Il y a 40 ans les Lip annonçaient la couleur. L’autogestion, emblématique d’une période, était au centre du débat politique et social.

Juin 1973, un plan de licenciement de 480 personnes et le gel des salaires sont annoncés. Les salariés occupent immédiatement le site et refusent tout licenciement. Un stock de 25 000 montres est alors mis à l’abri dans des caches. La production sera relancée sans les patrons. Le 15 août, les gardes mobiles investissent l’usine. La production est alors réorganisée dans les quartiers, en dehors de l’usine. Le 29 septembre, une grande marche nationale sur Lip rassemblant 100 000 personnes aura lieu. Le 29 janvier 1974, les accords de Dôle sont signés : l’entreprise est relancée avec engagement de réembauche de la totalité des salariés dans l’année, engagement qui sera effectivement tenu.


Une période différente de la nôtre

Le chômage commençait à montrer son visage sans atteindre les niveaux que l’on connaît actuellement. L’exigence des salariés était forte et grande : pas un seul licenciement. Une mobilisation extraordinaire qu’on a peine à imaginer aujourd’hui. Un parfum de révolution sociale, de contestation de l’ordre établi. Et pourtant, la lutte des Lip ne débouche pas sur une reprise en coopérative mais sur une relance de l’entreprise dans une forme classique. Pour les pouvoirs publics, il fallait trouver une solution industrielle. Le ministre du travail de l’époque Jean Charbonnel s’y emploiera en proposant Claude Neuschwander, alors numéro deux du groupe Publicis et membre du PSU, à la tête de la nouvelle entreprise.

Quelques années plus tard, le capitalisme financier néolibéral évincera le capitalisme industriel fordiste et keynésien. L’élection de Giscard d’Estaing en 1974 sonne le glas du gaullisme et annonce cette nouvelle période. C’est dans ce contexte que l’État remettra en cause divers marchés de Lip, ce qui précipitera son dépôt de bilan en 1976 : il ne fallait pas que les Lip aient gagné.

Les années 2010 renouent spontanément avec l’autogestion

Années 2010. Le néolibéralisme a triomphé. Le chômage de masse est massif depuis les années 1980. Les salariés sont devenus la variable d’ajustement permettant aux profits de perdurer. Les groupes financiers multinationaux n’hésitent plus à fermer des usines et licencier en masse pour améliorer leur rentabilité. Dans ce contexte, les salariés ne voient souvent, lorsque cela est possible, pas d’autre alternative que de reprendre leur entreprise sous forme de coopérative. Détenir collectivement sa propre entreprise, la diriger, voilà la meilleure garantie que demain l’entreprise ne sera pas délocalisée. Voilà pourquoi les salariés des années 2010 renouent spontanément avec l’autogestion.

On devient autogestionnaire par nécessité. Si la mobilisation semble moins forte qu’elle n’a pu l’être dans les années 1970, elle n’en est pas moins profonde. Les salariés de Fralib se battent depuis maintenant plus de trois ans pour imposer à Unilever qui veut fermer leur entreprise un plan de commande dégressif et la marque Eléphant pour leur SCOP. Ils viennent de marquer des points. Ceralep, les Aciéries de Ploermel, Helio-Corbeil, Fontanille, SET, La Fabrique du Sud (ex-Pilpa) ont toutes été des entreprises reprises ces dernières années par leurs salariés sous forme de SCOP. Les plus anciennes ont su démontrer qu’une gestion de l’entreprise par les salariés n’a rien d’utopique, est un gage de réussite car il correspond à une aspiration profonde de contrôler et diriger son travail.

À l’heure où le capital exige plus de compétitivité, entendons par là de baisse des salaires nets comme socialisés, la reprise en mains des entreprises par les principaux intéressés que sont les salariés est un horizon concret pourvu qu’il puisse se généraliser. En son temps, dans un contexte différent, les Lip ont su montrer la voie. Ce combat reste plus que jamais d’actualité.

La lettre du mois de novembre