Jeudi 27 mars, le Conseil constitutionnel censurait deux dispositions de la loi dite Florange, loi qui obligeait les entreprises de plus de 1000 salariés voulant fermer une usine à rechercher un repreneur pendant trois mois, sous peine de pénalités. L’idée de cette loi a été émise par le candidat Hollande qui, juché sur un camion syndical à Florange, avait alors promis un texte pour que « quand une grande firme ne veut plus d’une unité de production et ne veut pas non plus la céder », elle ait l’obligation de la vendre. Pourtant après un parcours législatif pour le moins tortueux – un an et demi – aboutissant à une loi édulcorée, le Conseil constitutionnel estime qu’une sanction égale à vingt fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé « est hors de proportion avec la gravité des manquements réprimés » pour en conclure que ces dispositions sont « contraires à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété ».

Quelques jours auparavant, mercredi 5 mars, le groupe finlandais UPM rejetait sèchement une offre de salariés qui souhaitaient reprendre leur entreprise sous forme de SCOP. Ce groupe fermait la plus vieille papeterie de France, mettant 161 personnes au chômage. Les salariés souhaitaient poursuivre et reprendre l’entreprise. Après avoir demandé la reprise pour un euro symbolique, proposition que le groupe a refusé, ils ont alors fait une proposition à 3 millions d’euros. Trop cher pour le propriétaire de l’usine qui en veut un minimum de 10 millions. Les veut-il réellement ? Ne veut-il pas tout simplement que n’existe plus rien après son passage, rien qui pourrait peut-être un jour concurrencer sa production ? On peut légitimement se le demander. On peut aussi s’interroger sur ce refus d’Unilever de céder la marque marseillaise centenaire Eléphant aux salariés de Fralib qui veulent repartir en SCOP. Droit à l’emploi contre droit de propriété, tel est l’enjeu la situation. Tel était justement l’enjeu de la loi Florange que le Conseil constitutionnel vient de censurer.

A droite, on se glose de l’amateurisme de ce gouvernement. Côté gouvernement, on promet de réviser la copie, voire de glisser quelque chose à ce sujet dans la loi sur l’Economie Sociale et Solidaire, laquelle sera probablement aussi soumise au Conseil constitutionnel pour son simple droit de préférence pour les salariés en cas de cession de l’entreprise. Cette intrusion de plus en plus systématique du Conseil constitutionnel dans la vie politique française nous rappelle combien notre constitution met le droit de propriété avant le droit à l’emploi et à l’activité économique. Doit-on alors s’en remettre à une future constitution d’une hypothétique sixième république ? On ne voit pas à court terme une force politique qui pourrait être majoritaire et mettre ce dossier en route. Or la situation est grave comme en témoigne le taux de chômage qui a encore crû en ce mois de février. Allons-nous assister passivement à la destruction systématique de nos emplois ou allons-nous, en cas de fermeture d’usine, maintenir et reconvertir les productions ? Que fera l’Union européenne si un gouvernement exproprie demain au nom du maintien de l’emploi ? Que fera notre gouvernement si respectueux de la Constitution si des travailleurs occupent leur usine et relancent une production socialement utile ? Faire appel aux CRS pour les déloger ou laisser faire en s’asseyant sur le droit de propriété ? Le droit, souvent, se crée par l’état de fait.

La lettre du mois d’avril