Un mouvement massif, inédit et multiforme s’est constitué à partir d’une « simple » hausse des taxes sur le carburant. « Simple » pour ceux qui peuvent encaisser cette hausse dans leur budget, mais insupportable pour nombre de celles et ceux pour qui la voiture est un moyen de transport contraint et incontournable, ne serait-ce que pour se rendre au travail. En trois semaines, ce mouvement a fait tâche d’huile. Il s’est élargi à de nombreuses questions et fédère 80 % de la population qui se déclare solidaire des gilets jaunes : ce mouvement vient de cristalliser en quelques jours tous les mécontentements accumulés depuis des années provenant de décisions gouvernementales qui n’avaient que très rarement l’assentiment de la majorité.
Tel est le produit d’un système constitutionnel qui ne fonctionne plus. En marche ! détient une majorité absolue à l’Assemblée nationale alors que les personnes ayant déposé un bulletin Macron dans l’urne le premier tour ne représentent que 18,2 % du corps électoral. Aujourd’hui, cette base est probablement encore plus réduite tant chaque mandature génère ses propres « déçu.e.s ». Mais elle a les mains libres pour décider de tout, y compris contre une majorité à qui toute expression politique est déniée. D’où la colère multiforme de ces trois dernières semaines.
Les incidents du samedi 1er décembre nous ont montré un niveau d’exaspération jamais atteint. Un président « normal » – et surtout démocrate – devrait comprendre qu’il y a un réel divorce avec la population et devrait faire un geste politique fort : démissionner et/ou appeler à de nouvelles élections. Au lieu de cela, plutôt que de satisfaire les revendications sociales des gilets jaunes, il abroge des mesures à venir, ce qui ne change immédiatement rien au vécu de la majeure partie de la population. Samedi 8 décembre, il y a fort à parier que ce sera rebelote. En n’ayant que la répression à offrir, le gouvernement porte toute la responsabilité de ce qu’il se passera dorénavant.
Une crise politique majeure est ouverte. Si Macron gagne, il rejoindra la désormais longue cohorte des dirigeants autoritaires pour qui la démocratie se résume à gagner des élections, à faire ce qu’il veut pendant une mandature en s’appuyant sur les corps répressifs. S’il perd, la question constitutionnelle sera d’office posée. Si le régime de la 5e République est désormais impossible, le passage d’un régime présidentiel à un régime parlementaire dans lequel une assemblée élue à la proportionnelle forme des gouvernements – à l’image de l’Italie ou de l’Allemagne – ne sera pas non plus la solution : on voit à quel point, les coalitions sont bancales et instables.
Le mouvement des gilets jaunes porte en lui une aspiration, celle de la démocratie directe, celle d’une démocratie véritable dans laquelle le droit, les lois et règlements ne peuvent se construire sans l’approbation d’une majorité de la population. Bien sûr qu’une démocratie véritable à l’échelle d’un pays ne peut se faire sans élections de délégué.e.s. Mais cela ne suppose pas une assemblée nationale unique, mais l’existence de diverses chambres de débats en fonction de thèmes : politique extérieure, sécurité sociale, questions sociétales… Cela suppose que sur toutes les questions débattues les citoyen.ne.s aient la possibilité d’intervenir par réunions publiques et par l’usage des nouvelles technologiques. Cela suppose qu’il existe des moyens d’invalider immédiatement une décision s’il s’avère qu’elle ne requiert pas l’assentiment d’une majorité de la population. Cela suppose aussi que soient définis des droits humains fondamentaux qui soient opposables à une décision majoritaire qui opprimerait une minorité. Telle est la démocratie qu’il nous faut aujourd’hui construire, la seule qui permettra d’établir une véritable justice sociale…