant, ont, par leur travail, consolidé les fonds propres de l’entreprise, se voient obligés de les racheter pour conserver leurs emplois et rester maîtres de leur destin ? Oui, une loi de préemption va dans le bon sens mais plus les prix des entreprises seront bas, plus les opportunités de reprise se multiplieront. N’oublions jamais que le prix d’une entreprise est donné par les espérances futures de dividendes qu’en retireront les propriétaires. Des dividendes sont des sorties de trésorerie de l’entreprise qui auraient aussi pu se concrétiser en salaires, individualisés comme socialisés. Plus les salaires sont élevés, moins les dividendes sont possibles et moins les entreprises n’ont de valeur…

Une politique économique directement contraire à ces projets

Si le gouvernement « envisage » aujourd’hui un droit de préférence pour les salariés, la politique qu’il mène sur le plan économique est directement contraire à l’exécution de ces projets. En accordant 20 milliards d’euros dans le cadre du Crédit Impôt Compétitivité (CIC), ce sont de meilleures perspectives de dividendes qui sont accordées aux entreprises. En transcrivant dans la loi un accord social minoritaire permettant aux entreprises de réduire les salaires, ce sont toujours de meilleures perspectives de dividendes qui sont offertes. En envisageant d’augmenter les pensions moins que l’inflation, ce sont des augmentations de cotisations sociales qui sont évitées et donc une souplesse supplémentaire pour les dividendes.

C’est le paradoxe de cette situation : un gouvernement qui se dit favorable aux reprises d’entreprises par les salariés mais qui pratique une politique de revalorisation de ces entreprises qui obère les chances d’une réelle transformation sociale.

La lettre du mois de février